Orientations agricoles de la Région Bretagne : vers plus de transversalité ?
La région Bretagne est fortement concernée par l'évolution de ses agricultures globalement très productives qui occupent 61 % de son territoire. Les activités agricoles pèsent lourdement sur l'état de son environnement et des milieux: biodiversité, cours d'eau, eau potable, air, eaux littorales,... mais aussi sur l'évolution de ses paysages. En fonction de ses compétences, et même plus largement, le Conseil Régional se positionne et agit, par exemple sur les programmes innovants de Breizh Bocage. Mais les effets prévisibles du changement climatique accélèrent les besoins en actions ambitieuses visant à augmenter fortement la résilience de nos champs et nos campagnes (et bien sûr de nos villes). Il convient d'atténuer avec détermination les effets peu pertinents des jeux d'acteurs et de postures qui participent à ralentir les transitions nécessaires. Nous avons les compétences, mais nous avons besoin de plus d'impartialité dans les orientations à choisir et dans les prises de décision. Avec plus d'aléas climatiques, de pluies intenses, d'inondations, de coulées de boues, de sécheresses longues et d'impasses technico-économiques, nous paierons cher demain nos erreurs d'aujourd'hui, et bien sûr celles d'hier que nous n'aurons pas atténuées.
Mon courrier du 22 février 2024 au président de la Région Bretagne s'inscrit dans cette réflexion visant à être le plus efficient possible sur les plans agronomiques, environnementaux, et paysagers.
En voici la teneur principale (le courrier intégral est en fichier joint ci-dessous)
Pour avoir parcouru les champs dans toute la France et dans une partie de l’Europe, j’ai la certitude qu’une agroécologie ambitieuse, efficace et pertinente est l’avenir de l’agriculture[1].
Or je suis tenté de dire que la Bretagne possède, face aux aléas actuels et futurs, plus de handicaps que d’autres régions : nos sols plutôt limoneux et notre réseau hydrographique dense sont très propices aux transferts hydriques de polluants (pesticides, nitrates, phosphore,…). Le climat océanique est encore actuellement favorable à l’élevage, aux légumes et au maïs. Mais ce climat, qui a permis d’intensifier les pratiques agricoles dès les années 70, et de concrétiser le slogan de l’époque : « vivre au pays », a aussi conduit à dépasser très largement les capacités de résiliences des territoires bretons. Les pics de pollutions diffuses (nitrates et pesticides) des années 90 en sont les témoins. Malheureusement ces « sommets » servent à dire que nous faisons collectivement mieux. C’est exact mais le volontariat n’est pas le levier majeur de cette amélioration et nous sommes très loin d’avoir regagné les capacités de résilience nécessaire et d’avoir adopté les pratiques agricoles et d’aménagement du territoire compatibles avec la vulnérabilité de nos milieux.
Le conseil régional réalise un travail important et courageux, mais les responsables professionnels et économiques semblent peser et contraindre fortement les choix proposés. La mise en avant de certaines adaptations paraît discutable sur le plan agronomique, par exemple :
- les cultures de légumineuses : elles sont agronomiquement délicates et économiquement incertaines.
- en pesticides : la Bretagne est faussement en avance car le maïs et le blé sont les cultures où les baisses d’IFT, voire le zéro-phyto, sont les plus aisées,
- nos rotations : elles deviendront simplistes si les prairies, notamment permanentes, ne sont pas suffisamment préservées : c’est un outil majeur d’adaptation aux aléas climatiques.
- la lutte contre les nitrates : elle doit impérativement passer par des actions pérennes grâce à des éléments du paysage tels que des zones tampons humides à créer, des prairies et des boisements de bas-fond à préserver, réimplanter et optimiser.
- dernier exemple, la création de retenues collinaires : ce stockage artificiel ne peut raisonnablement se faire que si l’on a tout fait pour améliorer le stockage de l’eau dans les sols agricoles, au sein des surfaces d’intérêt écologiques (haies,...) et des paysages ruraux : tassements, teneur en matière organique, réduction de la taille des parcelles et du ruissellement (grâce à la porosité et à la rugosité des sols), ripisylve et réduction de l’évaporation,…. Sinon c’est mettre des cautères sur des jambes de bois !
