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Une indispensable Révolution Agro-Environnementale dès 2022 ou DON’T LOOK DOWN ?

partie 3 : Généralisation de la gestion différenciée des bords de parcelles ?

« Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action » (Henri Bergson; 1859-1941)

Comme évoqué dans la première partie de l’article, l’emploi du terme révolution peut paraître fort, mais comment peut-on autrement impulser de vrais changements ? A quasiment tous les niveaux de l’adaptation au changement climatique basés sur la sobriété et mobilisant des solutions fondées sur la nature c’est encore la course à la lenteur qui prime. Ce qui me paraît le plus inquiétant ces dernières années c’est le manque d’anticipation des pouvoirs publics et en même temps le manque de volonté et souvent de moyens pour appliquer la loi et tout en faisant nécessairement progresser les textes.

Il existe pour les pollutions diffuses d’origine agricole une panoplie de mesures applicables rapidement qui permettraient une meilleures maitrise des contaminations. Une partie nitrates a été développée dans la partie précédente de cet article. Une seconde partie est dédiée aux mesures liées aux phytosanitaires qui permettraient un pas conséquent pour la protection de la biodiversité. Cette troisième partie va plus loin en proposant la généralisation d’une gestion différenciée des bords de champs, sans pesticides ni même de fertilisation, afin que l’activité agricole s’insère en limitant les impacts des activités humaines au sein de paysages résilients possédant nécessairement des infrastructures paysagères fonctionnelles.

 

Bords de champs et zones non traitées (ZNT)

Un bord de champ c'est une bande de 2 à 5 mètres d'un milieu différent qui est de toute façon un milieu de transition en termes de microclimat, de pression parasitaires par les bioagresseurs : adventices, limaces, cicadelles, zabre,… C’est aussi un espace qui en bout de champs est souvent sujet à un tassement important (fourrière ou tournière) et une surface où les applications d’engrais ou de phytosanitaires sont moins précises. En culture de maïs par exemple il y a toujours au moins 2 ou 3 rangs (environ 2 mètres) plus petits et moins productifs car ils font office de tampons vis à vis du vent, de la chaleur, des mauvaises herbes. De plus sur ces bordures il n'y a pas de recroisement des applications de phytosanitaires ni d’engrais... Bref ce ne sont pas les surfaces les plus productives de la parcelle.

La mise en œuvre des zones non traitées dites « riverains » est plus que laborieuse : c’est loin d’être un exemple de démarches participatives et démocratiques. La voie choisie de chartes départementales définies unilatéralement par les représentants des utilisateurs ne permet pas la moindre pédagogie ni donc l’adhésion des riverains à la démarche. Pour l’information des riverains le recours au BSV est évoqué tout comme l’utilisation du gyrophare lors des traitements nocturnes. Cela ne semble pas très sérieux : les BSV (Bulletins de Santé des Végétaux) sont destinés aux professionnels, ils sont très techniques et donc pour le moment peu accessibles au grand public.

Les agriculteurs du Nord et du Pas de Calais viennent de manifester contre les « ZNT riverains »: pour ces deux départements, ils chiffrent ces « ZNT riverains » à 5000 ha pour les deux départements, qui sont très peuplés, et ils demandent une indemnisation du préjudice! (source France Agricole). Mais le non traitement avec des produits phytosanitaires ce n'est pas un rendement nul sur une zone non traitée. On peut y  pratiquer du désherbage mécanique, adapter les doses de semis, prévoir un choix de variétés peu sensibles aux maladies, voire opérer un changement d’espèces cultivées (orge de printemps autour d’un maïs par exemple et pourquoi pas la mise en place d'une bande enherbée, mellifère ou tout autre couvert végétal diversifié propice à la biodiversité.

Pour des cultures très spécifiques comme la vigne, c’est une reconception de système qui s’impose pour être en capacité de mettre en œuvre des zones de non traitement. Les informations récentes en provenance des vignobles en AOC sont d’ailleurs prometteuses : la demande champenoise d’inscription expérimentale d’un cépage résistant dans le cahier des charges vient d’être acceptée. Le cépage Voltis est un cépage ayant une résistance polygénique au mildiou et à l’oïdium. Cet agrément d’une variété d’intérêt à fin d’adaptation (VIFA) était une évolution réglementaire attendue afin de pouvoir répondre aux enjeux sociétaux des zones de non traitement. Cela permettra de fortement réduire les traitements fongicides sur les rangs de bordures qui seraient à l’avenir plantés en cépages résistants.

