Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les prairies permanentes sont indispensables pour plus de ressources en eau de qualité.

Pourquoi tant de mépris pour un dispositif agro-écologique et nourricier?

 

Les prairies permanentes font actuellement l’objet de marchandage sur fond de revendications de certains agriculteurs et de règlementation européenne qui serait inadaptée ! C’est plutôt irréaliste voire inquiétant que les revendications viennent de régions comme les Hauts de France, les Pays de Loire et la Bretagne. Ce sont des régions où les prairies permanentes et naturelles doivent être conservées. Il en va, dans un ordre non priorisé,  de la prévention des inondations et des coulées de boues, de l’infiltration de l’eau, de la qualité des eaux de captages, de la préservation des zones humides, du stockage de carbone, de la préservation de la biodiversité (floristique et animale), de la production de fourrages de qualité, etc.

S’attaquer aux prairies naturelles et permanentes est une hérésie indigne du XXIème siècle. Les prairies naturelles sont et seront ultra importantes dans l’adaptation de l’agriculture et de nos territoires au changement climatique. Avec les arbres, les haies, les ripisylves et les zones humides, elles sont nos couteaux suisses face aux aléas du climat. Leurs effets multifonctionnels et écosystémiques sont immenses, et elles méritent mieux qu’un bras de fer basé sur des intérêts court-termistes et des contre-vérités. 

Prairies permanentes et ou naturelles ?

                Les statistiques ne nous donnent pas de réponse à cette question. Pour le ministère de l’agriculture (Agreste) : les prairies permanentes ou surfaces toujours en herbe (STH) sont naturelles ou semées depuis six ans ou plus. Les prairies temporaires sont semées depuis moins de six ans de graminées fourragères, éventuellement mélangées à des légumineuses. D’un point de vue technique et sur le plan des conseils agronomiques, on parle aussi de prairies de longue durée (plus de 3 ans). En 2023 en Bretagne[1], la superficie totale des prairies atteignait 642 000 hectares. La ventilation des surfaces (chiffres de 2022) donne 60% de prairies dite permanentes (385 000 ha) contre 40% de prairies artificielles et temporaires (250 000 ha). Malheureusement nous n’avons pas de données sur les prairies naturelles. Dommage car ce sont ces prairies, jamais ressemées qui offrent le plus d’aménités environnementales et d'avantages agro-écologiques : diversité floristique et bonnes capacités de résilience face aux changements climatiques, portance et porosité des sols, bons niveaux de matière organique et donc de capacité de stockage d’eau,…

Ces prairies naturelles sont aussi celles qui donnent les fourrages ayant la meilleure typicité qui de retrouve dans des produits animaux de qualité: lait, fromage et viande. Ce sont aussi celles qui stockent le plus de carbone : les prairies naturelles stockent en moyenne autant de carbone en tonne par hectare qu’une forêt dans les trente premiers centimètres du sol (Données GIS sol). Ces milieux accueillant une forte biodiversité sont trop rarement pris en compte dans les stratégies agricoles et économiques des agriculteurs-éleveurs menaçant à terme la préservation de ce patrimoine environnemental. Face au recul de l’élevage, et notamment de l’élevage de bovins, l’enjeu environnemental des prairies prend une ampleur nouvelle : la céréalisation se précise en régions dites de zones intermédiaires[2] (avec souvent le recours au drainage) et même dans le croissant laitier du grand Ouest. Pourtant depuis plus de 30 ans, il est clair que l’occupation des périmètres de captage et des bassins versants des baies algues vertes par de la prairie est une option très intéressante. L’emploi d’intrants y est fortement réduit : pas de phytosanitaires et moins d’engrais voire pas d’engrais si nécessaire en fonction des enjeux territoriaux.

