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Transition énergétique, un coup dur pour les territoires agricoles et rurauxUne recherche de modération ou une fuite en avant interminable, au profit de certains ?

Nombreux sont les dispositifs d’énergie « verte » qui sont déjà réalisés ou qui sont en projet jusque dans les plus petites communes françaises. Nombreux sont les agri-managers qui sont devenus ou qui deviennent ainsi des énergiculteurs. Pour un grand nombre de territoires ce n’est pas franchement une bonne nouvelle. Certes le développement des activités humaines a rarement tenu compte de la vulnérabilité des milieux mais est-ce une raison pour continuer en 2021? Maintenant, nous avons les connaissances : géologie, pédologie, hydrogéologie, organisation des paysages, processus de transferts des polluants, biologie des sols, données économiques et sociologiques, dispositifs d’aides agroécologiques,… Les méthodologies et les moyens de déterminer les capacités de résilience d’un paysage agraire existent vis-à-vis des pratiques et des aménagements anciens mais aussi en lien avec le développement de nouvelles activités.

J’aborderai succinctement le développement des fermes éoliennes depuis maintenant 20 ans. Les emprises au sol sont raisonnables et les atteintes aux milieux naturels et aquatiques sont globalement d’ampleurs modérées et peuvent être intelligemment minorés. Il existe néanmoins, pour moi, des doutes légitimes vis-à-vis du démantèlement dans l’avenir des ancrages en béton. La législation impose néanmoins un provisionnement financier et nombreux sont les composants réellement recyclables. A suivre donc la réalité du recyclage dans les années à venir.

Pour l’agronome que je suis, l’agrivoltaïsme ne suscite pas un enthousiasme débordant et sauf cas exceptionnel je suis même contre. Certains penseront peut-être que mon atavisme paysan est rétrograde. Mais la terre nourricière doit en premier lieu être sacrée. Mettre des panneaux photovoltaïques au sol ? Oui sur des friches industrielles si l’impact paysager est limité, oui sur des serres ou des hangars déjà installés. Mais quid de l’artificialisation de sols « alibis » pour servir de support à de nouveaux sites comme des hangars spécifiques? Quid des ombrages pour des vignes, des parcours à moutons? Faut-il se prévaloir du changement climatique pour se permettre de créer des fermes photovoltaïques au sol ! Comme dans bien des domaines (véhicules électriques,…) tous les enjeux environnementaux sont rarement abordés alors que des ACV exhaustives (analyse des cycles de vie) devraient être le préalable à tout projet. Il faudrait éviter qu’à terme le citoyen paye pour les passe-droits octroyés de longues dates aux industriels. Je veux bien être dans la modération mais quid autour de moi de la pollution de l’air par un transport maritime inapproprié ou par l’ammoniac (NH3) émanent des élevages industriels?

Autre volet important, la production de méthane, improprement appelé biogaz : certes la méthanisation repose sur des processus biologiques mais l’origine des « rations » des méthaniseurs n’a rien de Bio et il s’agit de produire des gaz à effet de serre (CH4 et CO2). De petits méthaniseurs, conçus pour des fermes moyennes de polyculture élevage, sont acceptables dans le cadre d’une approche d’autonomie énergétique circulaire. Mais est-il raisonnable de soutenir des méga-projets de méthanisation dans des bassins versants lourdement modifiés et voire dégradés ? En effet dans nombre de territoires nous avons eu 60 ans de modernisation menée sans fil conducteur si ce n’est un asservissement, quel qu’en soit les inconvénients, à la productivité et à la mécanisation.

La photo ci-dessous qui illustre l’implantation d’un méthaniseur à Languenan (22) est intéressante : outre une parcelle agricole artificialisée, nous sommes loin d'avoir un territoire apte à la mise en place d’une réelle agroécologie. A part un gainage encore présent de ripisylves le long des ruisseaux, il n'y a quasiment aucun espace, intra parcellaire ni entre les parcelles, propice à la biodiversité. Dans ce secteur du Val de Rance, ni les haies ni les pommiers hautes tiges n'ont résistés à l'agrandissement trop important du parcellaire agricole: c'est un paysage « beauceron » qui s’est mis en place. On imagine que les cultures qui "alimenteront" le méthaniseur (maïs énergétiques, cultures intermédiaires énergétiques (CIVE),...) vont accentuer la spécialisation des rotations et alimenter la course au gigantisme du matériel et donc les tassements des sols et l’érosion. Autre secteur fragile qui sera fortement impacté par des nombreux projets de méthaniseurs : la Bresse dite savoyarde, c'est-a-dire le sud de la Bresse située dans l'Ain. Cette petite région a été fortement remaniée par les remembrements et le drainage. Le bocage bressan a été fortement réduit, les ruisseaux de petits talwegs ont été busés pour laisser la place à de grandes parcelles de maïs. Et au lieu d'atténuer les atteintes du passé maintenant bien connues et identifiées, voilà que le développement de la méthanisation risque tout simplement de donner un coup de grâce aux dernières capacités de résilience agroécologique du territoire bressan. Il est inconcevable que de tels projets subventionnés ne soient pas soumis à une obligation de sobriété environnementale. Une limitation théorique des surfaces consacrées aux cultures énergétiques, non contrôlée, est totalement insuffisante, car le risque est grand de dégrader définitivement des territoires déjà vulnérables. Le colza diester a participé à contaminer les nappes phréatiques (métazachlore et ses métabolites) et les cours d'eau, le maïs, ration idéale pour méthaniseur, est quant à lui une pompe à S-métolachlore et métabolites et bien sûr à nitrates. Il est plus que souhaitable que les itinéraires techniques des agriculteurs méthaniseurs soient véritablement agroécologiques et donc à très faibles impacts environnementaux. Il faut mettre en place des itinéraires techniques à faibles impacts: limitations maximales de l'érosion, progression des taux de matières organiques dans les sols, contrôles de fuites de nitrates (analyse systématiques des reliquats azotés post-récolte), couverts hivernaux semés avant récolte et bien sûr conduite des maïs énergétiques sans herbicides.

Pour ma part, je pense qu'il faut raisonner "territoire" et qu'il faudrait aller vers un Diagnostic de territoire et parcellaire multi-approches en évaluant tous les compartiments : agronomie (transferts & préservation des sols), hydraulique, changement climatique et bien sûr les enjeux biodiversité. Mais cela nécessite de faire évoluer les méthodes de diagnostic parcellaire des Chambres d'agriculture (DPR2 en Bretagne, diagnostic Arvalis ailleurs) et surtout de mobiliser un diagnostic territorial objectif, complet, obligatoire et pérenne (bancarisé), mené par au moins deux structures complémentaires (biodiversité-bassin versant et agriculture).

Territoire nord de Languenan-22 (vue Géoportail): projet d'implantation d'un méthaniseur = artificialisation et non pas transition vers l'agroécologie!

Territoire nord de Languenan-22 (vue Géoportail): projet d'implantation d'un méthaniseur = artificialisation et non pas transition vers l'agroécologie!

Vue du bassin versant du Charlet depuis le Puy St Sandoux (avril 2014, Puy de Dôme)

Vue du bassin versant du Charlet depuis le Puy St Sandoux (avril 2014, Puy de Dôme)

Tag(s) : #Territoires résilients, #Chroniques de territoires
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