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Une Agroécologie ambitieuse, efficace et pertinente est l’avenir de l’agriculture :

« protection de la biodiversité et des territoires producteurs d’eau potable. »

 

Opposer agriculture et écologie est un non-sens. La production de notre nourriture s’inscrit pleinement dans les processus biologiques et écologiques (biodiversité, sols,…). Elle est permise en utilisant les sols (support, nutriments, réserve utile en eau, mycorhizes,…), grâce à la pluie (eau) et au soleil (photosynthèse). Mais encore faut-il exploiter les parcelles agricoles de façon durable, ce qui est loin d’être actuellement le cas. Les scientifiques nous prouvent que restaurer la biodiversité est indispensable et les paysans en systèmes durables nous montrent que c’est tout à fait réalisable et économiquement viable. Cette fin de mois de janvier 2024 que nous venons de vivre avec les manifestations paysannes restera mémorable. Elle montre le désarroi des agriculteurs de « base », mais aussi la duplicité des organisations syndicales majoritaires, qui pourtant cogèrent la politique agricole française mais aussi européenne depuis des décennies. J’ai travaillé 41 ans aux côtés des agriculteurs et je suis solidaire des revendications basées sur le bon sens, mais moins des certaines demandes irresponsables, des actions et dégradations onéreuses pour les collectivités (et donc les contribuables) et irrespectueuses du travail des autres (notamment de la police de l’environnement).

En ce début d’année 2024, nous observons depuis 20 jours, un déferlement d’articles, d’émissions, de débats, de témoignages, le tout avec des vérités mais aussi beaucoup de méconnaissances. La parole syndicale peut être orienté, inexacte, voire de mauvaise foi, et il faut avoir une bonne connaissance des milieux agricoles pour séparer le bon grain de l’ivraie. A cet exercice de nombreux journalistes, d’experts généralistes (ou lobbyistes) et un très grand nombre de politiques trébuchent, colportent des contre-vérités et proposent des solutions inappropriées et parfois irresponsables. Le summum de l’hypocrisie est sans doute d’entendre, le 1er Février, la porte-parole de du gouvernement critiquer lourdement le plan Ecophyto…

Il est quasi certain que le changement climatique et la gestion des multiples pollutions diffuses passe par une transition écologique de nos agricultures. Certes ce peut être vu comme un luxe de nantis européens, mais avons-nous le choix ? Et qui a envie d’aller vivre dans la campagne brésilienne ou argentine, aux usages de pesticides et d’OGM débridés ? Il faut aller  vers moins de pesticides, moins de médicaments vétérinaires, plus d’économie d’eau, plus de stockage d’eau dans les sols et grâce aux éléments des paysages agricoles, plus de stockage de carbone,…. A moins de tout miser sur un techno-solutionnisme aux résultats incertains, il nous faut miser sur les solutions fondées sur la nature et donc s’inscrire dans des processus écologiques permettant de regagner de la résilience face aux aléas parasitaires et/ou climatiques : la combinaison renforcée entre agriculture et écologie est la seule solution raisonnable : c’est l’agroécologie. Même si cela nécessite d’aller vers plus de surfaces agricoles dédiées à des milieux propices à la biodiversité (prairies naturelles, haies, talus, zones humides, ripisylves, …). Toute autre solution parait irréaliste et sous-tend une démarche de type illibérale et suicidaire dans un avenir proche.

Ces jours-ci, l’Europe est accusée de tous les maux, mais où serions-nous si le seul guide des politiques françaises avait été un clientélisme répondant aux intérêts agro-industiels ou de nombre d’entreprises du CAC 40 ?

De ma carrière de fonctionnaire d’état et d’agronome sensible aux « enjeux eau » (AgrEaunome), je garde en mémoire des nombreux rendez-vous manqués du monde agricole avec l’histoire. En voici quelques-uns autour des pesticides, qui illustrent les effets souvent contre productifs du positionnement des organisations professionnelles agricoles majoritaires, qui adoptent de façons quasi-permanentes des attitudes de type « course à la lenteur » : pour protéger qui, quoi ? Les années de références prises pour évaluer les progrès des actions entreprises sont les années 90, c’est-à-dire celles où les niveaux de contamination en pesticides culminaient (les plans nitrates présentent exactement le même biais) : en fait l’essentiel des améliorations visibles sont dues au retrait de molécules[1] comme par exemple l’atrazine, le diuron, l’alachlore, le S-métolachlore (interdiction avec arrêt d’emploi cette année et donc tendance baissière à venir), etc.

