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Pour une utilité naturelle de toutes les gouttes de pluie, l’hydraulique douce au service des territoires, de l’agriculture et de la biodiversité[i]

Avec cette sécheresse intense et généralisée de 2022, il ne faut pas occulter les besoins urgents de reconception de l’hydrologie des territoires ruraux nécessaire pour une optimisation des bénéfices écosystémiques de la pluie : tempêtes de cerveau, brainstorming, Penn kurun (en breton) salutaires en vue. Certains me reprocheront d’être un donneur de leçon : tel n’est pas mon propos. Ce n’est pas le cas et je suis solidaire des agriculteurs qui traversent une période très difficile. Mais j’estime avoir été et être un observateur attentif de nombreux territoires agricoles depuis 60 ans. Depuis 2008, voire depuis 1992, je conjugue agronomie et hydrologie autour des problèmes de pollutions diffuse agricoles et depuis plusieurs années je pense que notre maitre mot devrait être la résilience de nos territoires agricoles et ruraux: résilience en termes hydrologique, agronomique et bien sûr en biodiversité fonctionnelle. Aussi nombre de raisonnements simplistes m’interpellent, alors que le monde agricole devrait dans son ensemble mettre en œuvre la RSE (Responsabilité sociétale ou sociale des Entreprises) permettant de conjuguer performance économique, performance sociale et performance environnementale.  Les ministères ont fait le choix, en 2008 lors de la RGPP mais aussi bien avant, de ne plus avoir d’agronomes ni même d’hydrologues de terrain en liens proches avec les politiques publiques et de laisser l’expertise à d’autres. C’est vraiment dommage car, malgré une surinformation récurrente (qui «barate» des visions partielles et souvent partiales), l’indépendance intellectuelle fait cruellement défaut sur des thèmes comme les retenues d’irrigations, la consommation réelle d’eau issue des forages, les pollutions diffuses, les forts risques agronomiques et environnementaux liés au développement des cultures énergétiques,…

Il faut interroger le passé, qui éclaire le présent, qui doit permettre de mieux gérer l’avenir, de redécouvrir et de se réapproprier notre création «moderne» : l’AQUA INCOGNITA, l’eau maintenant invisible dans les champs et « expulsée » le plus vite possible.

Cette sécheresse, accompagnée de plusieurs épisodes caniculaires et malheureusement de grands feux de forêt, perturbe le confort de «l’homo modernicus» de ce début du XXIème. Le seul avantage se traduit par les médias qui s’emparent de la problématique et qui permettent un rappel aux fondamentaux et à l’importance de l’eau. Eau qui constitue notre « bien commun » dont il va bien falloir renforcer la bonne gestion. Si les céréales d’hiver sont passées globalement au travers des gouttes, les problèmes s’accumulent pour les éleveurs, et pour les cultures d’été le rendement sera la résultante du type de sols (Réserve Utile) et de la répartition des pluies orageuses (en l’absence de grêle…). Notre soutien va bien sûr aux éleveurs, car pour les fourrages et la paille la solidarité interrégionale habituelle va être difficile voire impossible à mettre en œuvre car la quasi-totalité des régions sont en déficit fourrager important.  Ceux qui ont mis en place des stratégies résilientes efficaces devraient s’en tirer mieux : réduction du chargement à l’hectare et de la taille des élevages, prairies naturelles voire semis multi-espèces, maintien des prairies humides ou des estives d’altitude, maintien et plantation de haies fourragères (frêne (l’arbre fourrager), noisetier, mûrier blanc,…),...

Mais sommes-nous vraiment au bon niveau d’anticipation face à des successions météorologiques de plus en plus erratiques ? Pourquoi notamment un tel ostracisme autour d’une hydraulique agricole «modernisée» héritée de l’application à grande échelle de méthodes dures qui perdurent encore avec les méga-bassines d’irrigation? En réaménagements des territoires agricoles, il ne suffira plus de ne rien faire ou trop peu, en attendant d’éventuels nouveaux financements. Il faudra bien un jour ralentir énergétiquement les vitesses de transfert de l’eau et pas seulement penser « retenues - stockage » et intensification. Il faut revisiter avec un œil « nouveau » les chemins de l’eau qui ont été fortement modifiés depuis la deuxième guerre mondiale et soit depuis plus 70 ans à grand renfort de remembrements et travaux connexes, de mécanisation, de béton, de « corsetage » des petits cours d’eau, et d’effacement des petits émissaires hydrauliques. Pour redonner de la résilience à nos territoires, les techniques d’hydraulique douce, peu onéreuses et  basées notamment sur des dispositifs rustiques de génie écologique et donc sur des méthodes basées sur la nature doivent être mobilisées à grande échelle. Citons par exemple les zones humides tampons dans les îlots parcellaires ou en sorties de parcelles drainées, qui permettent de remettre des zones humides en tête de bassin versant (voir partie2).