Globalement la protection des sols bretons n’est pas suffisamment prise en compte dans les propositions de la Région. Même remarque pour l’insuffisance de la prise en compte globale des activités humaines sur nos territoires. Les surfaces agricoles occupent 60 % du territoire breton, l’emploi des phytosanitaires, en premier lieu les herbicides, y est majoritaire. Or nos ressources en eau potable sont essentiellement des captages en eaux superficielles (prises d’eau en rivières ou barrages) : il est donc inconcevable et sans fondement que la profession agricole bretonne soit opposée à la mise en place des Aires d’Alimentation de Captages de surface. Nous n’avons pas le choix, il faut agir collectivement en commençant par créer un sentiment d’appartenance collective aux territoires (bassins-versants) qui nous alimentent en eau. Le cas du métabolite ESA-métolachlore est édifiant : En Bretagne les premières alertes généralisées date de 2017, or très peu d’actions d’envergure ont été engagées, alors que les agriculteurs, leurs agronomes et donc nos préfets avaient la solution. C’est l’interdiction règlementaire au niveau national qui permettra de regagner un peu de confiance mais seulement en 2025…
Pour résumer, nous devons augmenter fortement la résilience de nos territoires afin de favoriser le stockage de l’eau dans les sols et au sein de paysages suffisamment renaturés. Les besoins sont immenses car nous devons corriger les nombreux aménagements inadaptés des 60-70 dernières années et revisiter les parcelles uniformisées, les cours d’eau rectifiées et recalibrés. On pourrait imaginer que les dépenses publiques, et notamment celles de la région, soient autant consacrées aux actions préventives qu’aux actions curatives souvent de types techno-solutionnistes (par exemple : hydraulique douce versus hydraulique dure, agriculture biologique versus stations de potabilisation (toujours plus sophistiquées et onéreuses)).
Grace aux évolutions des collectivités locales et aux moyens financiers mis en œuvre nous avons maintenant des services publics de l’eau et des compétences accrues au sein de ces collectivités : GEMAPI, SAGE et Bassins versants, Bocage,… Nous possédons donc, me semble-t-il, les compétences pour objectiver nos visions de territoires et avoir une approche globale de la protection de notre environnement. Les revendications actuelles du monde agricole autour de ces sujets sont bien souvent non objectives et dangereuses pour l’agriculture, la biodiversité, les capacités d’adaptation (et ce vis-à-vis du long terme mais aussi d’ors et déjà pour le moyen voire le court terme).
Nous devons par tous les moyens rustiques disponibles ralentir l’eau. La priorisation des diagnostics réservée aux captages prioritaires n’a plus de sens : il nous faut, sur tous les territoires généraliser les diagnostics des écoulements hydrauliques en parcelles et autour (travail du sol, rugosité de surface, rigoles d’érosions et ravines, zones de sources, fossés, fossés élargis, noues, petits ralentissements dynamiques...). Et réaliser de même des diagnostics du petit chevelu hydrographique et des annexes : ruisseaux, zones humides, ruisseaux déclassés en fossés, prairies humides, fossés routiers,… Ces diagnostics sont complémentaires car par exemple les fines et sédiments qui colmatent les frayères sont le plus souvent originaires de parcelles anormalement ruisselantes voire aussi de dysfonctionnement de fossés routiers (tempête Alex d’octobre 2020): « les coulées de boues ne doivent plus être automatiques ».
Afin de faciliter les mises en place de solutions d’ingénieries écologiques fondées sur la nature il faut tendre vers une règlementation « PAC » résolument en accord avec les besoins importants de l’agroécologie et du bon sens.
Enfin il convient de renforcer la prise en compte des avancées scientifiques[2] notamment autour des solutions fondées sur la nature et l’hydrologie régénérative (qui ont du mal à franchir les limites de la Bretagne…) : il me semble incongru qu’un des éléments du paysage qui serait le plus utile contre les nitrates ne soit pas mobilisé : les zones tampons humides. Positionnées en sorties de drainage ou en coins de parcelles, les effets sont scientifiquement prouvés (abattement de 30% des concentrations en nitrates).
Je perçois la complexité apparente de mes propositions mais en réalité sur le terrain, les choix à faire varient en fonctions des contextes pédoclimatiques et de l’état des lieux paysagers. Ils se résument généralement à mettre œuvre un nombre d’actions limitées mais pertinentes, qui sont souvent adaptables aux pratiques des agriculteurs:3]Alternatives à la mesure de gestion règlementaire « dispositif végétalisé permanent de 20 m » .
[1] https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2024/02/l-agroecologie-est-l-avenir-de-l-agriculture.html
[2] Dommage que le CRESEB entretienne le "dédoublement " du monde agricole : travail privilégié avec les filières qui ont un très lourd passé d'atteintes environnementales.
[3] Mesures de gestion du ruissellement en France, Quelles mesures alternatives au dispositif végétalisé permanent de 20 m ? Le Hénaff et al, 2016. https://www.cabidigitallibrary.org/doi/pdf/10.5555/20173254421
Courrier adressé le 22 février 2024 à M. Loïg Chesnais-Girard président du Conseil Régional de Bretagne
Petite zone tampon humide nouvellement créée en sortie de drainage : AAC La Bultière Vendée (20 janv 2014)
Algues vertes sur vasières (pas de plan d'action en cours, ni prévu) Le Lédano à Paimpol (16 juillet 2022)