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Nitrates, dépassons le plafond de verre : la restructuration des éléments tampons du paysage et de leur maillage est une voie indispensable.

Les programmes d’actions pour la lutte contre les nitrates d’origine agricole se multiplient au fil du temps ainsi que les plans algues vertes. En Bretagne, après une apogée délétère des teneurs en nitrates dans les eaux de rivières dans les années 1990, des améliorations ont été observées jusqu’en 2010. Mais depuis une décennie le niveau moyen des contaminations reste sur un plateau situé juste au-dessus des 30 mg/l de nitrates. Et le rythme des importantes marées vertes semble repartir ! L’effet climatique est invoqué, mais comme dans la lutte contre les pollutions diffuses par les pesticides, les actions structurantes sur les territoires à l’aide de nouvelles infrastructures paysagères restent très en deçà des nécessaires restructurations et notamment de la renaturation de l’hydraulique agricole. Nous sommes sans doute au terme des améliorations dues à de meilleures pratiques de fertilisation. Les progrès à venir passeront nécessairement par une réduction des importations massives d’azote, via les protéines du tourteau de soja, et par conséquence une réduction des cheptels. Mais également par une reconquête de la résilience des territoires ruraux : il faut ralentir l’eau avec des moyens naturels et de l’hydraulique douce, repenser le maillage parcellaire, remettre de l’herbe et des zones humides dans les endroits hydrologiquement stratégiques et y compris dans les amonts des versants. Et bien sûr ne pas permettre la fuite en avant : par exemple en continuant de dégrader les milieux au nom de la transition énergétique. Les exploitations qui mettent en œuvre la méthanisation n’ont pas vraiment actuellement un profil agroécologique souhaitable : elles doivent à minima (et en même temps) avoir une stratégie obligatoire de renaturation des parcellaires pour atteindre un haut niveau de résilience des ilots agricoles, car ces terres agricoles resteront vraisemblablement soumises à des pratiques agricoles très intensives, au nom du changement climatique !!

 

J’ai assisté le jeudi 18 novembre à l’un des quatre webinaires sur la « controverse nitrates » organisé en Bretagne par la DREAL et supervisé par le CNDP (Commission nationale du débat public) J’ai apprécié l’intervention de M. Pascal Kosuth en lien avec le rapport des conseils généraux nationaux (CGEDD et CGAAER) de contribution à l’évaluation des programmes d’action nitrates de novembre 2020. Ancien ingénieur-chercheur en pollutions-diffuses à l’Irstea de Lyon, j’ai bien sûr approuvé la mise en avant du drainage agricole comme « autres facteurs » défavorables à la maîtrise des fuites de nitrates (figure 13 de la page 40/147 du rapport). Nul doute que les travaux de Julien Tournebize et de son équipe d’Antony sur les zones tampons humides et leurs capacités d’atténuation ont fortement contribué à cette prise en compte.

Cependant, il me parait très utile d’élargir le champ de vision aux autres processus de transferts hydriques. Pour ma part j’ai le sentiment qu’en fait c’est surtout le caractère « hydromorphie » qui est globalement le facteur dominant. Cela se vérifie en Bretagne car l’hydromorphie des sols est le processus le plus représentatif des situations bretonnes, et ce quel que soit le type de substrat géologique : schistes (sols souvent drainés) ou granit et grès et leurs transferts hydriques hypodermiques.

En France la progression des zones vulnérables nitrates me semble assez étroitement liée au repli de l’herbe au profit du maïs et des cultures de ventes. Par contre le « simple » fait de développer des cultures dans des zones hydromorphes (avec ou sans drainage) conduit à utiliser des intrants (azote, phosphore, pesticides,…) en secteurs sensibles du point de vue hydrologique et donc à augmenter les surfaces recevant des intrants en contextes hydrauliques difficiles. Actuellement dans de nombreuses zones dites intermédiaires, où l’herbe était restée majoritaire en lien avec l’hydromorphie des sols,  la régression de l’élevage conduit à une poursuite de la céréalisation.  A contrario l’Inrae de Rennes (Oehler F. et Durand P., 2021 ; Projet MARS-TNT) vient de modéliser, pour la Baie à algues vertes de Saint Brieuc, la remise en herbe des zones basses présentant des remontées de nappes.

Malheureusement le caractère hydromorphe est, à ma connaissance, mal documenté et mal géo-référencé. Lors de nos travaux Irstea-Onema sur ARPEGES en 2011-2012 nous nous sommes basé sur les travaux de Ph. Lagacherie, 1989, rapportés aux bassins versants des masses d’eau (Pages 62 & 63 du rapport https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/pdf/RapportARPEGES_vf.pdf).

