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L’agriculture bretonne face au changement climatique, mais aussi à son passé, à ses choix récents…et à son orgueil (partie 1)

Cet article est le 101ème depuis la création de mon blog en février 2017. Six ans de retraite en Bretagne et de reconnexion avec l’agriculture bretonne me permettent d’établir un premier bilan. Mais l’actualité est très riche, je commence donc par des réflexions sur la prise en compte des besoins en résilience vis-à-vis de l’eau et évidemment des sols et des paysages: bref un virage à 180° à négocier par rapport aux évolutions des 50 dernières années!

La Bretagne avec ses sous-sols granitiques ou schisteux possède un réseau hydrographique dense mais pas de nappes phréatiques importantes. Face aux enjeux de la ressource en eau, il faudra donc être ambitieux et imaginatif pour conforter les ressources et réaugmenter le stockage naturel en faisant notamment appel à des notions de génie écologique trop peu usitées jusqu’à présent : stockage dans les sols urbanisés et surtout agricoles, infiltration et ralentissement au sein des paysages, ralentissement des flux dans les chemins de l’eau. On peut regrouper ces actions sous le terme  volontariste de « cultivons l’eau verte ».

Cela esquisse un programme d’actions qui doit se révéler hyper ambitieux et qui ne peut pas être seulement lié à des aides de type PSE (paiements pour services environnementaux) ou MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques) dont la disponibilité est déjà insuffisante (c’est le cas actuellement pour les MAEC bretonnes !). Heureusement les solutions fondées sur la nature sont généralement peu coûteuses et rustiques. C’est d’abord dans les têtes que les volontés de changement  doivent percoler et ce à tous les niveaux : particuliers, agriculteurs, organisations professionnelles agricoles et autres (paysagistes, travaux publics,…), élus, urbanistes, aménageurs, pouvoirs publics et représentants politiques à l’origine des lois.

Depuis le début de l’été 2023, suite aux gros soucis de sécheresse en 2022 et de quasi pénurie d’eau potable à partir de la mi-août, diverses réunions et conférences de l’eau concernant les suites à donner ont eu lieu. On commence à voir plus clair dans les projets régionaux ou locaux et notamment les plans de résiliences qui font suite à la sécheresse et à la forte tension eau potable de 2022: Assemblée Bretonne de l'Eau : Plan breton de résilience sur l'eau, groupe de travail résilience des milieux de la DDTM 22, programmation SAGE Léon-Trégor, …

Je suis déçu voire même atterré par le manque d'ambition des actions envisagées lors des réunions ou dans les documents que j'ai pu consulter. Il y a pourtant au niveau national des mesures intéressantes listées dans le plan d’action national pour une gestion résiliente et concertée de l’eau (53 mesures pour l’eau) de fin mars 2023. Nous avons cependant peu de visibilité sur le déploiement de ces mesures nationales et notamment sur leurs appétences pour les acteurs locaux : « Stockage dans les sols, les nappes, les ouvrages » ou « Restaurer le grand cycle de l’eau (solutions fondées sur la nature »,...

Pour les milieux et les compartiments « eaux » en particulier, nous devons aller rapidement vers une endurance de haut niveau aux agressions et ne pas galvauder la notion de territoires résilients[1], que j’appelle de mes vœux depuis de nombreuses années[2], notion qui intègre une vision globale des milieux et des territoires. Cette approche est très intéressante et il est indispensable de la mettre en œuvre avec compétence et impartialité : les rapports de force entre les parties prenantes ne doivent pas conduire à des marchandages ni à la mise en place d’actions incomplètes ou inappropriées. Si je fais un parallèle avec les pesticides, nous n’avons pas 30 ans devant nous pour nous adapter : les 30 ans de reconquête de la qualité de l'eau ne sont d’ailleurs pas vraiment un exemple à suivre : efficacité limité des plans Ecophyto, pilotage discutable de la protection des captages, avec par exemple une absence quasi-totale d’agilité face aux métabolites malgré de nombreuses alertes récurrentes.

L'agriculture qui occupe près de 60% du territoire breton, joue un rôle central dans le grand cycle de l'eau, mais dans les « approches résilientes » proposées au niveau agricole n'offre guère d'actions vraiment volontaristes, novatrices et visant l’efficacité. Cela correspond bien à la position habituelle des professionnels majoritaires et de nombreux élus qui souvent sont "vitrifiés" lorsqu'il s'agit de faire bouger les lignes face au monde agricole.

 Il existe une grande distorsion entre les projets urbains et les propositions agricoles. L’infiltration est clairement une priorité en zones urbanisées : toutefois désimperméabiliser les cours d'école c'est bien mais un énorme travail reste à faire face aux pluies intenses notamment : nous sommes là aussi très loin du compte, d’autant que chaque semaine je vois en secteur rural un chantier de goudronnage de cour de particuliers, voire de collectivité (parking, cimetière) ou de nouveaux aménagements privés, ...

Il me semble totalement illusoire de bâtir des stratégies gagnantes sans faire un minimum de retour critique sur les remembrements et autres aménagements ruraux et hydrauliques dont la Bretagne a été « très friande ». D’autant que lors des reprises d’exploitation ou de parcelles à l’agrandissement, la surface des champs continue d’augmenter ! Pour le moment l’implantation de nouvelles haies ne sont pas suffisantes pour atténuer les atteintes hydrauliques des trente glorieuses et le rythme des reméandrages des petits cours d’eau reste insuffisant. Les zones humides et les petits chevelus hydrographiques en zones agricoles doivent retrouver leurs places et être protégés d’une part vis-à-vis du colmatage par les particules de sol érodées et d’autre part des dérives de produits phytosanitaires (zones non traitées « biodiversité » le plus souvent non respectées). Nous sommes face à des enjeux qui réclament des actions rapides et efficientes : nous devons massifier les dispositifs pertinents et les plans d’action efficaces, ambitieux et réalistes. Je tiens à remercier tout particulièrement les agriculteurs et les groupes déjà engagés dans des pratiques et aménagements durables : les success stories sont là, mais il faut absolument accélérer le développement des bonnes pratiques en développant le volet « atténuation du changement climatique ». Sur les Côtes d’Armor un dispositif  PSE très intéressant[3] est en cours sur les deux forages de Tréfumel, captages implantés à la Ville Bezy sur nappe de Falun (Eaux de Dinan) où 380 ha bénéficient d’actions très certainement efficaces. Hélas une hirondelle ne fait pas le printemps et un plan d’action très pertinent et quelques autres intéressants sur 773 captages bretons, c’est bien trop peu pour résoudre les problèmes (surtout avec un pilotage insuffisant autour des pesticides et des nitrates). Petite remarque de saison : les ensilages de maïs se font cette année en conditions sèches, c’est sympathique pour l’état de nos routes de campagne, mais cela crée quand même dans les champs des immenses surfaces compactées avec une rugosité des sols très réduites qui vont abondamment ruisseler tout l’hiver limitant ainsi le stockage dans une part importante des sols de nos territoires (voir photos).

Plus globalement, alors que j’ai travaillé pendant 40 ans avec des Chambres d’Agriculture, je trouve préoccupant de voir la Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne (CRAB) , organisme consulaire, agir insuffisamment et être plutôt éloignée des grands enjeux climatiques et sociétaux qui doivent fortement orienter nos choix dès à présent: faible implication dans la protection des captages (notamment ceux en eaux de surface), peu de promotion de pratiques agricoles durables permettant la protection des sols, peu d’implication dans la reconquête de la résilience des territoires : eau et biodiversité, etc. Demain, le bon positionnement sera de s’appuyer au maximum sur le bon sens et les solutions fondées sur la nature, et ne sera vraisemblablement plus d’opter pour des plans d’action « mollassons » tout en jouant à fond la carte de la course à la lenteur et/ou aux subventions et aides des Collectivités (EPCI), de l’Agence de l’eau, de la région ou des fonds européens.

 L’infiltration et le ralentissement des eaux de pluie doit devenir un graal à atteindre partout où c’est possible. Par rapport à d’autres régions françaises (Est et Sud) la Bretagne pourrait encore se croire à l’abri des conséquences du changement climatique. Ce n’est sans doute plus le cas, et l’été 2022 nous l’a rappelé. Il nous faut en priorité mieux utiliser l’eau disponible et mieux connaitre les usages, mais aussi accroître les ressources en eau. Car à chaque crise c’est la biodiversité terrestre et aquatique qui sera en première ligne avec les réductions dérogatoires des débits réservés de nos rivières, la consommation humaine étant toujours prioritaire in fine. Compte tenu du contexte hydrogéologique de la Bretagne, il paraît indispensable de favoriser par tous les moyens possibles le stockage de l’eau dans les sols (agricoles ou non) et au sein de paysages renaturés. Pour cela nombreux sont les sols agricoles qui, pour être en capacité de mieux infiltrer l’eau de pluie, doivent faire l’objet d’un changement de pratiques : permanence de la rugosité des sols et réduction des tassements, maintien voire augmentation des teneurs en matières organiques, réduction des dimensions parcellaires, etc.

Nous devons collectivement construire une politique de l’eau volontariste à partir d’un éclairage impartial, politique indépendante des conflits d’intérêts, et être exigeant en termes d'ambition des actions dans les plans de résilience. Nous avons expressément besoin d’un partage d'idées citoyennes sur la gestion de l'eau du point de vue quantitatif et toujours sur le plan qualitatif.

 

[1] Un territoire résilient peut être défini comme ayant la capacité à anticiper, à réagir et à s'adapter pour se développer durablement quelles que soient les perturbations auxquelles il doit faire face (CERAMA)

[3] a-protection des fossés par 5.1 km de bandes enherbées fleuries, b-implantation de haies, c-couvertures des sols efficaces, d-réduction des applications d’herbicides grâce au recours au désherbage mécanique

Tassement de sols après ensilage, malgré la sol sec, le 7 oct 2023 (Cantonou- Plourivo-22)

Tassement de sols après ensilage, malgré la sol sec, le 7 oct 2023 (Cantonou- Plourivo-22)

Forts tassements en fourrière : un travail du sol serait hyper bénéfique, 7 oct 2023 (Cantonou-Plourivo-22)

Forts tassements en fourrière : un travail du sol serait hyper bénéfique, 7 oct 2023 (Cantonou-Plourivo-22)

Travail du sol judicieux (favorise l'infiltration de l'eau) après l'ensilage, 7 oct 2023 (Toul ar Hoat-Plourivo-22)

Travail du sol judicieux (favorise l'infiltration de l'eau) après l'ensilage, 7 oct 2023 (Toul ar Hoat-Plourivo-22)

Tag(s) : #Territoires résilients
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