Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Eau potable et ESA-métolachlore (1), une pollution diffuse prévisible.

L’ESA-métolachore fait beaucoup parler de lui aux quatre coins de la France, que ce soit en captages d’eau souterraines, d’eaux de surface ou bien sûr au niveau des très nombreux captages mixtes (cohabitation de plusieurs processus : résurgences Karstiques, relations rivière-nappe alluviales, coteaux Karstiques alimentant des nappes alluviales, etc.

                Cela fait trente ans que les pollutions diffuses par les pesticides sont devenues une préoccupation constante. Mais la nécessité d’anticipation n’est pas vraiment intégré au sein d’une réelle gestion « éclairée » des pesticides tenant compte des caractéristiques des molécules et de la vulnérabilité des territoires : le cas du S-métolachlore en est malheureusement une illustration, qui rétroactivement n’est guère encourageante y compris en région Bretagne où la prise en compte des pollutions diffuses (nitrates et pesticides) est effective depuis plus de trente ans. Ainsi dès 1990 la CORPEP Bretagne (Cellule d'Orientation Régionale pour la Protection des Eaux contre les Pesticides) est créée dans le cadre du comité technique de l’eau par le Préfet de Région suite au rapport du SRPV (Service Régional de la Protection des Végétaux) sur la contamination de cinq rivières bretonnes par les triazines). Au plan national l'extension des compétences du CORPEN aux pesticides date lui de 1992.

                Mais l’amélioration des connaissances n’est pas vraiment diffusée, ni donc utilisée, par les organismes de développement agricole ou ni par nombre de distributeurs de produits phytosanitaires, malgré de fortes capacités de conseils et de présence sur le terrain. Les pouvoirs publics n’ont pas toujours fait preuve de clairvoyance. En 1998[i], j’ai été convoqué avec ma collègue par la direction de la DRAF de Franche-Comté : il nous a été demandé de ralentir nos conseils agronomiques et nos travaux expérimentaux de reconquête de la qualité de l’eau, sous prétexte que cela gênait (qui ?) et qu’il faut une, voire deux générations pour faire évoluer les pratiques !! Plus de vingt ans sont maintenant passés et nous arrivons donc à la durée d'une génération écoulée. Malgré les différents plans Ecophyto, qui ont débutés en 2008, nous sommes encore loin d’avoir mis en œuvre une gestion des pesticides faisant preuve d’une vision complète et donc de la prise en compte de tous les enjeux dû à l’emploi des pesticides à grande échelle. Des approches et visions « en silos » sont encore bien trop compartimentées et parfois divergentes. Les instances Ecophyto, nationale ou régionales, devraient par exemple pouvoir orienter de façon objective les niveaux d’emploi des molécules phytosanitaires posant localement des problèmes.

L’omniprésence dans les eaux des métabolites de l’herbicide S-métolachlore qui nous préoccupent en est l’illustration, mais d’autres molécules pourraient aussi illustrer mon propos : prosulfocarbe (air et eau), glyphosate,…

Face aux choix des producteurs et distributeurs d’eau qui semblent très attirés par l’installation de nouvelles filières de traitement aux charbons actifs, il paraît légitime de demander des explications face à l’attentisme des dernières années. La situation était pourtant prévisible : l’Union européenne précise concernant le S-métolachlore dans sa directive 2005/3/CE du 19 janvier 2005 : « Dans le cadre de cette évaluation générale, les États membres doivent :

— accorder une attention particulière à la possibilité de contamination des eaux souterraines, en particulier par la substance active et ses métabolites CGA 51202 et CGA 354743, lorsque la substance active est appliquée dans des régions sensibles du point de vue du sol et/ou des conditions climatiques;

— accorder une attention particulière à la protection des plantes aquatiques.

Des mesures visant à atténuer les risques doivent être prises s’il y a lieu. »

Depuis les études du BRGM [ii](nappe de l’Ariège) dès 2010 et celles de l’étude prospective INERIS/ONEMA de 2012 sur les contaminants émergents[iii], les contaminations importantes par les métabolites du S-métolachlore sont connues. Extrait du rapport INERIS/ONEMA en 2012 en eaux de surface continentale : « les seules substances quantifiées dans plus de 50% des échantillons sont deux métabolites du S-métolachlore » (ESA & OXA). D’ailleurs des publications américaines avaient déjà données l’alerte dès la fin des années 90 (1998).

En Bretagne, les suivis analytiques ont débutées en 2017 et le bilan de l’année 2019 montre une contamination quasi-généralisée du territoire breton par les métabolites du S-métolachlore (source OEB). Suite à une saisine du 15 juillet 2019, par la Direction Générale de la Santé (DGS) concernant la détermination de la pertinence de ces métabolites, l’Anses a rendu un avis le 14 janvier 2021. Et c’est en fait le classement par l’ANSES des métabolites ESA et NOA en « pertinents » qui a suscité les vrais questionnements. En effet compte tenu des nombreux dépassements (souvent permanents) constatés des 0.1 µg/l, cela induit automatiquement des demandes de dérogations de 3 ans nécessaires pour l’autorisation de distribution de l’eau potable. Et la dérogation induit l’obligation de mettre en place un plan d’action pour remédier aux contaminations excessives. Plan d’action qui devra reposer sur des actions préventives et qui fera appel à un renforcement (ou la création) des filières de traitement en station de potabilisation.

A suivre…

 

[i] Le Hénaff G., Roussel R., Mettetal J P., 1998 - Les réductions d’intrants phytosanitaires, l’expérience franc-comtoise. 17éme Conférence du COLUMA, Dijon, pp.353-361

[ii] N. Baran, L. Gourcy, M. Saplairoles, D. Bujel, J.P. Denux. (2010) – Etude des transferts de solutés (nitrates et produits phytosanitaires) dans la plaine alluviale de l’Ariège et de l’Hers Vif – Année 2. BRGM/RP-58033-FR. Rapport d’avancement – 138 p., 80 ill., 8 ann.

[iii] Fabrizio Botta et Valeria Dulio (2014). Résultats de l’étude prospective 2012 sur les contaminants émergents dans les eaux de surface continentales de la métropole et des DOM. Rapport Final, DRC-13-136939-12927A, 139 pp.

Fort écoulement en sortie de parcelle de jeunes maïs ( Lanleff- 22) 04 juin 2018

Fort écoulement en sortie de parcelle de jeunes maïs ( Lanleff- 22) 04 juin 2018

Zone humide parcellaire en post récolte (Plourivo -22) 31 oct 2020

Zone humide parcellaire en post récolte (Plourivo -22) 31 oct 2020

Coin de parcelle limoneuse ruissellante et hydromorphe (Plourivo -22) 31 déc 2019

Coin de parcelle limoneuse ruissellante et hydromorphe (Plourivo -22) 31 déc 2019

Tag(s) : #Règlementation phytosanitaire, #Ecophyto-Vigilance
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :