«Appel de l’eau», cultivons l’eau verte, ralentissons et respectons l’eau bleue
Plourivo, Brittany, France, le 14 février 2023
Nous avons mis la charrue avant les bœufs, en délaissant le bon sens agronomique au profit de dépenses folles en tuyaux, en hydraulique dure et en timides remédiations. L’été 2022 nous a fait craindre le pire au plan national en termes de disponibilité d’eau. D’ailleurs certains secteurs ont connu des coupures d’eau (environ 700 communes en France). Nous ne sommes plus à l’abri de manques d’eau quasi généralisés y compris en Bretagne (pourtant réputée pour sa pluviosité !) et les conditions anticycloniques persistantes de ce début 2023, font craindre le pire pour l’année qui débute. Si le printemps 2023 n’est pas suffisamment pluvieux nous entrerons dans une sécheresse pluriannuelle avec probablement la naissance d’une appli nationale du type Ecowatt de l’eau : ECOd’EAU.
Autour des enjeux eau, l’histoire malheureusement se répète. Il serait souhaitable pour la gestion quantitative d’avoir un meilleur « feeling » que celui qui a prévalu en terme de gestion qualitative. Que ce soit vis-à-vis des contaminations de nitrates ou des pesticides, les mesures de reconquêtes de la qualité ont de toute évidence été misent en œuvre une fois les pics de contamination atteints ! Et depuis les niveaux détectés décroissent par paliers lors de la mise en place de mesures efficaces : obligation de semis de cultures intermédiaires piège à nitrates (CIPAN) ou interdictions de certaines molécules phytosanitaires. Cependant les vents contraires sont trop souvent réactivés : actuellement la Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne se positionne contre la protection des captages (prises d’eau) en rivières : c’est incompréhensible, techniquement insoutenable et irresponsable !
Sur le plan quantitatif un bilan de 2022 du Ministère de la Transition Ecologique, évoquait à l’échelle de la France des prélèvements en baisse depuis une vingtaine d’années, hormis ceux pour l’agriculture qui restent stables en moyenne (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ressources-en-eau). Depuis la sécheresse de 2022 a fortement montré les situations de tensions. Dans certains départements du Centre Ouest Atlantique on peut même parler de guerre de l’eau, attisée par le recours discutable aux méga-bassines, vastes surfaces d’évaporation qui risquent d’être contre-productives et d’augmenter les sécheresses hydrologiques (!).
Mais derrière des données de consommation « peu » alarmantes il faut intégrer un point important : l’augmentation de l’évapotranspiration qui est le point le plus remarquable entre 1959 et 2018, et son corollaire : la baisse au niveau français des volumes d’eau douce renouvelable (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/evolutions-de-la-ressource-en-eau-renouvelable-en-france-metropolitaine-de-1990-2018?rubrique=&dossier=217).
Face à ce constat, il est certain que nous avons une vision un peu étriquée du cycle de l’eau. On oublie souvent que deux tiers des pluies proviennent de l’eau issue de l’évapotranspiration des plantes et des sols, car seulement un tiers des pluies proviennent de la mer et des océans. Par manque de vision globale (et de sobriété préventive) la capacité de nos territoires et de nos paysages à stocker l’eau a fortement diminué depuis 60-70 ans compte tenu de très nombreuses activités humaines impactantes et à effets cumulatifs: extensions urbaines et imperméabilisation, atteintes aux cours d’eau et à leurs annexes, fortes régressions des zones humides, remembrements et aménagements des territoires favorisant les grandes parcelles et donc les ruissellements et l’érosion, très fortes diminutions et dégradations des haies champêtres et péri-urbaines, fortes régressions des surfaces en herbe (céréalisation toujours en cours), diminution importante des teneurs en matières organiques des terres agricoles, tassements des sols agricoles et forestiers avec tout dernièrement une forte augmentation du compactage des sols en forêts y compris en zones humides (abatteuses et débardeurs)) ,…
Augmentons la rétention de l’eau dans nos paysages et territoires
Et si l’heure était aux économies au sein des différents usages et bien sûr à une augmentation de la rétention naturelle de l’eau au sein de paysages résilients en cultivant l’eau verte et en ralentissant l’eau bleue[i].
