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Ancien ingénieur de terrain et fonctionnaire de l'agriculture, j'écris régulièrement au Ministre de l'Agriculture afin de porter à connaissance des sujets qui me paraissent importants notamment en termes de politiques publiques, et ce sur les sujets pour lesquels j'ai une expertise reconnue :

- En mars 2017 (Stéphane Le Foll) : Révision Générale des Politiques Publiques et difficile fin de carrière d’un couple de fonctionnaires d’état.

- En novembre 2019 (Didier Guillaume) : réglementation phytosanitaire, Mise en œuvre effective des SPe3 « Biodiversité », Mesures de gestion des risques environnementaux.

- En mai 2021 (Julien Denormandie) : vers une réelle gestion et protection de l’eau vis-à-vis des pesticides. (afin de faire part de mes interrogations autour de l’hydrologie agricole, très largement modifiée depuis 70 ans et d'insister sur le fait que pour la protection de l'eau notre réussite collective est subordonnée à des actions transversales très ambitieuses sur les chemins de l’eau en tête de bassins versants et donc sur l’hydraulique agricole et rurale)

           Heureusement que je reçois à chaque envoi les avis de réception des recommandés car je pourrais croire que les services de la Poste sont déficients!

Je n'ai jamais eu le moindre signe de vie du ministère de l'Agriculture, et pourtant la prise en compte de mes réflexions et propositions d'agronome teintées d'hydrologie et de biodiversité nous auraient fait prendre un peu d'avance vis à vis de l'adaptation au changement climatique.

Ces absences de réponses constituent pour moi un signe de manque de respect de la part des institutions vis à vis des citoyens. Et cela pose un pose un réel problème de démocratie. Mais peut-être que cette fois-ci une lueur jaillira ?

 

Plourivo, le 19 juin 2023

Objet : autorisation de mise sur le

marché des produits phytosanitaires

et mesures de gestion des risques

 

                                                               Monsieur le Ministre de l’Agriculture,

Je me permets de vous adresser ce courrier pour vous faire part de mes interrogations vis-à-vis des remous autour de l’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Des modifications des relations entre le Ministère de l’Agriculture et l’Anses sont évoquées : je tenais à retracer, brièvement ci-dessous, l’historique de la séparation des fonctions ressenti de l’intérieur d’un service extérieur (DRAF: Direction Régionale de l'Agriculture et de la Forêt).

Il me paraît également important de préciser, que dernièrement votre Ministère (DGAL, DRAAF Bretagne,…) n’a pas jugé utile de prendre une position efficace afin de limiter la contamination généralisée de nos eaux brutes par l’Esa-métolachlore.

 Par ailleurs, depuis 2011, se pose la question de l’application des mesures règlementaires de protection de la biodiversité des bords de champs (mesures de type Spe 3) : Zones Non Traitées refusées par la profession agricole en 2016-2017.

 J’ai travaillé près de trente ans au sein de votre Ministère, en Circonscription phytosanitaire et Services Régionaux de la Protection des Végétaux en lien étroit avec la sous-direction de la Protection des Végétaux (SDQPV-DGAL) au sein de son réseau technique. J’ai en effet été fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture du 28 mars 1978 au 1er avril 2017. J’ai exercé, dans différentes régions, des postes au niveau technique et au plan scientifique au sein de deux DRAF-SRPV (Franche Comté et Lorraine) puis à partir de 2008 au Cemagref-Irstea de Lyon dans l’équipe pollution diffuses agricoles.

 

Répartition des rôles vis-à-vis des Autorisations de Mise sur le Marché des spécialités phytopharmaceutiques :

Durant ma carrière professionnelle j’ai été très proche des problématiques liées aux pesticides : emplois raisonnés, atténuation des pollutions, reconquête de la qualité de l’eau. J’ai entendu de très nombreuses fois les arguments qui militaient en faveur d’une séparation des rôles entre l’évaluation des spécialités commerciales et la gestion des risques. Rôles qui rappelons-le étaient historiquement intégralement rempli par le Ministère de l’Agriculture avec l’aide d’une cellule mixte Ministère-INRA et d’un comité d’homologation présidé par un toxicologue.

J’ai d’ailleurs été très surpris lorsque la décision de confier la gestion des risques à l’Anses a été prise en 2016. Enfin surpris n’est sans doute pas le bon terme, puisque au fil des années j’ai vu vos prédécesseurs réduire les capacités d’expertises phytosanitaires du Ministère de l’Agriculture : intégration des Services de la Protection des végétaux dans les DRAF, suppression du corps des ingénieurs d’Agronomie avec un quasi arrêt des nominations de jeunes ingénieurs en DRAF-SRPV, suppression des SRPV (Services Régionaux de la Protection des Végétaux) en 2009 induisant la fin des Avertissements Agricoles (conseils indépendants qui nous font cruellement défaut actuellement), absence de volonté de préserver l’expertise et absence de soutien aux agents impactés par la réforme des DRAF. Dans le même temps est intervenu la fin de l’expérimentation officielle (et indépendante) des spécialités. Expérimentation de terrain en conditions réelles aux champs durant deux ou trois ans, qui donnaient une vision objective des produits phytosanitaires et surtout qui créait une expertise, indépendante et reconnue, au sein du Ministère de l’Agriculture. Cela offrait la capacité de faire valoir les nécessités des politiques publiques face aux structures professionnelles agricoles qui privilégient trop souvent l’intérêt à court terme des agriculteurs et essentiellement des filières agricoles.

