3 ème Programme Algues Vertes en Bretagne : une usine à gaz qui ne prend pas en compte l’intégralité du problème.
Une petite accélération est perceptible dans les actions de fond de vallées, mais aucune action structurante ne permettra de retrouver un peu de résilience en secteurs productifs de plateaux:
Pas d’ambitions agro-paysagères, pas de prise en compte des parcelles drainées, ni des parcelles ruisselantes généralement bien trop grandes, pas de volonté de diversifier les cultures ni de réduire les surfaces de maïs et de produire des protéines locales.
Pas de réelle ambition d’agir efficacement sur les flux de nitrates ? Très régulièrement, puisque cela se répète presque tous les ans, les parcelles de maïs ruissellent en mai ou juin et les nitrates peuvent ainsi aller conforter la croissance des algues vertes en mer. Comment peut-on sérieusement mettre en place des programmes et des plans qui laissent des « trous dans la raquette » ? En n’agissant pas sur l’hydraulique agricole et donc sur l’hydrologie de nos bassins versants côtiers on accepte d’emblée de perdre en pertinence même avec la mise en œuvre de mesures agronomiques pointues.
Aujourd’hui et bien sûr demain les besoins en financements publics vont devenir impressionnants face au changement climatique: pourra-t-on encore financer des plans insuffisamment ambitieux, qui notamment n’intègrent pas une nécessaire restructuration paysagère de nos territoires agricoles*, et qui in fine, programmes après programmes s’avèrent peu efficaces ?
*Ce n’est plus le machinisme qui doit piloter l’évolution du parcellaire, mais le maintien de la fertilité en conditions climatiques difficiles.
Consultation publique : Algues vertes en Bretagne : 3éme programme d’actions volontaires "algues vertes" 2022-2025
Contribution de Guy Le Hénaff, du 19 juillet 2022 à la Consultation publique concernant l'arrêté de la Baie de Saint-Brieuc auprès de la DDTM des Côtes d’Armor (avec une variante très proche déposée également le 19 juillet, auprès de la Préfecture du Finistère : Baie de Douarnenez)
Je ne rentrerai pas dans le détail des mesures visant à atténuer les flux de nitrates et les risques de fuite de nitrates, qui misent èmesur l’obtention de reliquats « acceptables » et qui ont fait l’objet de moultes négociations, puisqu’il s’agit du troisième plan « algues vertes » et qu’un 7° PAR est en cours de préparation.
En tant qu’ancien ingénieur-chercheur de la recherche publique dans le domaine des pollutions diffuses d’origines agricoles (pesticides) mais aussi plus largement autour de la délimitation et de la vulnérabilité des aires d’alimentations de captages, j’ai travaillé sur de nombreux territoires dans des contextes pédoclimatiques souvent très différents. En termes de pollutions diffuses la vulnérabilité intrinsèque est bien entendu primordiale, mais les aménagements anthropiques cumulés peuvent revêtir une acuité déterminante, notamment dans le cadre d’une trop grande spécialisation des productions végétales et animales. Dans ces domaines la Bretagne cochent un grand nombre de « mauvaises cases » et ce au détriment d’un nécessaire renforcement de la résilience des territoires.
Je formulerai deux remarques techniques et une troisième plus générale qui concerne la nécessaire mobilisation des finances publiques sur les sujets de plus en plus prioritaires.
I : Spécialisation très importante des territoires et spatialisation des mesures discutables.
Les sociologues parleraient sans doute d’aboutissements logiques des négociations : le monde agricole parvient à « sauvegarder » les surfaces les plus productives de toutes mesures trop contraignantes, quitte à accepter des contraintes plus fortes en zones peu productives portant sur les protections des zones humides de bas-fond et des cours d’eau. En secteurs de plateaux et donc d’interfluves la réduction des fuites de nitrates est uniquement basée sur un approche agronomique de précision. Cela revient à dire ou à laisser penser que 70 ans de modifications du parcellaire, du bocage et de l’hydraulique agricole, n’ont aucunement modifié la rapidité des transferts hydriques. Est-on sûr qu’une fertilisation de précision sur de grandes parcelles de céréales ou de maïs (supérieures à 4-6 ha), suffira face à une mobilisation très insuffisante de l’agroécologie et du bon sens ?