Le Ministre de la Transition Ecologique a fixé comme objectif une diminution de 10% du volume d’eau prélevé d’ici à 2027. Comment réaliser des économies dans nos consommations d’eau?
- En limitant les fuites d'eau potable, en optimisant les procédés industriels gros consommateurs d’eau, en sensibilisant le grand public, en optimisant l’utilisation des eaux pluviales et en réutilisant nos eaux usées une fois traitées (REUT) lorsque c’est possible,…
- En cultivant l’eau verte, en ralentissant l’eau et diminuant les vitesses de transferts au sein des territoires. En préservant et en reconstituant nos zones humides, en préservant nos ripisylves et nos rivières, en retrouvant des sols agricoles (et urbains) à même d'infiltrer les pluies, en développant des cultures moins consommatrices en eau ou à minima en changeant les itinéraires techniques, en remettant de l’herbe dans les paysages, …
L’urgence climatique est là, mais sommes-nous vraiment capable d’agir rapidement et efficacement ? Je n’ai pas le sentiment que les nombreux débats actuels soient suffisamment disruptifs et abordent les problèmes au niveau nécessaire à leurs résolutions.
Et pourtant la logique est là : il faut recréer à grande échelle un cycle de l'eau vertueux en favorisant l'infiltration des eaux de pluie et en végétalisant l’ensemble des territoires pour obtenir un effet majeur. Cela nécessite de corriger les erreurs criantes réalisées au siècle dernier à grands coups de bulldozer en ayant recours à de l’hydraulique dure (béton, curage, enrochements, remblais à grande échelle,….
L’état et les services publics ne sont pas au bon niveau d’intervention : il faut aider les collectivités territoriales à mettre en place une reconquête active de la résilience de nos territoires. Nombreuses sont les actions efficaces engagées, reméandrages de cours d’eau, plantations de haies, techniques culturales avec couvert permanent (ACS : Agriculture de Conservation des Sols), enherbement des inter-rangs (vignes et arboriculture),...
Mais nous sommes loin du compte vis-à-vis de l’acuité des besoins : lorsque l’on fait une randonnée ou un « transect » sur les chemins et les petites routes de campagnes, il est encore très rare de voir des actions de remédiation ambitieuses!!
Les enjeux liés au changement climatique exigent des efforts massifs, cohérents et immédiats
Actuellement seulement un peu plus de 10% de l’eau de pluie s’infiltre dans le sol et le sous-sol, il nous faut réaménager nos territoires agricoles et ruraux[ii] pour optimiser et favoriser cette infiltration favorable aux stockages souterrains. Il faut redécouvrir et donc diagnostiquer les chemins de l’eau et les dysfonctionnements importants afin d’être en capacité de gérer les flux d'eau dans les reliefs et au sein des paysages. L’expérience montre qu’il faut agir sur l’ensemble des éléments du paysage en sachant que les plus grandes capacités d’infiltration sont obtenues sous forêts et en prairies permanentes : là où le tassement du sol est aussi réduit que possible. Il convient également de planter des haies, d’aller vers des techniques culturales plus respectueuses des sols, d’augmenter la teneur en matières organique de ces sols agricoles (cela permet d’améliorer la structure des sols et ainsi d’emmagasiner plus d’eau). Il est indispensable de réduire la taille des parcelles (grâce par exemple au modèle Buvard de l’Irstea/Inrae[iii]) : selon les typologies de sols la taille idéale à retrouver varie de 2 ha (sols à texture limoneuses très battantes) à 6 ha. A noter par ailleurs que sur des secteurs favorables et dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) les techniques de recharge maitrisée des aquifères sont évoquées[iv] dans le bassin Rhône Méditerranée.
L’agriculture occupe 45% de la surface française et les forêts couvrent 32% du territoire de métropole. Si l’on y ajoute les espaces naturels, c’est donc une grande majorité du territoire où il est possible d’être précautionneux du devenir de toute goutte d’eau de pluie puis des premiers écoulements hydriques diffus ou faiblement concentrés.