 

Généraliser les zones de non traitement à tous les bords de champs ou îlots parcellaires

Lorsque l’on élargit la notion de zone non traitée bien connue en termes de protection des cours d’eau et points d’eau aux enjeux de santé publique (riverains résidentiels ou travailleurs) et aux enjeux de protection de la biodiversité terrestre, on arrive à une complexité que les organisations professionnelles trouvent exagérée. Pourtant au départ chaque type de ZNT possède ses justifications techniques et scientifiques qui s’imposent à nous : de nombreuses raisons conduisent donc à reconsidérer notre approche des bords de champs à commencer par le bon sens. Il faut généraliser les zones non traitées autour des champs et des îlots cultivés, y compris en agriculture biologique (cuivre,…) : voir schéma d’illustration ci-dessous. Cela nous conduira parfois à avoir des ZNT non exigibles dans le cas de certaines spécialités employées pour lesquelles une ZNCA n’est pas requise. Ce n’est pas la biodiversité qui s’en plaindra, elle est malheureusement une grande silencieuse et toujours une grande perdante, qui par exemple n’intéresse pas ou trop peu les décideurs ni les candidats aux élections…

Mes réflexions sont également issues des longues années passées « à me battre », en Franche-Comté et en Lorraine, contre les traitements de confort voire inutiles. Nous suivions notamment des témoins non traités (mis en défens) pour les observations biologiques (et la santé des observateurs) qui bien souvent se démarquaient très peu de la partie protégée de la parcelle.

A l’issue d’un débat peu glorieux lors de la clôture de la 23ème conférence du COLUMA de décembre 2016 à Dijon (AFPP/Végéphyl) j’ai rédigé un premier article sur ce sujet début 2017, avec des compléments publiés à plusieurs reprises depuis :

- https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2017/02/vers-une-gestion-differenciee-des-bords-de-parcelles-agricoles.html

- https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2019/07/des-bords-de-champs-de-transition-et-de-protection-de-la-biodiversite-zones-tampon-biodiversite-generalisees.html

 

J’imagine les cris d’orfraies qu’une telle (r)évolution des bords de champs pourra susciter. Mais rappelons qu’il ne s’agirait pas de zones non productives. Nous sommes bien moins regardant lorsqu’il s’agit de produire des plantes à vocation énergétique au détriment des cultures alimentaires. Faisons un rapide calcul théorique pour la France entière. Si l'on prend pour chaque hectare l'hypothèse d'un côté avec ZNCA/ZNT soit 100 mètres linéaires de 5 mètres de largeur (soit 500m2), cela donne "à la louche" 700 000 ha de terre arable concernés par cette gestion différenciée. C’est-à-dire 5% de la surface agricole travaillée qui de facto ne recevrait plus aucuns pesticides tout en restant productif. Cela correspond à un peu plus de dix ans d’artificialisation des sols. Processus qui conduit à une destruction quasi irrémédiable de la capacité nourricière d’un sol : 593 000 ha artificialisés entre 2007 et 2017, en sachant que les terres qui disparaissent font souvent partie des meilleurs sols agricoles (Dossiers Agreste d’avril 2021).

Nous devons regarder les bords de champs différemment. Si cela permet de sauver les pollinisateurs sauvages, de redonner à manger à nos passereaux en forte décroissance, ... je trouve que le jeu en vaut la chandelle.  D'autant qu'en agriculture il est possible de financer et de « primer » des surfaces agroécologiques, en répartissant mieux les aides. En prenant soin bien sûr de tenir compte, par  une majoration, des secteurs à petites parcelles bocagères qui par définition ont plus de bordures et donc plus de biodiversité à protéger. Il paraitrait d’ailleurs possible de réduire la largeur de la ZNT à 3 mètres en présence d’une haie ou d’un talus.

 

Vers une gestion différenciée des bords de champs,

favorable à la biodiversité et à la résilience de nos territoires

            Compte tenu des multiples enjeux liés à la gestion des bordures de parcelle, que nous venons d’aborder dans cette série de trois articles, il paraît important de prévoir une réelle réflexion sur le sujet avec tous les acteurs des territoires. Il y a urgence et les freins à lever sont importants. Mais pour être complet et avoir une vision globale autour de la biodiversité terrestre il paraît nécessaire de s’intéresser également à la fertilisation des bords de champs et plus particulièrement à l’azote qui est le facteur nutritif prédominant de la croissance des plantes. Quel que soit la forme de l'apport de fertilisants azotés cela entraine une modification de la flore. Les plantes messicoles[i] en particulier font partie des nombreuses plantes ne supportant pas la concurrence. Le meilleur « spot » de messicoles que je connaisse se trouve en Haute Loire, à Jax, autour des champs de moissons d’un agriculteur réalisant de très faibles apports azotés et ne désherbant pas.