II : actions sur le ralentissement des transferts hydriques trop faibles, et même inexistantes au printemps
Le petit chevelu hydrographique de tête de bassin versant est devenu le domaine d’Aqua incognita, alors que le réseau des petits émissaires joue un rôle central sur la qualité des eaux qui quittent les secteurs agricoles. C’est notamment les cas lors des pluies de mai-juin, qui jouent un rôle important dans les transferts de nitrates à la mer : même en 2022 le verdissement des vasières semble bien corrélé aux pluies orageuses de juin 2022. Année après année, les rigoles et petites ravines visibles en bas des parcelles de maïs et de légumes sont les témoins d’écoulements érosifs incontrôlés. Les coulées de boues et inondations sont également là pour étayer le raisonnement. En secteurs érosifs et ou drainés, ils existent des zones tampons humides qui bien positionnées et bien gérées permettent de réduire les contaminations de nitrates d’environ 30% (travaux Inrae-Irstea). La Bretagne, avec ses enjeux environnementaux et de santé publique, peut-elle indéfiniment ignorer que la reconquête de la résilience de nos versants agricoles, passera obligatoirement par la renaturation des têtes de bassins versants ? Et pas seulement en se basant sur des solutions technologiques élitistes. En Baie de Saint Brieuc visiblement, les zones tampons humides en têtes de versant ne sont pas mobilisées ni même expérimentées. C'est pour moi une erreur historique. La capacité d'abattements en nitrates est prouvée scientifiquement, le rôle sur la biodiversité est indéniable et par les temps qui courent ce sont aussi des objets paysagers pérennes qui seraient inscrits dans le paysage et donc hors de portée des changements politiques anti-agronomiques du style du "produisons plus" face à la guerre en Ukraine. (Par exemple: en remettant les jachères en cultures, en réduisant les exigences vis à vis des rotations parcellaires, en déplafonnant demain les doses d'azote??)
Le techno-solutionnisme permet de re-tester le ramassage en mer mais pas de mettre en place des solutions rustiques fondées sur la nature telles que les zones tampons humides positionnées en sortie de drainage. Au sein du bassin du Gouessant il y a un sous-bassin versant très concerné par des surfaces de drainages conséquentes, celui du Chifrouët, affluent rive droite du Gouessant en aval de Lamballe, en provenance du Nord-Est (St Aaron-Quintenic). Le coût est modeste (eu égards aux autres dépenses prévues) car lié a du simple terrassement sur 2-3000 m2. Pourquoi attendre encore un éventuel plan nitrates ou algues vertes suivant? Que la profession agricole fasse un peu de bibliographie sérieuse?? Que les impératifs du changement climatique deviennent urgentissimes??
Remarque : le recours au diagnostic parcellaire est intéressant ; mais l’approche retenue me paraît un peu fruste : la pente n’est pas le critère le plus pertinent, même si c’est la métrique la plus facilement accessible avec un MNT. C’est le chemin réel de l’eau (distance hydraulique) qui est le critère essentiel, auquel il faut ajouter la réelle surface contributive (buvard.irstea.fr), ce qui nécessite d’être très vigilant vis-à-vis des busages, des drainages et des fossés surtout si ces fossés sont circulants.
III : C’est une question très liée à l’actualité. Elle est certes un peu hors sujet par rapports aux programmes algues vertes, mais est-il envisageable de continuer à financer des changements de pratiques somme toute limités (nitrates, pesticides,…,) sans s’appuyer sur une réelle restructuration de l’hydrologie rurale et des parcellaires agricoles permettant un réel stockage de l’eau dans les sols, alors que les besoins en argent public vont devenir de plus en plus prégnants : adaptation au changement climatique, transition agroécologique, déserts médicaux, …
Fichier du texte de contribution à la consultation du 3ème programme Algues Vertes