Nous devons cultiver l’eau, en généralisant des pratiques agricoles compatibles avec cet objectif, en s’appuyant sur des techniques d’hydraulique douce, sur les MNRE (Méthodes Naturelles de Rétention de l’Eau), et plus globalement en mobilisant l’ensemble des solutions fondées sur la nature. La notion d'hydrologie régénérative[v] (keyline design) regroupe cette vision d’ensemble. Elle concerne une gestion respectueuse de l'eau d’origine pluviale puis des premiers écoulements : stocker l’eau dans les sols, la ralentir, lui faire parcourir le plus long chemin. Pour cela il faut aménager les ilots parcellaires et les bassins versants en tenant compte des courbes de niveaux, respecter les sols agricoles et forestiers, réduire la taille des parcelles, réhabiliter, replanter ou régénérer les haies (appel de la Haie du 13 février 2023[vi]), développer les surfaces en prairies et réhabiliter des zones humides de plateaux et régénérer les sols agricoles par des pratiques durales et une réelle augmentation des teneurs en carbone, encadrer le développement des coupes forestières « à blanc » dégradant des sols forestiers issus de siècles de pratiques respectueuses, etc , etc. Et en prenant cette voie c’est bien sûr la biodiversité qui s’en trouvera renforcée car bien moins agressée et mieux protégée.
On ne peut pas seulement gérer la rareté, il faut en premier lieu réhabiliter les captages fermés pour cause de dégradation de la qualité des eaux brutes (nitrates et pesticides). Et sur la totalité des territoires nous avons le devoir de mobiliser les solutions fondées sur la nature pour aider le stockage de l’eau dans le sol, le sous-sol, les aquifères. Mais cela nécessite beaucoup d’humilité et l’arrêt du techno-solutionnisme qui prévaut trop souvent dans le domaine de la gestion de l’eau. Le monde de l’eau doit se débarrasser des trajectoires biaisées par des acteurs privilégiant leurs propres intérêts. L’eau est un bien commun qui doit bénéficier de politiques publiques ambitieuses et objectives. L’avenir proche nous offre des opportunités : citons le renouvellement important qui va avoir lieu au sein du monde agricole. Et si les agriculteurs de demain étaient des paysans, producteurs de nombreuses aménités, ancrés dans la vie des territoires, garants de la souveraineté alimentaire, protecteurs efficaces de la biodiversité ET de véritables CULTIVATEURS D’EAU.
mots clés: cultivons l'eau, transferts hydriques, eau verte, hydrologie régénérative
Article dédié à Maden, Saïg et Lehann
Guy Le Hénaff, AgrEaunome citoyen,
Ancien ingénieur chercheur en atténuations des transferts hydriques (pollutions diffuses par les pesticides)
Administrateur d’Eau et Rivières de Bretagne et de l’AFAC-Agroforesteries (Association Française de l’Arbre Champêtre)
[i] Eau verte : captée et stockée dans les sols et la végétation; Eau bleue : ensemble des eaux de surface et souterraines : celle qui nous préoccupe le plus est l’eau des petits chevelus hydrographiques mal protégés
[ii] En zones urbaines, les techniques seront différentes même si le préalable reste « infiltrer l’eau par tous les moyens » et notamment par des techniques fondées sur la nature: jardins d’eau, noues, bassins d’orage,…
[iii] http://buvard.irstea.fr/
[iv] https://www.eaurmc.fr/upload/docs/application/pdf/2022-11/note_recharge_artif_aquifere_vf2.pdf
[v] https://hydrologie-regenerative.fr/ https://www.facebook.com/groups/hydrologieregenerative/announcements
[vi] https://afac-agroforesteries.fr/appel-de-la-haie/
Ruissellement & érosion ! Après l'orage à Méligny le Petit (55) (photo Christian Bouchot, le 13 juin 2021)
Paysage apaisé et résilient (y compris pour les montbéliardes), Le Lac des Rouges Truites (39) (12 mai 2022)