J’ajouterai que le croisement des critères hydromorphie/battance forte et drainage est celui qui illustrerai mieux le cas breton. Sur la partie granitique et gréseuse, les circulations hypodermiques constituent des circulations préférentielles qui interviennent en lien avec les arènes de décompositions présentes en bas des profils de sols. Il me semble qu’intervenir au niveau des nœuds hydrologiques proches des parcelles et des ruptures de pentes situées dans les amonts auraient un grand intérêt. D’autant que par ailleurs vis-à-vis des algues vertes être en capacité d’intercepter les circulations très rapides, issues du ruissellement et des écoulements printaniers parfois intenses en provenance des parcelles de maïs que viennent d’être fertilisées, serait à mon sens d’un grand intérêt. L’objet ZTHA  (zones tampons humides) ne concerne pas seulement les secteurs drainés : remettre de telles zones humides tampons, ou selon les besoins d’autres types de zones tampons en tête de bassin versant, pour intercepter les écoulements hypodermiques et le ruissellement présente par ailleurs de très nombreux avantages : biodiversité, soutiens d’étiage, adaptation au changement climatique,…

Le cas breton est bien sûr particulier, eu égard aux pressions azotées très importantes, mais d’autre régions sont et seront demain sans doute concernées notamment au sein du Massif Central (Monts du Lyonnais (prairies temporaires et maïs), plateau du Devès en Haute Loire (maïs),…). D’une manière générale les filières ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des milieux et des territoires avant de développer, parfois à l’extrême, certaines productions et techniques impactantes. C‘est par exemple encore le cas en 2021 dans le Velay pourtant assez préservé, où la production de lentilles associé à du maïs fourrage conduit à de trop grandes parcelles en pentes, aux structures de surfaces des sols très fragiles qui ainsi contaminent nombre d’affluents de la Loire (sédiments, pesticides, nitrates, phosphates,…). Une réflexion territoriale forte est également à mener sur les plateaux Karstiques du Jura où l’intensification des prairies à Comté, avec forts agrandissements parcellaires également !!, pèse très lourdement sur le milieu et a détruit les ex-spots à truites de renommée internationale (Loue, Doubs et affluents).

Je fais partie de la génération qui a vu s’amenuiser les capacités de résiliences des territoires agraires, comme en Franche-Comté ou en Bretagne, deux régions que je connais bien. Et aujourd’hui, j’ai un peu (beaucoup) le sentiment que la transition énergétique mal encadrée (méthanisation agressive pour les sols et les paysages) va bousculer la difficile mise en place d’une agroécologie qui devrait être généralisée et qui doit également passer par des changements de systèmes sur les territoires les plus vulnérables.

Ma conviction, que je ne suis pas le seul à formuler au plan régional et national, est qu’en pollutions diffuses, les actions sur les pratiques marquent le pas, et même une agriculture de précision menée sur des territoires hydrologiquement modernisés voire déstructurés ne résoudra pas tous les problèmes, s’il s’agit de pansements posés sur des jambes de bois !.

Il faut agir avec une grande détermination et des moyens financiers réaffectés utilement pour agir sur les chemins de l’eau et pour multiplier les infrastructures agroécologiques pérennes et efficaces en dépassant les niveaux actuels de success-stories disséminées sur trop peu de territoires novateurs comme certaines aires de captages. Demain nous aurons, je l'espère, une directive européenne portant sur la protection des sols : sur les exploitations intensives (surtout les grandes) il est urgent d'anticiper cette prise en compte des sols : ni les cultures intermédiaires, ni les PSE (paiements pour services environnementaux) actuels ne suffiront pas à remédier à 70 ans d’atteintes aux maillages parcellaires et à l'hydrologie agricole. Les agriculteurs en couverture permanente des sols ont exploré une partie du chemin, mais la route est encore longue et sinueuse vers une gestion durable des territoires ruraux et agricoles, nécessaire car ce sont les lieux d’un grand nombre d’aménités environnementales et de production d’une alimentation et d’une eau de qualité.

 

Plage, qui devrait être "idyllique" mais qui est maculée d'algues vertes, de la baie de Saint Brieuc cet été : Hillion (22) le 19 07 2021

Plage, qui devrait être "idyllique" mais qui est maculée d'algues vertes, de la baie de Saint Brieuc cet été : Hillion (22) le 19 07 2021

Bande enherbée de 10 m, un objet paysager à développer également le long des fossés, Lannion (22) le 19 nov 2021

Bande enherbée de 10 m, un objet paysager à développer également le long des fossés, Lannion (22) le 19 nov 2021

Tag(s) : #Territoires résilients, #Chroniques de territoires
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