La prise en compte des pollutions diffuses par la profession agricole s’est faite en mode défensif en négociant âprement les contreparties financières sur la base de la défense d’un système le plus souvent productiviste. C’est bien sûr le cas de la réduction des pesticides : depuis 2008, les pratiques des agriculteurs novateurs (groupes DEPHY, CIVAM,…) ont évolué dans le bon sens mais sans avoir de massification observable des bonnes pratiques pourtant validées sur le terrain. Le moins d’écologie punitive est clairement exprimé, mais le volontarisme n’est pas non plus d’une efficacité criante sur le plan collectif : l’état d’avancement de la protection des aires d’alimentation est loin d’être un succès. Et pourtant il y a de vraies « success-stories » grâce aux initiatives locales portées par des acteurs qui ont su trouver les bons chemins. Il va sans dire qu’une réforme éclairée du conseil agricole est impérative, en évitant si possible les atermoiements observés depuis 25 ans (2009-2024).

 

Territoires producteurs d’eau potable

J’ai eu la chance d’agir sur les captages en nappes alluviales du Doubs et de la Loue dès 1992-93. En une seule campagne d’actions, avec les agriculteurs du Doubs et du Jura, les captages en question redevenaient conformes[2] : la première action a été s’arrêter l’atrazine. A l’époque il n’était pas question de proposer des changements de système. C’est donc la substitution qui a été privilégiée grâce à l’arrivée sur le marché du diméthénamide, herbicide choroacétamide qui a évolué en diméthénamide-P (DMTA-P) : isomère actif autorisé en 2004. Ce choix réalisé il y 30 ans, par un agronome d’un service public, s’est révélé pertinent car il était basé sur un profil environnemental « correct » de cet herbicide et non sur des considérations commerciales. De plus un suivi rigoureux de la qualité des eaux a tout de suite été mis en place, notamment grâce aux piézomètres répartis dans les plaines alluviales alimentant les captages. Choix qui aujourd’hui, et donc à posteriori, semble judicieux. Mais plus que jamais il faudra être vigilant car avec l’interdiction du S-métolachlore, c’est cette molécule qui sera l’herbicide le plus utilisé pour le désherbage du maïs en 2025. L’histoire n’est sans doute pas finie car le DMTA-P se dégrade en une dizaine de métabolites qui jusqu’à présent  posent peu de problèmes : à suivre avec la généralisation probable de cette matière active dès cette campagne. A propos de métabolites, les organisations techniques agricoles (instituts, chambres d’agricultures, coopératives et négociants,…) ont fait une énorme erreur en n’anticipant pas les risques liés à l’Esa-métolachlore. Avec les alertes de contaminations importantes dès 2017, une gestion éclairée et des conseils techniques pertinents auraient permis de limiter les « dégâts » en évitant une contamination généralisée de la plupart des masses d’eau françaises.

Trente ans après les premières actions de reconquête de la qualité de l’eau, il y a heureusement des succès-stories le plus souvent en lien avec des grandes collectivités (métropoles, grandes agglomérations ? …) Mais il reste encore énormément de choses à faire alors qu’avec du bon sens et du volontarisme nous devrions être capables de maitriser les pollutions diffuses par les pesticides et leurs métabolites. D’autant que les actions préventives (agronomiques et actions paysagères sur le cycle de l’eau) coûtent beaucoup moins chères que les traitements en station de potabilisation qui mobilisent des millions d’euros d’investissement puis de fonctionnement.

 

Protection de la biodiversité, gage d’une agroécologie pertinente

Avec ma double expertise agronomie-pesticides et zones tampons, j'en suis arrivé à penser depuis de nombreuses années qu'il était aberrant de traiter les bords de champs, mais cela ne suscite aucun intérêt alors que c’est vraiment une proposition de bon sens qui de plus à un fondement règlementaire

Les trois raisons que sous-tend la proposition de « Zéro phytos en bordures de champs » sont:

- la biodiversité de nos campagnes est en grand danger (surtout en régions d'openfield historiques ou plus récentes: secteurs « débocagés ») : c’est bien sur le cas de oiseaux, des pollinisateurs, des insectes et arthropodes en général, de la flore messicole,…

- les risques pour la biodiversité sont pris en compte lors de l'évaluation des produits phytosanitaires ce qui a conduit l'Anses, depuis 2011, à requérir lors des avis d'AMM[3] le respect de ZNT flore non cible et les arthropodes non cibles dites ZNCA (Zones Non Cultivées Adjacentes). Or à ma connaissance ces ZNCA ne sont pratiquement pas respectées pour cause d'opposition de la profession agricole dès la prise en compte lors de l’homologation de ces mesures de gestion. Mesures de zones non traitées qui  permettraient pourtant d'éviter des risques jugées inacceptables lors de l'évaluation (!).

- Il est évident que les bords de champs sont des espaces de transition. A l'heure où nous avons besoin d'espaces de biodiversité naturels ou semi-naturels, nos bords de champs, de vergers et de vignes mériteraient une gestion différenciées (zéro phyto, désherbage mécanique, voire zones enherbées, "fleuries" ou arbustives, Zones tampons humides,...). Et ce sans vraiment jouer sur la productivité moindre sur ces espaces depuis toujours (bordures de champs avec aléas climatiques importants, tassements importants, moindre fertilisation,…).

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2019/08/enjeux-pesticides-zerophyto-autour-des-parcelles-traitees-avec-des-bandes-non-traitees-generalisees-de-5-metres.html

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2017/02/vers-une-gestion-differenciee-des-bords-de-parcelles-agricoles.html

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/02/generalisation-de-la-gestion-differenciee-des-bords-de-parcelles-revolution-agro-environnementale-partie-3.html

 

J'ai bien conscience que le moment est un peu délicat pour parler de ce problème, mais en Bretagne par exemple la Chambre Régionale d'Agriculture est contre la mise en place des Aires d'Alimentation de Captage en eau de surface. Or il va bien falloir trouver des solutions pour protéger l'eau potable et la biodiversité. La gestion différenciée des bords de champs serait un formidable outil pour réduire les pollutions diffuses. Cela permettrait de réduire la dérive aérienne et de nombreux transferts hydriques par ruissellement ou sub-surface (hypodermie) et bien entendu de donner un peu d'air (frais) et d'espace à la biodiversité de nos campagnes. D’autant que l'avenir de l’agriculture passe de façon indiscutable par l'agroécologie intra-parcellaire mais aussi paysagère.

Les zones Natura 2000 et les Aires d’Alimentation de Captages (AAC) sont clairement les territoires qui doivent servir de secteurs de mise en œuvre à grande échelle des Zones non traitées de protection de la biodiversité (ZNCA) mais aussi du déploiement de la gestion différenciée des bords de champs.

L’écologie n’est pas à opposer à l’agriculture. Face au changement climatique et pour affronter l’avenir ce sont même deux notions indissociables, nécessaires pour marcher sur deux jambes et pour s’adapter aux aléas de plus en plus nombreux qui vont nous concerner, mais aussi en premier lieu les plantes, les animaux et les sols !

 

[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/commission_enquete_phytosanitaires

[2] Les réductions d'intrants phytosanitaires : l'expérience franc-comtoise. Le Hénaff G. et al, 1998 — ANPP, 17 è conférence du Columa, décembre 1998.

[3] Autorisation de Mise sur le Marché

Erreur de casting! au centre ville de Guingamp (janvier 2024)

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Promiscuité parcelle & maison de l'enfance à Paimpol - 22  !! (le 21 mars 2021)

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Bande enherbée "maltraitée" car tassée !! (Plourivo -22- le 15 janv 2022)

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Application de glyphosate en bordure de fossés !! (mars 2021, marais de Dol de Bretagne- 35)

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Bande enherbée en pied de talus arboré, Plourivo - 22 (le 15 oct 2021)

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Bande enherbée de protection le long d'un lotissement à Ste-Julie- Ain ( le 21 oct 2021)

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Tag(s) : #Territoires résilients, #Règlementation phytosanitaire
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