Réactions au Dossier de la France Agricole « ZNT » du 4 mars 2022
Courriel du 6 mars 2022
J’ai lu avec beaucoup d’attention votre dossier du 4 mars sur les ZNT. Merci d’aborder ce sujet de façon sereine, technique et bien entendu règlementaire. Les témoignages recueillis sont particulièrement intéressants et traduisent me semble-t-il les positions de bons sens de très nombreux agriculteurs. Bravo pour le réalisme appliqué à la protection d’un fossé en Nord Deux-Sèvres et pour la gestion différente des ZNT riverains en Pays de Caux.
Agronome et expert « pesticides-environnement », j’ai travaillé 30 ans en protection des cultures (DRAF-SRPV : Franche-Comté et Lorraine) et j’ai fini ma carrière sur l’atténuation des pollutions diffuses (Cemagref/Irstea de Lyon). Actuellement je m’intéresse particulièrement aux capacités de résilience de nos territoires agricoles et ruraux et à la protection des aires de captages vis-à-vis des pollutions diffuses.
Je participe depuis plusieurs années à des travaux d’expertise auprès de l’Anses : groupe de travail sur les Lignes directrices pour la délivrance des décisions relatives à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et adjuvants (2015) et Comité de Suivi des Autorisations de Mise sur le Marché (2018 ; 2019-2021 ; (2022-2025)). C’est avec beaucoup d’attention que je m’intéresse au dossier des Mesures de gestion des risques applicables pour les applications de produits phytopharmaceutiques et adjuvants.
Je souhaite apporter des réflexions ou compléments à vos articles du 4 mars 2022 :
- Tous d’abord les ZNT ne sont pas des zones de non-production, et même avec des interventions phytosanitaires ce ne sont pas les zones les plus productives de la parcelle. En effet il s’agit de zones de transition vis-à-vis des conditions climatiques (vent, températures,…) et de certains bioagresseurs. Elles ne reçoivent généralement pas une fumure complète (sauf lors d’applications très précises comme celles d’engrais liquides) et il n’y a pas de recroisement des bouts de rampes lors des traitements phytosanitaires.
- Vis-à-vis des ZNT visant à protéger la biodiversité terrestre et dénommée ZNCA : zone non cultivée adjacente, je trouve que la position des organisations professionnelles est restrictive et un peu ancienne. Oui en 2011, la définition était floue et les craintes de voir disparaitre des haies étaient réelles. Mais aujourd’hui les études montrent, les unes après les autres, le déclin de la biodiversité dans nos campagnes et presque tout le monde a pris conscience de l’intérêt multifonctionnel des haies vis-à-vis des nombreux enjeux. Est-il raisonnable d’appliquer des produits phytosanitaires sur plus de 14 millions d’ha sans mettre en œuvre les mesures règlementaires de protection des arthropodes non cibles et de la flore non cible ? Car les ZNCA sont des mesures obligatoires demandées lors des AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) et figurant sur les étiquettes, elles devraient être respectées par les agriculteurs et par tous autres applicateurs. Le refus catégorique de la profession agricole en 2016 de voir ces zones ZNCA figurer dans l’arrêté « phytosanitaires » en préparation : arrêté qui est paru le 04/05/2017, n’est pas tenable sur le long terme. Car ces ZNT ne sont pas demandées par hasard lors de l’homologation. Il s’agit de mesures de gestion nécessaires (et obligatoires) lorsque les procédures d’évaluation ont démontré un risque lié à l’emploi d’une spécialité pour les arthropodes ou plantes non-cibles. Le respect d’une zone non traitée est alors le moyen de rendre acceptable un risque qui autrement ne l’est pas. Ne pas mettre en œuvre les ZNCA peut être un choix, mais alors il est nécessaire de ne plus délivrer d’autorisation de vente pour les nombreuses spécialités et les usages concernés.
- Les exemples de ZNT riverains testées à Goderville dans le pays de Caux sont très intéressants. Même si la hauteur des plantes choisies (saules et miscanthus) et l’intérêt pour la biodiversité sont discutables, ces changements de destination sont permis par l’existence de réflexions anciennes. De nombreux travaux ont été menés sur les techniques anti-érosives en Seine Maritime sous l’égide de l’AREAS et de JF Ouvry (Saint-Valéry en Caux) grâce à des financements publics consécutifs à des inondations et coulées de boues répétées et parfois meurtrières. Cela montre bien qu’il faut expérimenter et innover sur ces sujets pour être en capacité d’avoir des solutions localement adaptées tout en permettant l’adoption par toutes les parties prenantes et parfois l’émergence de filières de valorisation.
Les points évoqués précédemment doivent nous pousser à être imaginatifs pour être en capacité de proposer une occupation des bords de champs compatible avec le respect de la santé des riverains et de la biodiversité (terrestre et aquatique). D’ores et déjà des retours d’expérience sont mobilisables : gestions des zones de protection des points d’eau (bandes enherbées), savoirs faire locaux, enseignements d’expérimentations Agrifaune, couverts mellifères, bandes fleuries,…). Pour ma part depuis 2017, je propose de mettre en œuvre une gestion différenciée des bords de champs : c’est une approche de bon sens permettant de résoudre une réelle complexité des ZNT réglementaires. Je traite d’ailleurs régulièrement de ce sujet dans les articles de mon blog, dont celui du 20 février 2022 : https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/02/generalisation-de-la-gestion-differenciee-des-bords-de-parcelles-revolution-agro-environnementale-partie-3.html
Mais pour cela il faut mettre sur pied un véritable « brainstorming »[i] et donc bousculer certaines positions de principe de différents acteurs et mettre si besoin en œuvre des aides compensatoires avec des financements issus prioritairement du premier pilier de la Politique Agricole Commune. Regagner de la résilience au sein de nos paysages, et de nos territoires agricoles et ruraux, devrait être un objectif primordial de nos politiques publiques. Les inflexions permises au nom de l’agro-écologie ne doivent plus être abordées en ordre dispersées (en « silo ») et le compte n’y est toujours pas face aux agressions d’origine anthropiques, qui progressent toujours trop rapidement. Les actions doivent être décuplées sous peine de ne pas être en capacité de faire face au changement climatique et à la régression de la biodiversité.
Je vous remercie de l’accueil que vous donnerez à mon courriel et je suis à votre disposition pour retravailler la forme si vous juger utile de faire connaitre mes réflexions.
[i] Tempêtes de cerveau/remue-méninges, ou aussi penn kurun en breton
Lotissement très récent sans protection vis à vis de la parcelle agricole - Lanvollon, Côtes d'Armor (2 mars 2022)