Les plantes les plus exubérantes en présence d'azote non limitant sont bien sûr les graminées sélectionnées en ce sens (dactyle, ray grass,…), mais aussi des adventices  nitrophiles et très opportunistes (ortie, stellaire, crucifères, lamier, rumex, chénopodes,...). Pour créer autour des champs de véritables zones de transition à vocation agroécologique il convient donc de ne pas fertiliser en azote les tours de parcelles. Cette sobriété azotée concerne les engrais chimiques mais également les formes d’apports organiques : les plantes nitrophiles ne font pas de différence entre des nitrates d’origine chimique ou organique voir naturelle (dégradation de la matière organique des sols). Donc pas de lisiers mais pas non plus de fumier sur les bords de champs. C'est ce qui est d’ores et déjà conseillé pour la protection de la flore des prairies naturelles, dans les secteurs sous signe de qualité (AOC/AOP) qui s'y intéresse, en Auvergne[ii] notamment

- https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/01/protection-des-riverains-biodiversite-et-pesticides-instaurer-autour-de-tous-les-champs-des-zones-non-traitees-en-changeant-les-prat

.

Avec les arbres champêtres et les haies qui ont commencé un grand retour, les prairies naturelles et les bords de champs ont un rôle capital à jouer face au changement climatique et aux enjeux globaux. Tout ce qui est favorable à la biodiversité et à la résilience des territoires doit être mis en œuvre. Nous devons progresser vers un bon état de tous nos territoires et ce à tous les niveaux et dans tous les compartiments environnementaux : eau, air, sols, paysage, biodiversité,….

Mais il semble évident que maintenant il faut faire vite. Toutes les parties prenantes doivent participer aux démarches novatrices en privilégiant les solutions fondées sur la Nature, sans s’appuyer sur les mirages technologiques (aux cycles de vies généralement très peu empreints de sobriété). Il faut aussi minimiser au maximum les lourds dangers environnementaux que font planer sur nos campagnes toutes les technologies de la transition énergétique qui actuellement ne prévoient aucunes clauses compensatoires, malgré des atteintes environnementales caractérisées sur les différents milieux, notamment par les grandes exploitations énergicultrices.

Pour avoir, depuis 30 ans, travaillé sur les pollutions diffuses, la reconquête de la qualité de l’eau et sur les dispositifs paysagers d'atténuations, tels que les bandes enherbées, force est de constater que nous sommes loin du compte si l’on vise l’obtention de territoires ruraux résilients. L’atténuation des marées vertes et l’application de l’intégralité de la réglementation phytosanitaire méritent et mériteraient une large réflexion collective en ayant une vision véritablement globale des enjeux et des possibilités d’atténuation des transferts aériens et hydriques des contaminants. Il faut dépasser les limites strictes des réflexions en « silos » qui interviennent sur fond de revendications corporatistes et se traduisent par trop de frilosités répétées notamment au fil des programmes d’actions nitrates ou Ecophyto successifs.

Une ZNT généralisée de 5 m (3m si présence de haies ou talus) bénéficiant d’une gestion différenciée des bords de champs permettrait d’avoir une mesure simple, parfaitement identifiable (et donc contrôlable). Après les 30 (+ 30) glorieuses qui ont déstructuré l'hydraulique agricole, le maillage parcellaire et réduit les espaces de biodiversité, il faut avoir le courage de trouver autre chose que des remèdes trop peu efficaces, qui sont souvent des cautères sur des jambes de bois. Il faut dépasser la marchandisation des Bonnes Pratiques Agricoles (MAEC, PSE, …)[iii] trop restrictive pour assurer une gestion ambitieuse des pollutions diffuses diverses et une réelle résilience de nos territoires et de nos paysages au changement climatique.

 

 

[i] Les plantes messicoles, sont des plantes annuelles à germination préférentiellement automnale ou hivernale et habitant dans les moissons, c’est-à-dire dans les champs de céréales d’hiver

[ii] Le Hénaff P.M. et al. ;  2021 - Végétations agropastorales du Massif central - Catalogue phytosociologique des milieux ouverts herbacés. CBN du Massif Central.

[iii] Mesures Agro-Environnementales et Climatique, Paiement pour Services Environnementaux

Bande enherbée matérialisant parfaitement la ZNT "riverains", Lotissement de la chèvre verte à Ste Julie-Ain (21 10 2021)

Bande enherbée matérialisant parfaitement la ZNT "riverains", Lotissement de la chèvre verte à Ste Julie-Ain (21 10 2021)

Bonne protection d'une haie à généraliser. Ici une ripisylve bordant un cours d'eau BCAE, BV du Boulon à Danzé-41 (23/04/2014)

Bonne protection d'une haie à généraliser. Ici une ripisylve bordant un cours d'eau BCAE, BV du Boulon à Danzé-41 (23/04/2014)

Bordure de champs : les rangs de maïs du bord sont nettement plus petits, St Caradec-22 (25/08/2019)

Bordure de champs : les rangs de maïs du bord sont nettement plus petits, St Caradec-22 (25/08/2019)

Habitat dans les vignes : à protéger dea applications de phytosanitaires, St Emilion (21/05/2016)

Habitat dans les vignes : à protéger dea applications de phytosanitaires, St Emilion (21/05/2016)

Tag(s) : #Territoires résilients, #Règlementation phytosanitaire
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