Et si l’on s’attaquait vraiment au nécessaire réaménagement de l’hydraulique agricole et rurale en Bretagne et ailleurs ?
A l’heure où, Julien Denormandie, notre ministre de l’Agriculture évoque l’amélioration de l’aménagement hydraulique de notre pays et propose un « Varenne de l’eau », la gestion de l’eau en Bretagne dans les 5 ans à venir est en débat. La consultation publique du projet de SDAGE qui s’appliquera de 2022 à 2027 est actuellement en cours*. Pourra-t-on sortir du côté « usine à gaz » ballotée entre les jeux d’acteurs et l’empilement des multiples réglementations touchant à l’eau?
*https://sdage-sage.eau-loire-bretagne.fr/home/projet-de-sdage-preparer-la-re-1/preparer-la-revision/consultation-2021-sur-le-projet-de-sdage.html
Avec l’urbanisation et l’intensification des pratiques agricoles, les territoires font face à une homogénéisation des paysages, à une perte de fonctionnalité écologique et au déclin de la biodiversité (Millennium Ecosystem assessment, 2005). De même l’intensification de l’usage agricole des terres, la céréalisation et l’augmentation de l’utilisation de fertilisants et de produits phytosanitaires provoquent des pollutions diffuses (eau, sol, air) sur des surfaces importantes.
J’ai travaillé pour la reconquête de la qualité des eaux vis-à-vis des pollutions diffuses agricoles depuis 1993. Et je déplore depuis presque trente ans que l’on soit souvent très éloigné de la mise en œuvre des bonnes mesures préventives :
- il nous manque une réelle volonté d’agir sur un réaménagement rural, ayant pour objectif de corriger nos erreurs hydrauliques du passé ou du moins d’atténuer les principaux effets hydrologiques indésirables des travaux des trente glorieuses et des décennies suivantes: remembrements, travaux connexes, drainages importants, grandes infrastructures (Autoroutes, TGV, …),... Pour retrouver plus de résilience à nos territoires et maintenant s’inscrire activement dans l’adaptation au changement climatique, il nous faudrait une politique volontariste. Avec un plan à grande échelle de mise en application des mesures naturelles de rétention d’eau (MNRE) et des techniques de l’hydraulique douce, tout en ayant évidemment des bonnes pratiques intraparcellaires, de prévention du ruissellement notamment.
- Les plans d’actions sur les zones de captages autour de l’emploi des phytosanitaires sont très rarement au bon niveau d’exigence et d’adaptation à la vulnérabilité intrinsèque des Aires d’Alimentation des Captages. Il nous manque, là plus qu’ailleurs, une gestion éclairée réaliste et indépendante des pressions des parties prenantes et notamment du monde agricole.
Mes réflexions autour du SDAGE Loire Bretagne, nourries de ma connaissance de nombreux bassins versants dans toute la France, se veulent transversales autour de deux points imbriqués : un nécessaire réaménagement de l’hydrologie des territoires et au niveau des bassins versants à enjeux : le cas des aires d’alimentation de captage (AAC).
Territoires, bassins versants : depuis 60-70 ans l'hydraulique agricole et rurale a subi de lourdes modifications en lien avec la « modernisation » : remembrements, échanges parcellaires, drainage, travaux connexes, et encore aujourd'hui l'agrandissement parcellaire contribuent toujours à fragiliser le petit chevelu hydrographique et à peser sur le réseau bocager.
L'effet le plus tangible est l'accélération des transferts d'eau avec des effets délétères bien connus sur les ruissellements et donc sur les inondations, l'érosion, les coulées de boues, le colmatage des cours d’eau, les pollutions diffuses (pesticides, nitrates, phosphates, bactéries,…)... Je vois mal comment on pourrait "bien gérer" l'eau sans revisiter dans le détail les chemins de l'eau dans les amonts et ré-écologiser les nouveaux openfields qui occupent nombre de têtes de bassin versant bretonnes (bassin de Rennes, bassin de Loudéac, mais aussi nombre de petits plateaux).
Voir également mon article du 4 mai : https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2021/05/aop-lentille-du-puy-une-region-de-production-a-contre-courant-de-l-agroecologie.html
Par exemple en secteurs drainés, nous savons qu'il faudrait créer des zones tampons en bout de drainage (ZT Humides Artificielles) sur 1% de la surface pour avoir 40 % d'abattements des pollutions diffuses. Cela représenterait, pour la Bretagne et ses 110 000 ha drainés, 1100 ha de zones humides nouvelles à créer et si besoin en s’appuyant pédagogiquement sur la dizaine de secteurs de référence drainage, historiquement étudiés dans la région.
Par ailleurs en bosquets et zones enherbées, il faudrait au total au moins 4 % de la SAU présentant des zones tampons fonctionnelles et bien positionnées au sein du versant (nœuds hydrologiques, bords de fossés, espaces tampons perpendiculaire à la pente sur les longs versants...) pour avoir un bon niveau de résilience. Mais l’intérêt (et l'appétence) sur ces sujets est bien trop faible chez nombre d'agriculteurs et guère plus importante chez les élus. Il en est de même pour l'administration (y compris chez les ingénieurs du ministère de l’agriculture (canal historique « génie rural, eaux et forêts ») !