Les sujets abordés dans ce double article estival nécessiteraient plus de développement mais pour certains, je me suis déjà largement exprimé dans ce carnet d’AgrEaunome ou précédemment dans mes dernières publications.  J’ai choisi, d’aborder d’abord l’hydraulique et l’hydrologie puis dans un deuxième temps quatre thèmes en souffrance,  qui suscitent de la part du vieil agronome que je suis : étonnements, interrogations voire exaspérations.

Sécheresse : atténuation des effets et reconquête de la résilience hydrologique

I : mobiliser l’hydraulique douce à grande échelle (pour un plan « Marshall » de l’eau et de la biodiversité)

La sécheresse exceptionnelle de 2022 est bien sûr un vrai défi pour l'agriculture. J'ai commencé à travailler en automne 1976 dans les exploitations laitières bretonnes de la presqu'île de Crozon quasi dépourvues de stocks hivernaux. L'après sécheresse de 1976 s'est soldé par le développement des barrages couplés à de l’interconnexion afin de sécuriser l'approvisionnement en eau potable. Mais l'agriculture a poursuivi sa spécialisation à outrance, source de fragilité aux aléas climatiques et économiques. En 50 ans nous n’avons pas eu, me semble-t-il, une gestion vraiment éclairée de l'eau dans nos territoires avec la poursuite des remembrements, les destructions massives de haies et du bocage, la rectification des fossés et cours d'eau, l’urbanisation et l’imperméabilisation, la mécanisation toujours plus agressive pour les sols agricoles et source d’agrandissements parcellaires démesurés, la destruction importantes des zones humides situées en amont,  les grandes infrastructures linéaires,...

Des belles actions de remédiation sont bien sûr en place ou en cours mais sans commune mesure avec les besoins de résilience de nos paysages et territoires. Malgré de nombreuses actions efficaces et de multiples opérations de « greenwashing » nous sommes encore très loin du point d’inflexion où nous aurions sur le petit chevelu hydraulique plus d’effets positifs que négatifs. D’autant que la transition énergétique techno-solutionniste est antinomique d’une reconquête de résilience hydrologique ou tout du moins source de grandes inquiétudes et de menaces pour une réelle mise en œuvre de l’agroécologie.

Depuis 70 ans nous avons tout fait pour que l'eau circule rapidement notamment dans les amonts de bassins versants. En Bretagne les nitrates ont de véritables voies royales pour rejoindre la mer et permettre les proliférations estivales des algues vertes. Comble de l’ironie, il faut une sécheresse exceptionnelle pour voir les échouages ralentir en Baie de Saint Brieuc, comme c’est le cas ces jours-ci. Mais pas de triomphalisme : les vasières n’ont jamais été aussi vertes !

 Il nous faudra agir rapidement pour promouvoir un nécessaire réaménagement des territoires agricoles (zones tampons, éléments du paysage, infrastructures agro-environnemental, agroforesterie,...) et des pratiques culturales (rugosité des sols, rotations concertées, techniques permettant le «flaquage» de surface dans les champs (Aquacapteurs, Barbuttes),...).

Il faut revoir énergiquement nos logiciels de pensées et tout faire pour stocker préférentiellement l’eau dans les sols, les sous-sols, les zones humides, les nappes et autres annexes hydrologiques.

En Nord Bretagne, dans le Trégor-Goëlo, une des petites régions françaises la moins touchée par le manque d’eau (grâce aux forts orages de début juin)et où les maïs sont magnifiques (sauf sur sols très caillouteux), les articles de journaux se font d’ores et déjà l’écho (voir Le Télégramme, édition de Paimpol du 4 août 2022) de la complainte des pro-bassines qui va aller en s'amplifiant. Cela a cependant tout d’une fausse bonne idée. Les bassines-retenues sont l'exemple type d'infrastructures anti-agroécologique, généralement non-végétalisées et donc dépourvues de protection et d'ombre (même en limite Sud des retenues), imperméabilisées avec des bâches noires captant très bien la chaleur: nous créons ainsi des dispositifs d'évaporation quasi-idéaux et hyper efficaces, qui cette année doivent sans doute approcher de la fourchette haute, citée dans la littérature, de 40- 60 % de pertes par évaporation de l'eau « mal stockée » (20 à 60% des flux entrants sont évaporés dans les lacs de l’Ouest américains).