 

Les prairies permanentes : un super objet de protection de l’environnement et de l’eau en particulier, et ce grâce aux mécanismes suivants :

 Ralentissement des écoulements hydriques: avec ses nombreux brins d’herbe au m2, le chevelu végétatif joue le rôle de peigne hydraulique. Les écoulements hydriques sont ralentis ce qui permet le dépôt (atterrissement) des sédiments. Les sables fins et les limons restent dans la parcelle, et l’on a donc une capture du phosphore de certains pesticides (glyphosate…).

Infiltration de l’eau de pluie : avec des écoulements plus lents, l’eau bénéficie de temps pour s’immiscer dans la grande porosité des sols prairiaux (prairie ou bande enherbée de plus de 3 ans) ? Cette porosité importante provient notamment de la mort en fonction des saisons de certaines racines ou de brins d’herbes voire de plantes qui peuvent avoir un système racinaire pivotant. La vie des sols a également un rôle majeur : fortes populations de vers de terre liées à l’abondance des matières organiques et au non travail du sol[3], fortes activités microbiennes : bactéries, mycorhizes,...

Cette forte infiltrabilité des sols de prairies et de bandes enherbées bien gérées de plus de 3 ans permettent sur de grandes surfaces de favoriser le stockage de l’eau dans les sols (voir tableau). Face au changement climatique c’est un moyen aisé d’augmenter les ressources en eau d’un bassin versant tout en favorisant les soutiens d’étiages et donc la survie de nos truitelles sauvages. Si de l’eau polluée provient de l’amont, la prairie bénéficiera des nitrates transportés et surtout la forte vie microbiennes au sein de l’horizon de surface riche en matière organique permettra la dégradation des pesticides et métabolites dont l’essentiel des transferts est dû aux écoulements hydriques de surface ou hypodermiques (à faible profondeur dans les sols).

 

Type de végétation ou de couverture des sols

Capacité d’infiltration : mm d’eau par heure

Boisement ancien

 (avec litière bien développée)

100 à 1300 mm/h

(moyenne* 375 mm/h)

Jeunes saulaies

30 à 80 mm/h

(moyenne* 40 mm/h)

Dispositifs enherbés : bonne bande enherbée (prairie permanente)

20 à 130 mm/h

(moyenne* 75 mm/h)

Sols limoneux battants (sols refermés par les pluies car les petites mottes éclatent)

Quelques mm/h

Sols imperméabilisés : béton, bitume

0 mm/h

           Expérimentation sur dispositifs enherbés

en pays de Caux par l’AREAS

dispositif enherbé non tassée

80 à 120 mm/h

Zones tassées du même dispositif

8 mm/h   !!

Tableau de comparaison des capacités d’infiltration selon le type de végétation

(moyenne* :  in Soulier, Cemagref 2002. AREAS St Valéry en Caux)

Les forêts et les prairies, non tassées par des engins, sont des éléments du paysage dont les rôles en termes de résilience des territoires vont devenir très importants : capacités à infiltrer l’eau de pluie, forte limitation des coulées de boues, atténuation des crues, effet albédo,…

 

Protection de proximité (captages et ensemble des petits chevelus hydrographiques) et réduction de la pression des pollutions diffuses. Idéalement nous devrions avoir systématiquement des prairies permanentes le long du chevelu hydrographique (ruisseaux et fossés) et autour des villages et habitations. Dans les faits les bandes enherbées, dites BCAE[4], jouent ce rôle de protection, à condition d’avoir plus de trois ans d’implantation. Mais ce rôle protecteur est trop faible : la largeur de 5 m est insuffisante (les résultats expérimentaux montrent la supériorité des abattements de transferts de pesticides pour des largeurs de 10 – 12 m.  De plus les bandes enherbées sont trop souvent tassées par des passages d’engins (retournements multiples voire bandes de roulement), ce qui réduit fortement les capacités d’infiltration. Et enfin les cours d’eau protégés par les BCAE sont des rivières ou des ruisseaux assez importants bénéficiant souvent des effets protecteurs de ripisylves, or le petit chevelu mérite grandement d’être également protégé : fossés, petits ruisseaux injustement déclassés.

