En cette fin de printemps 2020, je tenais à faire part de quelques réflexions autour de l’emploi du glyphosate : usages et absence inadmissible de respect des mesures de protection de la biodiversité. Il devient de plus en plus probable que des usages ciblés de cet herbicide vont être maintenus dans les années qui viennent. Rappelons qu’en novembre 2018, l’Anses a lancé pour l’ensemble des usages glyphosate une évaluation comparative avec les alternatives disponibles ( https://www.anses.fr/fr/content/glyphosate-l%E2%80%99anses-lance-une-%C3%A9valuation-comparative-avec-les-alternatives-disponibles ). Sur le plan politique français un arrêt total a été annoncé fin 2017 pour novembre 2010 et donc pour la campagne agricole de 2021, mais devant l’ampleur des incidences techniques et économiques, les certitudes semblent s’amenuiser au fil des mois.
Cela fera bientôt trente ans que je m’intéresse de près au devenir des substances phytosanitaires dans l’environnement (protection des captages, transferts hydriques, techniques d’atténuation des pollutions diffuses). Que de rendez-vous ratés depuis, autour de l’emploi d’un certain nombre de molécules problématiques dans le sillage de l’atrazine, la trifluraline, et encore aujourd’hui du prosulfocarbe ou du S-métolachlore,…. Depuis 1992, quelques tentatives d’emploi volontairement raisonné sont intervenues (arrêt de l’atrazine en zones de captages, arrêt anticipé du diuron dans le vignoble champenois, raisonnement de l’isoproturon dans quelques zones de captage ou conseils adaptés aux conditions pédoclimatiques comme en Bretagne). Mais je n’ai pas souvenir marquant de régulation volontairement suffisante (en grandes cultures et en viticulture) mise en œuvre par les acteurs agricoles lorsque l’usage d’une molécule nécessitait une véritable prise en compte des niveaux de contaminations élevées des milieux ou en cas d’effets non intentionnels avérés. Certes depuis la fin 2018, le centre de ressources glyphosate diffuse des informations et des témoignages sur les alternatives à l’emploi du glyphosate mais le travail reste immense.
Dans le cas actuel du glyphosate, si des usages importants en termes de surface sont maintenus après 2021, agir uniquement sur les usages à maintenir ou pas ne me parait pas suffisant. Agronomiquement, c’est utile de garder opérationnels des usages importants mais en même temps il faut imaginer une réelle capacité collective à réduire des emplois qui resteraient autorisés : par exemple accepter une seule intervention tous les 5 ou 7 ans dans le cadre de problèmes de résistance de graminées annuelles.
Il y a deux raisons principales qui poussent à accompagner les réductions d’usage même après délivrance des AMM:
- Le rapport « qualité-prix » a fait le succès du glyphosate pendant plusieurs décennies, et nous avons même eu une certaine « mode » conduisant à des emplois « de confort » en système labour, sans nécessités ni fondements agronomiques (par exemples en absence de graminées résistantes, ou sans contraintes dues à une longue période de pluie entraînant des reverdissements de labours). Depuis une dizaine d’années des fiches glyphosate ont été diffusées (par Arvalis et l’UIPP notamment), mais je n’y ai pas perçu de réelle volonté de réduire les usages d’une molécule pourtant de plus en plus sur la sellette au fil des années (quid des atteintes à la biodiversité liés à des milliers d’ha de « chaumes sans vie » pendant plusieurs mois). Rien non plus sur le rôle très important des ruissellements superficiels dans les transferts de la molécule vers les eaux de surface, alors que des précautions simples, dans et en bordures de parcelles, sont d’un très grand intérêt pour réduire cette voie principale de contamination des eaux qui concerne aussi d’autres molécules.
- Comment fera-t-on pour réellement éviter les usages qui ne seront plus autorisés ? Et quelle gouvernance pour limiter la consommation du glyphosate au sein des usages qui resteraient autorisés ? Pour avoir fait beaucoup de terrain et du conseil, et avoir longtemps été confronté aux pratiques commerciales, je crains que comme souvent le business l'emporte. D’autant plus que le glyphosate n’est pas devenu par hasard la molécule la plus utilisée et que dans nombre d’exploitations c’est un pilier de la productivité du travail (Ha/UTH) en plus d’être indispensable aux choix agronomiques mis en œuvre depuis des décennies.
Une gouvernance innovante pour une réelle limitation
Si le glyphosate reste partiellement autorisé, en fait maintenu pour certains usages, j’ai le sentiment qu’il faut aller vers une gouvernance innovante dans la gestion du glyphosate. Et ce d’autant que la demande sociétale est importante vis-à-vis ce cette molécule. Je rejoins Bruno Chauvel qui dans le dernier numéro de Sésame dit que "le glypho nous a empêché de penser". Pour la transition, il faudra avoir une véritable volonté des agriculteurs et avoir une réelle convergence avec les structures de conseil. Des impasses se profilent, aussi pour maintenir la possibilité du recours au glyphosate il faut un emploi hyper raisonné de la molécule basé sur de fortes justifications agronomiques. Le cadre des CEPP pourrait sans doute permettre cette gestion éclairée du glyphosate. Il faudra aussi, bien entendu, une attitude économiquement responsable de la part des différentes filières. Le centre de ressource glyphosate (Ecophyto-Pic) pourrait servir de base à une telle démarche de conseil raisonnable en élargissant son panel de structures partenaires. A moins de confier cette gouvernance à un comité indépendant en intégrant notamment une approche environnementale et bien sûr une dimension santé humaine.
Des risques acceptables, grâce à l’application des mesures de gestion
Pour les spécialités à base de glyphosate autorisées ou ré-autorisées depuis 2011, nous devrions avoir un respect généralisé des ZNT de 5 m visant à protéger les arthropodes et les plantes non cibles en bordures de parcelles (dites zones non cultivées adjacentes)(c’est bien sûr l’ensemble des substances phytosanitaires le nécessitant qui sont concernées par ces ZNT « biodiversité »).
C’est aberrant, qu’encore en 2020, la molécule la plus utilisée en France soit appliquée sur des centaines de milliers d’ha sans respect de toutes les mesures de gestions règlementaires exigées depuis 2011. Il serait tout à fait incompréhensible que demain, les applications de glyphosate puissent perdurer sans respecter ces mesures de gestion demandées lors des AMM, mesures de gestion nécessaire au respect de risques acceptables. De plus, rappelons que pour l’ensemble des spécialités à base de glyphosate la ZNT « aquatique » est de 5 m, et parfois à dose forte sur vivaces de 20 m. Est-on certain que cette ZNT vis-à-vis des points d’eau soit rigoureusement respectée ? Notamment au niveau des petits chevelus hydrographiques situés en tête de bassins versants?
Une limitation des impacts et de la contamination des milieux aquatiques
En tout état de cause il conviendrait, pour les usages qui seraient maintenus, d’arrêter toutes utilisations de confort et d’agir sur une réduction d’ampleur des impacts. Cela implique, en complément du respect des ZNT règlementaires, d’agir obligatoirement sur les transferts hydriques afin de limiter les impacts :
- Prévenir et limiter le ruissellement : en sols limoneux, mais pas seulement (parcelles de tailles raisonnables, travail du sol motteux,…),
- Tenir compte des passages préférentiels connus en non-labour (en sols argileux notamment)
- Agir sur les eaux de drainage (grâce à des zones tampons humides artificielles en sortie de réseau,…).
Compte tenu de l’ampleur des attentes sociétales, il serait également très pertinent pour la profession agricole qu’elle adopte des mesures volontaires comme la mise en œuvre d’un arrêt du glyphosate à moins de 20 m des zones habitées (protection des riverains) et aussi des fossés et petits cours d'eau (petit chevelu des réseaux hydrographiques) (biodiversité).
La forte réduction d’emploi du glyphosate va entraîner une évolution parfois importante de certains systèmes de culture, dans un contexte global d’évolution vers des pratiques moins dépendantes aux pesticides. C’est un véritable défi qui est devant nous. Il mérite une grande attention dans sa mise en œuvre : les impératifs techniques, agronomiques, environnementaux et de santé humaine, doivent être prioritaires et le lobbying doit garder une place raisonnable.
Je dédie cet article de mon blog à Joël, qui part en retraite ce premier juillet 2020. Qu’il soit remercié pour la route que nous avons suivie ensemble autour de la protection des étangs piscicoles de la Dombes vis-à-vis des pesticides appliqués dans les champs voisins. Et je formule (à nouveau) le vœu que les agriculteurs dombistes adoptent des pratiques réellement respectueuses de l’écosystème fabuleux de la Dombes et des carpes qui y sont élevées !
(C'est le 52ème article de mon blog. En un peu plus de 3 ans cela correspond en moyenne à 1.3 article par mois)