Personnellement, je pense que nous avons à plusieurs reprises manqué l’occasion de créer, dans les années 1990-2000, une structure de type « Institut ou Agence pour l’Agriculture intégrée et la Protection des Cultures » permettant de regrouper dans une structure nationale les parties, financées par de l’argent public, du mille-feuille français s’occupant des pesticides et de l’agro-écologie.

Je rappelle qu’il y a plus de 20 ans, les messages des Avertissements Agricoles des SRPV du quart Nord-Est de la France étaient déjà Ecophyto-compatibles, et que de nombreux agriculteurs étaient satisfaits de l’approche raisonnées mise en œuvre par les ingénieurs et techniciens de ces SRPV. Mais des choix différents ont été faits et depuis 2009 les organisations professionnelles ont pris le relais. Et ainsi grâce aux capacités indéniables de course à la lenteur des structures professionnelles nous observons les résultats très mitigés des plans Ecophyto successifs.

 

Problématiques des métabolites de pesticides :

Ces dernières années nous avons observé, sans être capable d’agir efficacement, la montée en puissance des contaminations de la quasi-totalité de nos eaux souterraines et superficielles par l’Esa-métolachlore. Les signaux d’alerte étaient pourtant très nets depuis 2017 et même avant (dès 2010 en France). Une simple mise en œuvre de la méthode SIRIS aurait pu permettre une anticipation et une prise de décisions efficaces. En effet les métabolites qui posent problèmes ont des caractéristiques assez similaires expliquant leurs grandes capacités de dispersions hydriques. Ces petites molécules ont peu d’affinité avec les sols et sont peu retenues par le complexe argilo-humique. Elles sont d’ailleurs très logiquement peu retenues par les dispositifs à charbons actifs. Les solubilités sont plutôt fortes, la persistance (demi-vie) est longue. Si l’emploi de la molécule mère est important (grandes cultures), tout est très vite réuni pour avoir une contamination importante des eaux brutes, localement voire nationalement.

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2023/02/approche-methodologique-pour-la-prise-en-compte-des-metabolites-1.html

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2023/02/retours-sur-le-cas-de-l-esa-metolachlore-et-des-insuffisances-notables-preconisations-du-2-fevrier-2023-2.html

Ces derniers mois ont également été féconds en alertes portant sur d’autres métabolites : desphényl-chloridazone, ASMD (métabolite du nicosulfuron), lR471811 (métabolite du chlorothalonil), etc… . Une approche scientifique solide, qui passe par une meilleure connaissance des caractéristiques physico-chimiques de ces molécules de dégradation,  doit être mise en œuvre afin de ne pas être pris au dépourvu, ou tout du moins le moins possible. Ce renforcement des travaux portant sur les métabolites doit être mené lors des phases d’évaluation des spécialités phytosanitaires.

Un renforcement du CS AMM[1] (Comité de Suivi des Autorisations de Mise sur le Marché) me parait par ailleurs très souhaitable. L’appui de la recherche est en effet indispensable pour formuler au mieux les mesures de gestion nécessaires pour une gestion et un emploi raisonnable des pesticides. D’autant que de nouvelles mesures de gestion s’avèrent d’ores et déjà indispensables à identifier, si l’on ne veut pas voir se multiplier des contaminations hydriques ou aériennes insoutenables.

 

Mesures de gestion Spe3, de protection de la biodiversité :

                D’ailleurs dans le cadre de risques inacceptables identifiés lors de l’évaluation de nombre de spécialités autorisées, il me semble incohérent d’appliquer des produits phytosanitaires sur près de 15 millions d’hectares en France métropolitaine sans exiger le respect de zones non traitées de protection de la biodiversité : mesures Spe3 dites « ZNCA » (zones non cultivées adjacentes, servant d’habitats à de nombreux arthropodes non cibles et à une flore non cible).

Les signaux alarmants concernant la biodiversité de nos campagnes[2] (oiseaux, pollinisateurs plantes messicoles,…) sont certainement en partie la résultante de la non application des mesures « obligatoires » de Zones Non Traitées de protection de la biodiversité que tout applicateur de phytosanitaires devrait respecter : c’est clairement stipulé sur toutes les étiquettes et bien sûr dans les avis d’AMM.

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/12/cop-15-de-la-biodiversite-appliquerons-nous-la-protection-reglementaire-vis-a-vis-des-pesticides.html

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/02/revolution-agro-environnementale-application-des-mesures-reglementaires-spe3-de-protection-de-la-biodiversite.html

Ces zones non traitées sont issues de travaux menés dans les procédures d’évaluation, elles ne sortent pas d’un chapeau, il est urgent de s’en préoccuper. Ostracisées depuis 2011, ces mesures semblent plus que jamais nécessaires. Il sera un jour nécessaire de les appliquer, même si une adaptation au terrain peut vraisemblablement être envisagée avec des modulations argumentées possibles. Il paraît inconcevable qu’en 2023 nous soyons incapables de mettre en œuvre des mesures qui permettent de réduire des risques jugés inacceptables dans le cadre des procédures d’AMM. Même si le chemin sera long pour convaincre les responsables professionnels, il faut absolument remettre ce sujet dans l’actualité et y travailler pour que la biodiversité de nos campagnes soit mieux protégée. Je précise qu’actuellement des agriculteurs mettent déjà en œuvre volontairement des protections de la biodiversité, notamment grâce à des bandes enherbées le long des fossés (et cours d’eau non BCAE), des lisières de forêts ou de haies bocagères. Nous avons face au changement climatique cruellement besoin de regagner rapidement de la résilience au sein de nos territoires agricole et ruraux. Il nous faut nous appuyer sur plus d’arbres, de  haies, de prairies, de bandes enherbées (voire arborées), de nouvelles zones humides. La faible appétence de la profession agricole pour une meilleure gestion des phytosanitaires nous a fait inutilement perdre du temps en termes de regain de résilience agro-écologique de nos territoires agricoles. Nous devrions déjà avoir testé et mis en œuvre une gestion différenciée des bords de champs[3].». Il y va de la fertilité et de la conservation des sols, de la préservation d’une réelle biodiversité, de la protection de la santé publique et aussi de l’adaptation des territoires agricoles aux enjeux du réchauffement climatique.

Les enjeux sociétaux et environnementaux devraient nous conduire à toujours « sortir par le haut ». Pourtant au niveau de l’emploi des phytosanitaires, tout n’est malheureusement pas fait pour atténuer les effets non-intentionnels :

  • Nous les appliquons sur des parcelles inadaptées au plan hydraulique et en termes de qualité de sol (trop grande taille, travail et état du sol inadaptés, teneur en matière organique insuffisante),
  • La protection de la biodiversité n’est pas prise en compte lors des applications,
  • Le choix des molécules par rapport aux contextes pédoclimatiques n’est pas réellement mis en œuvre malgré 30 années de reconquêtes de la qualité de l’eau.

J’émets le souhait qu’au niveau respect de la règlementation phytosanitaire et prise en compte des connaissances techniques et scientifiques, les points d’achoppement soient rapidement levés au plan national et bien sûr également au plan plus local (Déclinaisons régionales Ecophyto, SDAGE, SAGE, actions des Agences de l’Eau).

Je reste bien sûr, avec mes 40 ans de vie professionnelle passés sur le sujet, à votre disposition pour tout élément complémentaire que vous jugeriez souhaitable.

Je vous remercie par avance pour l'attention que vous porterez à mon courrier et je vous prie d’agréer monsieur le Ministre, l’expression de mes respectueuses salutations.

Guy Le Hénaff

AgrEaunome citoyen (Ex Ingénieur Divisionnaire de l’Agriculture et de l’Environnement)

Expert pesticides-environnement auprès du directeur général de l’Anses

Administrateur d’Eau et Rivières de Bretagne

Administrateur pour la Bretagne à l’AFAC-Agroforesteries

Membre du Conseil Citoyen de Guingamp Paimpol Agglomération

 

Copie à monsieur Benoît Vallet, Directeur Général de l’Anses

Mise en ligne sur : https://www.guylehenaffagreaunome.fr/

 

[1] Je suis actuellement expert « pesticides-environnement » auprès du Directeur Général de l’Anses, au sein du comité de suivi des Autorisations de Mise sur le Marché (2019-2021), après avoir participé pour l’Anses au rapport collectif réalisé en 2015 à l’issue du groupe de travail « Appui à la gestion des produits phytopharmaceutiques et matières fertilisantes et supports de culture ». Groupe de travail créé à l’époque pour préparer la prise en charge par l’Anses de la gestion post homologation des produits phytopharmaceutiques.

Courrier à Monsieur Marc Fesneau, Ministre de l'Agriculture

Dernière réunion technique agricole que j'ai coordonné et animé en tant que conseiller indépendant

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Avertissement Agricole lorrain de février 2028, conseil phytosanitaire indépendant (en sursis avant la suppression en 2009)

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Bocage assymétrique : les légumiers n'affectionnent pas les haies (Plourivo, 28 novembre 2022)

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Comblement de petite zone humide d'amont (22 avril 2023 en Haute Loire)

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Tag(s) : #Règlementation phytosanitaire, #Actualités d'AgrEaunome
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