 

Les prairies permanentes et plus encore les vraies prairies naturelles sont un patrimoine agricole et naturel de grandes valeurs agronomiques et environnementales. Elles présentent une flore diversifiée et spontanée. Les prairies permanentes fournissent des fourrages de qualité pour l’alimentation des ruminants et contribuent à la santé animale. Elles permettent des productions de hautes valeurs gustatives (appellations d’origine,…). Et les flores diversifiées des prairies permanentes sont de réels atouts pour les exploitations agricoles face aux enjeux climatiques: capacité de résilience, souplesse d’exploitation, faibles coûts de production. Compte tenu des enjeux il faut réfléchir collectivement à la place des prairies dans notre environnement : il ne faut pas jeter le « bébé avec l’eau du bain ». De nombreux céréaliers recréent des ateliers animaux au sein de leurs exploitations car la polyculture-élevage est un système cohérent et un gage de durabilité.

Les prairies permanentes voire naturelles jouent clairement un rôle de premier plan dans les capacités de résilience de nos territoires face aux aléas climatiques (sécheresses, pluies intenses, coulées de boues,…). Elles assurent également des fonctions importantes de protection des eaux et des milieux aquatiques, autant sur le plan qualitatif (atténuation des pollutions diffuses) que quantitatif (infiltration et soutien d’étiage). Pour certaines erreurs du passé, le manque de connaissance peut être évoqué. Mais décider, en 2024 et en toute connaissance de cause, de prendre des chemins techniques sans issues parait très hasardeux : nous devons préserver nos surfaces en prairies naturelles et permanentes de très longue durée.

N’oublions pas que les territoires agricoles reçoivent plus de 50% des eaux de pluies (et même plus en régions très agricoles : 61% en Bretagne).

La protection de l’eau et la culture de « l’eau verte[5] » doivent y être une priorité au même titre que la recherche d’une souveraineté alimentaire durable.

 

[1] Agreste, Essentiel Bretagne, août 2023 file:///C:/Users/ACER/Downloads/11_essentiel_bgne_prairies_2023.pdf

[2] Croissant allant de Sarreguemines à la Rochelle : cf page 10 du rapport CGAAER de 2018 file:///C:/Users/ACER/Downloads/cgaaer_18065_2018_rapport-1.pdf

[3] Les systèmes de semis sans labour et sous couvert permanent miment, avec une moindre efficacité (végétation moins dense, passages d’engins), le fonctionnement des couverts prairiaux permanents.

[4] BCAE : bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Cours d’eau éligibles consultables sur le site : www.geoportail.gouv.fr/donnees/cours-eau-bcae-2023

[5] Eau verte : captée et stockée dans les sols et la végétation

Atterissement en bas de chemin bitumé grâce à l'enherbement, Pleubian- 22 ( 9 janvier 2021)

Atterissement en bas de chemin bitumé grâce à l'enherbement, Pleubian- 22 ( 9 janvier 2021)

prairie naturelle alti-ligérienne avant la pleine floraison, Jax-Hte Loire ( 28 avril 2019)

prairie naturelle alti-ligérienne avant la pleine floraison, Jax-Hte Loire ( 28 avril 2019)

Petit captage entouré de prairies, à Pont Cariou - Lanleff-22 (10 octobre 2021)

Petit captage entouré de prairies, à Pont Cariou - Lanleff-22 (10 octobre 2021)

Multifonctionnalité: ruches à l'interface entre prairie permanente et colza en fleur, vallée de la Meurthe-54 (9 mai 2005)

Multifonctionnalité: ruches à l'interface entre prairie permanente et colza en fleur, vallée de la Meurthe-54 (9 mai 2005)

Tag(s) : #Territoires résilients, #Zones tampons multifonctionnelles
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :