Règlementation sur l’application des pesticides, partie 2. Nouveau statut agroécologique pour les bords de champs ?
La règlementation autour de l’emploi des pesticides se durcit en permanence, en lien avec la progression des connaissances scientifiques et une meilleure évaluation des risques. Plutôt que de chercher par tous les moyens à retarder la mise en place réelle sur le terrain des mesures de gestions des risques, environnementaux par exemple, il vaudrait mieux lancer des expérimentations ou démonstrations permettant de concilier exigences règlementaires et pertinences techniques et agroécologiques. Le passage en force des chartes départementales autorisant la réduction des largeurs non traitées destinées à protéger les riverains est souhaitons-le une survivance du monde d’avant.
Un véritable statut agroécologique pour les bords de champs ?
Lors de la préparation de l’arrêté du 4 mai 2017, portant sur les conditions d’applications des phytosanitaires, la FNSEA a vigoureusement refusée d’appliquer les mesures de protection règlementaires de la biodiversité en bords de champs (protection des arthropodes et de la flore non cibles) et aussi les mesures d’atténuations du ruissellement en bas de parcelles (dispositifs végétalisés permanents : DVP). Les modifications induites par l’arrêté « phyto » complémentaire du 29 décembre 2019 n’a pas actualisé ni donc mis à niveau la prise en compte de la biodiversité et du potentiel agroécologique des bords de champs. Si les ZNT riverains se mettent en place actuellement (timidement !!) nombreuses sont encore les applications non conformes à la loi autour des champs bordés par des espaces naturels ou semi-naturels (vis-à-vis des zones non cultivées adjacentes : ZNCA).
Il s’agit pourtant de mesures de gestion bénéfiques (par définition, et demandées si nécessaire depuis 2011 dans les autorisations de mise sur le marché) pour la biodiversité de nos campagnes et donc pour l’agroécologie. Une réelle prise en compte des risques de ruissellement serait par ailleurs du plus grand intérêt vis-à-vis du maintien de la fertilité des sols et du changement climatique : atténuation des événements pluvieux intenses et limitation des coulées de boues, mise en place de zones tampons en tête de bassins hydrographiques et meilleures infiltrations de l’eau (et donc meilleur soutien d’étiage des cours d’eau). A mon sens les tergiversations autour des contraintes imputables à l’emploi des phytosanitaires nous ont fait perdre et nous font perdre un temps précieux dans l’adaptation des paysages agricoles au changement climatique : pour qu’une haie participe pleinement à augmenter la résilience d’un îlot parcellaire il faut 10 à 20 ans minimum. Dans le même temps il faut bien sûr être respectueux de l’existant et notamment des haies matures sur talus ou sur murgers, ce qui n’est pas toujours le cas en zones intensives comme en en Bretagne où sur les plateaux à Comté du Doubs.
Gestion différenciée des bords de champs, les solutions existent ; innovons dans leurs mises en œuvre
L’établissement de ZNT riverains (puis, espérons-le prochainement, des ZNT biodiversité ?) doit agronomiquement induire des changements par une gestion différenciée des bords de champs (voir article du 8 février 2017 puis du 16 septembre 2019 de ce blog). Malheureusement pour l’heure, c’est plutôt d’une indemnisation des surfaces perdues (sic) pour l’agriculture dont on entend parler. Certaines organisations agricoles évoquent des pertes de récolte importantes. Des arguments qui ne tiennent pas : une terre où ne sont pas appliqués des pesticides n’est pas retirée à l’agriculture. En outre, les bordures de parcelles sont des espaces de transition, plus sensibles à différents aléas (conditions climatiques, bioagresseurs plus nombreux…) et qui sont donc fondamentalement moins productifs.
Les ZNT riverains, tentent de répondre à un enjeu fort de santé publique, en lien avec des exigences scientifiques, qui augmenteront encore dans l’avenir. Tous les bords de champs doivent acquérir un nouveau statut agroécologique: gestion différenciée éligible aux aides, permettant également le respect des mesures de protection de la biodiversité (ZNT dite ZNCA, et DVP). Appelons de nos vœux une mise en œuvre exemplaire des zones non traitées de protection des riverains, gage de relations apaisées entre les ruraux. Avec une loi foncière en préparation, il est par ailleurs imaginable d’élargir fortement l’éligibilité des parcelles pour les baux ruraux à clauses environnementales, et ouvrir ainsi le dialogue entre propriétaire-bailleur et agriculteur-preneur.
Des bords de champs favorables à la biodiversité : une clef importante pour une véritable transition agroécologique
Associées à une meilleure affectation et à une revalorisation des aides agro-environnementales, nous aurions, avec des bordures de parcelles riches en biodiversité, un réel point d’appui pour une véritable transition agroécologique. En zone céréalière d’openfield par exemple, nous aurions besoin de 4-5% (voire 10%) de zones naturelles ou semi-naturelles au sein des paysages agricoles. S’opposer par principe à des évidences de simple bon sens est irresponsable. Il faut techniquement et intellectuellement, être capable de marcher sur deux jambes : produire mais en bonne intelligence avec les milieux. Des success-stories sont la preuve des possibilités économiques et techniques autour des zones tampons, des infrastructures agro-écologiques (IAE), des éléments du paysage, dont certains sont appelés aussi surfaces d’intérêts écologiques (SIE) dans le cadre de la PAC.
Les réussites locales s’appuient sur des initiatives de terrains souvent relayées ou suscitées par des structures soutenues dans le temps par les collectivités, comme par exemple pour la promotion des haies. Il faut décupler les efforts, mettre en œuvre un plan Marshall, pour l’adaptation du parcellaire agricole au changement climatique et à la sauvegarde de la biodiversité de nos campagnes. En ces temps compliqués sur le plan financier, une contribution volontaire sur le gros matériel agricole (de type malus) me paraîtrai logique. Le matériel de plus en plus lourd, avec des largeurs de travail grandissantes voire démesurées y compris en récolte de l’herbe, pousse depuis plus d’un demi-siècle à l’agrandissement sans fin des parcelles, avec à la clé :
une destruction du maillage parcellaire,
un appauvrissement des habitats diversifiés (haies, bosquets, zones herbacées,…),
une atteinte aux zones humides, aux mares, et aux petits ruisseaux souvent déclassés en fossés ou busés !,
une accentuation de l’érosion et des coulées de boues,
un tassement des sols mal apprécié et surtout mal pris en compte,…
Par exemple en sols à texture limoneuse, le ruissellement devient difficilement gérable au-delà de 200 m de longueur de parcelle ! Ou alors il faut avoir une stratégie de prévention. La nécessaire atténuation du volume d’eau ruisselé qui arrive en bas de parcelle passe par la combinaison de différentes techniques ou de dispositifs adaptés : zones enherbées, talus, haies, modification du travail du sol (voire l’abandon de celui-ci) auxquels s’ajoute bien sur une réelle mosaïque parcellaire entre notamment cultures de printemps et cultures d’hiver (assolements partagés).
Nous ne prévoyons, ne maîtrisons, ne savons pas tout, mais nous pouvons, NOUS DEVONS, favoriser une meilleure résilience de nos campagnes.
« Faut-il vraiment tout connaître pour bien gérer ? Où faut-il bien gérer pour mieux connaître ? » Colloque Diva-biodiversité (2016).
Guy Le Hénaff, Agronome optimiste