Pour autant peut-on créer sous la pression des retenues d’irrigation pour irriguer des cultures, même dans le cadre d'un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), alors que les amonts de ces bassins versants "modernisés" sont ruisselants et érosifs. Alors que l'infiltration permettrait un bon remplissage de la réserve utile des sols et un vrai soutien d'étiage qui n'est absolument pas favorisé, sauf par les éleveurs à l’herbe et par les tenants de l’ACS. D‘ailleurs ces PTGE sont trop axés sur l’aspect quantitatif, et c’est bien cette entrée que le ministre privilégie actuellement et non un nécessaire triptyque (cf La France Agricole du 4 mai 2021). Autour de l’eau en agriculture, c’est pourtant un plan à trois volets qui serait indispensable : infiltration, ralentissement des écoulements et modification des systèmes de productions agricoles.
Aires d’Alimentation de Captages (AAC): il y a maintenant plus de dix ans la Bretagne, territoire précurseur dans la reconquête de la qualité de l’eau et très occupée avec l'établissement des périmètres de protection, n'a pas enclenché la vitesse supérieure autour de la mise en œuvre des études de vulnérabilité des AAC. Pourtant les AAC ont totalement vocation à prendre en compte les risques liés aux pollutions diffuses, nombreux dans le grand Ouest. Avec lors de la mise en place des aires d’alimentation de deux points forts : l'étude de la vulnérabilité de l'aire d'alimentation qui apporte la connaissance des processus de transferts des polluants et la mise en œuvre d'un plan d'action (qui doit être bien adapté aux enjeux et être suffisamment ambitieux).
En ce début 2021, avec le classement en métabolite pertinent de l'ESA-métolachlore, c'est la totalité du territoire breton qui est concerné par cette problématique puisque que la quasi-totalité des points de suivis pesticides dans l’eau sont contaminés. La notion de captages prioritaires (une dizaine, arbitrairement choisi par département) ne semble plus opportune face à de tels enjeux, sauf pour prioriser des moyens globalement insuffisants ou en tout cas mal employés. Les élus et les DDTM, se retranchent derrière une réglementation qui par définition et par construction présente toujours un retard certain par rapport aux enjeux tels que les micropolluants. Et du côté de la profession agricole l’anticipation et une gestion éclairée n’est pas à l’ordre du jour. Cela fait pourtant 10 ans que les premiers résultats scientifiques ont été publiés (travaux du BRGM sur la nappe et les eaux superficielles de la basse Ariège et de sa plaine maïsicole, puis sur la nappe de l’Est Lyonnais). En Bretagne, le métolachlore n’avait déjà pas sa place comme herbicide maïs compte tenu des enjeux eau. L’ubiquité de ses métabolites vient le rappeler brutalement.
Vulnérabilité des territoires : un enjeu d’hier et de demain
Demain, nous aurons besoin de territoires résilients, aptes à encaisser les aléas du changement climatique. L’excès de l’élevage breton est clairement identifié, mais derrière il y a aussi des faiblesses, notamment hydrologiques, liées à la déstructuration des paysages depuis les années 60. Sur ce constat déjà lourd se profile encore des atteintes que seront mortifères pour certains territoires : j’évoque le développement de la méthanisation chez les gros agriculteurs-entrepreneurs, pour qui les hectares sont des outils productifs à maximiser avec des cultures intensives et du matériel gigantesque sur de trop grandes parcelles. Conduites qui de fait sont éloignées d’une réelle agro-écologie (voir les illustrations ci-dessous).
Nécessaire agroécologie intra parcellaire certes, mais également basée sur des espaces interstitiels nombreux et fonctionnels (zones humides, prairies naturelles, zones boisées et bocage, zones tampons enherbées ou arbustives,…). Là, les volontés sont très diffuses et les impulsions surtout locales, et malheureusement insuffisantes.
L’état, qui a fortement subventionné les aménagements « durs » du siècle dernier, qui au travers de la PAC a poussé au productivisme à outrance, ne semble pas vouloir exercer son rôle de stratège et de priorisation. A moins que le « Varenne de l’eau » annoncé apporte de réelles ambitions adaptées. A l’opposé, nous sommes témoins localement de résistances fortes au changement. Reste donc à souhaiter que les Agences délégataires (Agences de l’Eau, Office de la Biodiversité,…) et les collectivités locales avancent suffisamment vite et de concert pour que nos territoires agricoles et ruraux ne soient pas les éternels oubliés de la course à une croissance d’un autre temps.
Protection des petits chemins de l'eau : chemin à conserver en secteur en cours de céréalisation (Jax, 43230)
Protection des petits chemins de l'eau : mise en défens et abreuvement aménagé : La Chapelle-Bertin, 43, mars 2021
Exploitation peu agro-écologique: ferme de la Riauté, en juillet 2017 avant l'installation du méthaniseur (St Gilles,35)