Agir sur la fertilisation ne suffit plus, il faut accentuer les actions apportant plus de résilience aux territoires, et réduire les cheptels…
Cet article est ma contribution à la concertation préalable 7ème Programme d'Actions Régional Nitrates en Bretagne, déposée le 10 décembre 2021
Cette proposition est celle d'un agronome de terrain, spécialisé en fin de carrière sur les transferts hydriques de pesticides au sein des parcelles et des paysages agricoles, et imprégné par 40 ans d'attentions soutenues envers les messages nitrates des conseillers agricoles et autour des pratiques de fertilisations des agriculteurs. Je fais partie de la génération qui a vu s’amenuiser les capacités de résiliences des territoires agraires: remembrements, drainages et assainissements, fortes régressions du maillage de haies et des zones humides, recalibrage des réseaux hydrauliques,... et encore maintenant agrandissements parcellaires souvent sans cohérence avec les caractéristiques des sols et des pratiques culturales (perte de fertilité, érosion accrue, coulées de boues, remplissage des fossés de routes, colmatage des ruisseaux et frayères, envasements des ports et des fonds de baies, perte de biodiversité,...).
Les Plans d'actions nitrates se succèdent. En Bretagne les forts excès des années 90-2000 ont été atténués grâce notamment aux CIPAN, à une meilleure maîtrise de la fertilisation, et aux actions de résorption en zones excédentaires. Mais sur la dernière décennie 2010-2020 l'amélioration marque le pas et malheureusement les marées vertes reprennent de la vigueur. Il paraît indispensable d'impulser un nouveau rythme en explorant les moyens d'action laissés de côté :
- les dispositifs permettant d'atténuer les teneurs en nitrates entre les champs et les cours d'eau puis la mer
- la maîtrise d'un nombre d'animaux cohérent permettant de réduire fortement les importations massives d'azote (protéines du soja).
Il faudra en premier lieu éviter des aberrations figurant dans le 6° PAR, telle que la dérogation concernant les digestats de méthanisation ou les dérogations (au sein des SAGE) à l'obligation de bandes enherbées en bord de cours d'eau pour les baies à algues vertes de Lannion et Saint Brieuc. Ces deux types de dérogations sont sans fondement et sont même incompréhensibles, en 2021, d'un point de vue technique et agronomique.
Nous sommes sans doute au terme des améliorations et progressions importantes rendues possible par de meilleures pratiques de fertilisation, ou tout du moins ce n'est pas sur cette thématique qu'il faut investir tous les moyens financiers.
Le changement climatique est là (ou en Bretagne à notre porte), or les actions structurantes sur les territoires à l’aide de nouvelles infrastructures paysagères restent très en deçà des nécessaires restructurations et notamment de la renaturation de l’hydraulique agricole. Le dispositif Breizh-Bocage est une opération exemplaire au plan français et sans doute européen, mais il n'est pas suffisant à lui seul face aux effets de la "modernisation" excessive des parcellaires et du petit chevelu hydrographique en tête des bassins versants. En nitrates, comme dans la lutte contre les pollutions diffuses par les pesticides, les progrès à venir passeront nécessairement par une reconquête de la résilience des territoires ruraux : il faut ralentir l’eau avec des moyens naturels et de l’hydraulique douce, repenser le maillage parcellaire, remettre de l’herbe et des zones humides dans les endroits hydrologiquement stratégiques et y compris dans les amonts des versants : en sorties de parcelles, en sorties de drainage (sous-sols schisteux), en rupture de pentes (sous-sols granitiques ou gréseux).
Le rapport de novembre 2020 du CGEDD-CGAAER sur l'évaluation des programmes d'actions cite le drainage agricole comme "autre facteur défavorable à la maîtrise des fuites de nitrates". Or les travaux scientifiques et les tests sur le terrain montrent l'efficacité très intéressante d'un lagunage des eaux de sorties de drainage au sein de zones tampons humides : en nitrates mais aussi en pesticides. Avec de tels dispositifs aménagés sur 1% de la surface agricole drainée, nous aurions la reconstitution d'un merveilleux maillage de zones semi-naturelles en tête de bassin versant hydromorphe. Et pour être complet sur le cas de la Bretagne ce type de dispositif serait certainement pertinent dans les nombreuses situations à tendance hydromorphe de Basse Bretagne en secteurs granitiques ou gréseux.
Et bien sûr il ne faut pas permettre la fuite en avant : par exemple en continuant de dégrader les milieux au nom de la transition énergétique. Majoritairement les exploitations qui mettent en œuvre la méthanisation n’ont pas vraiment actuellement un profil agroécologique souhaitable : elles doivent à minima (et en même temps) avoir une stratégie obligatoire de renaturation des parcellaires pour atteindre un haut niveau de résilience des ilots agricoles, car ces terres agricoles resteront vraisemblablement soumises à des pratiques agricoles très intensives, pour "alimenter" les méthaniseurs au nom du changement climatique !!
Par ailleurs pour les élevages intensifs, il convient de mettre en place une réduction des importations massives d’azote, via les protéines du tourteau de soja, et par conséquence une réduction des cheptels.
Ma conviction, est qu’en pollutions diffuses, les actions sur les pratiques marquent le pas, et même une agriculture de précision menée sur des territoires hydrologiquement modernisés voire déstructurés ne résoudra pas tous les problèmes, s’il s’agit de pansements posés sur des jambes de bois !...
Il faut agir avec une grande détermination et des moyens financiers réaffectés utilement pour agir sur les chemins de l’eau et pour multiplier les infrastructures agroécologiques pérennes et efficaces en dépassant les niveaux actuels de success-stories disséminées sur trop peu de territoires novateurs comme certaines aires de captages. Demain nous aurons, je l'espère, une directive européenne portant sur la protection des sols : sur les exploitations intensives (surtout les grandes) il est urgent d'anticiper cette prise en compte des sols : ni les cultures intermédiaires, ni les PSE (paiements pour services environnementaux) actuels ne suffiront pas à remédier à 70 ans d’atteintes aux maillages parcellaires et à l'hydrologie agricole. Mais la route est encore longue et sinueuse vers une meilleure gestion des nitrates, des pesticides et vers une gestion durable des sols, des territoires ruraux et agricoles et des eaux littorales.
Gestion durable nécessaire, car les versants agricoles sont les lieux d’un grand nombre d’aménités environnementales et de production d’une alimentation et d’une eau de qualité.