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Bretagne et algues vertes: peut-on naviguer par gros temps avec des œillères ?

 

Sans être marin, on peut facilement imaginer que pour affronter des conditions difficiles et atteindre des objectifs ambitieux il faut être en possession de tous ses moyens et être en capacité de mobiliser toutes les connaissances et les capacités à agir.

Or face au problème des nitrates en Bretagne, et ailleurs (Franche-Comté,…), tous les leviers d’actions ne sont pas mobilisés. Certes une meilleure maîtrise de la fertilisation est mise en avant, mais quid d’une réelle volonté de modifier les systèmes intensifs bretons déconnectés du sol (élevages, mais aussi légumes) ? Rien n’est fait (ou très peu) pour agir sur les transferts rapides de l’eau et des polluants associés : nitrates, pesticides, phosphore, contaminants biologiques.

C’est pourtant sur une méthodologie en trois parties logiques et ambitieuses que devrait s’appuyer la lutte contre les excès de nitrates pour se prémunir des marées d’algues vertes :

  • Réduire fortement les apports de nitrates : effluents animaux et engrais chimiques
  • Évoluer très rapidement vers des systèmes plus résilients avec des élevages liés aux sols et donc avec une production d’aliments pour animaux strictement cultivés localement.
  • Ralentir par tous les moyens disponibles, basés sur de l’ingénierie écologique et rustique, les transferts de l’eau brute de la parcelle à la mer, en agissant de façons très ambitieuses sur les chemins de l’eau.

Agir sur les chemins de l’eau est une nécessité, car face à l’ampleur des enjeux il faut actionner tous les leviers disponibles. Or cette approche transversale est la grande absente des différents plans algues vertes successifs (Plav), des propositions du 7° programme d’actions nitrates (PAN) et même dans les conclusions et recommandations du rapport de ce début juillet 2021 de la Cour des Comptes. Certes des actions d’aménagements et de reconquête des milieux (zones humides, cours d’eau, maillage bocager) ont été intégrées aux deux Plav. Mais les bilans sont décevants et il semble difficile de s’inscrire dans la durée comme l’exige pourtant ces dispositifs pérennes en termes d’efficacité.

Les recommandations du rapport de la Cour des Comptes occultent malheureusement complètement la nécessaire reconquête de la résilience de nos territoires agricoles : nous allons continuer à mettre des emplâtres sur des jambes de bois, sans avoir de vision d’ensemble ambitieuse de la structure paysagère des territoires. Pourtant un diagnostic rapide permet d’identifier les zones probablement les plus contributives en fuites d’azotes (et en pesticides, en phosphates, en sédiments,…). Ainsi une simple connexion via Géoportail® et le visionnage des vues aériennes (et de l’occupation des sols) du bassin versant de la plage du Ris à Douarnenez donne des indications précieuses sur le niveau des pratiques agroécologiques des agriculteurs. Sans travail de fond au plan paysager et sur le réaménagement des chemins de l’eau il semble impossible d’envisager une amélioration, sauf si une conversion massive à l’agriculture biologique ou à très faibles intrants est rapidement possible, bien évidemment accompagnée également de réaménagements paysagers sur les petits bassins versant.

Pour ma part avec mon parcours d’AgrEaunome, j'ai travaillé sur la vulnérabilité de nombreux territoires au service de la réduction des pollutions diffuses et de la protection des captages. Je trouve dommage en 2021, de ne pas mobiliser de façon volontariste et ambitieuse les techniques d’hydraulique douce et les méthodes naturelles de rétention de l’eau (MNRE). Vis-à-vis des nitrates, il parait incontournable de retisser un maillage de zones humides en tête de bassin versant au niveau des petits nœuds hydrauliques et coins de parcelles humides, en sortie des drainages agricoles,…. Testées et étudiées en sortie de drainage, les zones tampons humides artificielles (ZTHA) ont fait leurs preuves : un temps de résidence de 7 jours de l’eau de drainage au sein de la zone humide installée permet une baisse de 50% de la concentration initiale en nitrates. Dans les secteurs drainés, nous savons qu'il faut des zones tampons humides en bout de drainage (ZT Humides Artificielles) sur environ 1% de la surface pour avoir des abattements conséquents des pollutions diffuses: 40%, y compris en pesticides. En tous secteurs le ratio minimum consacré à l’ensemble des zones tampons doit être plutôt proche de 3-4%. Il faut installer des zones tampons humides ou enherbées-boisées sur les secteurs amont des bassins versant, en accord bien sûr avec les réglementations (loi sur l’eau, BCAE,..) et il faut réorienter efficacement les financements et les aides pour favoriser ce maillage.

On peut rétorquer qu’il s’agit de compensations qui permettraient ainsi de masquer des droits à polluer. Mais sur un sujet aussi majeur que les marées vertes nous avons besoin d’actionner toutes les modalités d’action possibles. Le manque d’ouverture intellectuelle n’est pas de mise : nous n’aurons pas de trop d’un système à entrées multiples combinant «ceintures et bretelles». Une réelle compensation positive a, me semble-t-il, toute sa place pour accompagner et sécuriser la baisse des niveaux de fertilisation et les changements de systèmes. De toutes manières il faut limiter au maximum les transferts de nitrates au printemps. Transferts liés notamment aux ruissellements en grandes parcelles de maïs. Depuis trois ans, les mois de juin sont très pluvieux et donc très favorables aux fuites de nitrates (de pesticides, de limons,…) : par exemple à Paimpol (22) les pluviométries des trois derniers mois de juin sont les suivantes : 82.6 mm en 2019, 177.2 mm en 2020 et 104.8 mm en 2021(sources Infoclimat.fr).

Et puis la multifonctionnalité des zones tampons offre de nombreuses perspectives  « gagnant-gagnant ». Le bocage a de son côté des avantages indéniables, mais malgré l’action Breizh-bocage il génère aussi des freins importants (entretien). Pourquoi la Bretagne ne mobilise-t-elle d’autres dispositifs de type tampons et d’intérêts écologiques qui offrent nombre d’avantages ? Demain, nous aurons besoin de territoires nettement plus résilients, aptes à encaisser les aléas du changement climatique. Alors utilisons tous les outils disponibles et si possible des outils pérennes et protégés, inscrits durablement dans nos paysages. Les fonds publics seront mieux utilisés et les bienfaits générés seront multiples : réduction des pollutions diffuses, augmentation des surfaces et espaces propices à la biodiversité, meilleure adaptation au changement climatique, atténuation des inondations et des coulées de boues, renforcement des Trames verte et bleue,…

L’avenir de notre région mérite mieux que les tergiversations de nombre d’acteurs voire les positions irresponsables de certaines filières agricoles. Il faut introduire de véritables ruptures sur les systèmes de production mais aussi plus prosaïquement sur les chemins de l’eau en corrigeant nos erreurs hydrologiques des 70 dernières années et en réaménageant l’ensemble de nos têtes de bassins versant le plus souvent asservies à un productivisme d’un autre âge.

Ne pas utiliser nos connaissances de terrains et les avancées des études scientifiques relève de l’inconscience.

Nos enfants et petits-enfants seront en droit de nous demander des comptes. Arrêtons la politique de l’autruche.

Vasière du Lédano : Plourivo-Paimpol (22) le 03 juil 2021

Vasière du Lédano : Plourivo-Paimpol (22) le 03 juil 2021

Echouages successifs sur grève à l'estuaire du Jaudy- Pleubian (22) le 03 juil 2021

Echouages successifs sur grève à l'estuaire du Jaudy- Pleubian (22) le 03 juil 2021

Tag(s) : #Territoires résilients, #Chemins de l'eau et diagnostics
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