 

Il faut retrouver une vision globale de la problématique de l’eau dans les champs, avoir le courage politique et faire les bons choix budgétaires pour revisiter ce qui a été (dé)fait à grand renfort de subventions. Les responsables agricoles doivent adhérer à une stratégie cohérente autour de l'hydraulique agricole. Les pouvoirs publics et beaucoup de collectivités doivent bien sûr impulser et coordonner les actions stratégiques très ambitieuses. Certes des actions bénéfiques existent via les actions bassins versants, mais face à l'acuité de la sécheresse actuelle nous avons pris un retard énorme depuis au minimum 25 ans. Les réflexions en « silos » sont encore bien trop présentes malgré les structures bien adaptées aux Bassins versants. Il manque de réels diagnostics parcellaires et hydrauliques ambitieux et donc de connaissances des chemins de l'eau et des connexions hydrauliques dans les amonts. On fait très peu de chose en prévention du ruissellement, même si les coulées de boues (plus médiatiques) font malheureusement parler d'elle.  A Guingamp-Paimpol Agglo, autour du ruissellement et de l'amélioration de l'infiltration des eaux de pluies, le président n'a semble-t-il pas compris l'intérêt structurant de la compétence GEMAPI, alors que la ceinture légumière est soumise à des pratiques agronomiques très dégradantes pour la structure des sols limoneux et qu’à chaque séquence pluvieuse importante, les limons fertiles partent à la mer ou dans le port de Paimpol qui sert de piège à sédiments !!

Pour résumer, il faut agir au tout début du grand cycle de l'eau : en prenant soin du devenir immédiat des gouttes de pluies, afin d'éviter les ruissellements, l'érosion, les coulées de boues, les transferts rapides de polluants, de nutriments, de matières en suspension. Nous sommes beaucoup trop timorés sur le sujet de la résilience des territoires : car tout ce que j'énumère a également un fort intérêt en termes de biodiversité et bien sûr de qualité des eaux...

  • Il faut ralentir l'eau par tous les moyens connus d'hydraulique douce, favoriser l'infiltration hivernale et la rétention printanière, plutôt que de laisser l'eau et les nitrates partir à la mer tous les ans en mai-juin et aussi en automne-hiver hiver lorsque les couverts n'ont pas fait leur boulot de pompe à nitrates comme cette année car ils lèveront trop tard.
  • Il faut remettre des zones humides dans les têtes de bassins cultivées, sans que ce soit des droits à polluer, et plus largement renaturer activement ces amonts en renforçant le maillage des haies (mais cela peut nécessiter l'arrosage des plants: hélas cette année il est vraisemblable que peu de plantations passeront le cap en absence apports d’eau ciblés).

Et enfin un autre grand moyen d'action important d’adaptation au changement climatique sera le retour à une diversification des productions (à condition que la transition énergétique, qui se fera au détriment des rats de champs, ne détruise pas l'agriculture nourricière)

 

        Pour consulter facilement la partie 2 de ce dossier, à paraître, inscrivez-vous à mon blog

         CarnetdAgrEaunome.over-blog.com dans la rubrique newsletter

 

[i] Une démarche similaire existe également en milieu urbain et en zones habitées et commerciales, mais là aussi l’accélération des actions est de mise !

 

Petite zone humide en prairie naturelle de moyenne montagne - Jax -Haute Loire

Petite zone humide en prairie naturelle de moyenne montagne - Jax -Haute Loire

Eau invisibilisée (Aqua Incognita), Vallée de la Seille (57) (17 nov 2016)

Eau invisibilisée (Aqua Incognita), Vallée de la Seille (57) (17 nov 2016)

Parcelle drainée et talweg busé : typique du bocage Bressan "modernisé" dans l'Ain (St Jean/ Reyssouze)(4 nov 2017)

Parcelle drainée et talweg busé : typique du bocage Bressan "modernisé" dans l'Ain (St Jean/ Reyssouze)(4 nov 2017)

Tag(s) : #Territoires résilients, #Chemins de l'eau et diagnostics
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