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L’agriculture bretonne est-elle prête pour le changement climatique ?

La première réponse qui vient à l’esprit est non, et plus grave la préparation aux conséquences des aléas climatiques qui seront de plus en plus forts et violents ne semble pas vraiment à la hauteur de besoins pourtant identifiés. Les causes sont bien sûr multiples : moindre incidence des enjeux climatiques à ce jour par rapport à d’autres régions (Est, Sud-Est et Sud-Ouest,…), logique de guichets sous tendant les actions (malheureusement très globalement insuffisantes), poids des structures et des lobbies,...

Mais revenons à la Bretagne et aux enjeux climatiques: des réflexions concernant l’adaptation au changement climatique sont bien sûr menées, mais avec des ambitions que paraissent bien trop maigres. D’autant que sur le plan agricole, la région avec une forte connotation agricole (60% de sa surface est à usages agricoles) présente des handicaps importants. Elle est globalement très intensive, or tous les dysfonctionnements qui en découlent sont loin d’être résolus. Citons simplement deux thèmes : les nitrates et leurs conséquences environnementales, et la faiblesse de la transition agro-écologique qui n’a pas réellement commencée dans de nombreuses exploitations : de grands territoires de l’Est de la région Bretagne cumulent les handicaps de départs : réseau hydrographique remanié, sols limoneux manquant de matières organiques, maillage bocager faible, fertilisation importante, plus grande vulnérabilité aux transferts hydriques de pesticides conduisant à une forte contamination des cours d’eau et des retenues AEP en pesticides,…

L’adaptation au changement climatique sera délicate dans de nombreuses exploitations, d’autant que de nouveaux signaux sont inquiétants au niveau régional. Il y a en particulier la baisse inquiétante des surfaces en herbe. Or les prairies sont des éléments importants de maintien de la biodiversité et de bonne résilience des paysages : maintien des teneurs en matières organiques des sols, ralentissement de l’eau grâce à de fortes capacités d’infiltration (surtout en prairies permanentes moins sujettes aux tassements répétés et évidemment sans travail de sol), action refroidissante grâce à une meilleure albédo* lié au couvert permanent du sol, et bien sûr moindre surface recevant des produits phytosanitaires.

 

Réduisons notre vulnérabilité

Reprenons ci-dessous les points qui paraissent les plus importants : Dans un monde responsable, dénué de jeux d’acteurs et se fixant les bonnes priorités, la résolution de ces problèmes est capitale en terme de capacité de résilience de nos territoires.

 

- Culture de l’eau

Durant les trente glorieuses et encore bien après nous avons porté atteinte au maillage paysager et aux réseaux hydrographiques. Nous avons remembré de façon déraisonnable, rasé des très nombreuses haies. Nous avons rectifié de nombreux cours d’eau et busé des fossés et même du petit chevelu hydraulique. Nous avons drainé des zones humides. Nous avons tout fait pour que l’eau sorte le plus vite possible des champs. Et encore maintenant nous continuons à réduire la matière organique des sols : réduction des prairies, détournement du carbone nécessaire aux sols au profit des méthaniseurs (la place du carbone est dans la matière organique de nos sols, pas dans du méthane !). Et nous continuons à tasser les sols et à agrandir les parcelles de façon inconsidérée. Nous avons grandement accéléré les transferts rapides d’eau vers les rivières, et vers nos zones urbaines inondables ! Or nous avons de plus en plus besoin d’eau au plus près des plantes. En 2024 année déficitaire en eau en Nord Bretagne, nous avons encore eu un début de sécheresse agronomique en Août, heureusement sans gravité et donc non médiatisé. Au niveau de la surface agricole bretonne nous pourrions facilement augmenter la réserve utile des sols de 4-5 mm et stocker, à l’abri de l’évaporation, plus de 10 millions de m3 d’eau supplémentaires: l’équivalent du plus grand barrage des Côtes d’Armor, celui de la Ville Hatte sur l’Arguenon.

Nous devons rapidement mettre tout en œuvre pour cultiver l’eau verte :

- développer les capacités d’infiltration de l’eau dans les champs et au sein des paysages,

- ralentir et répartir l’eau dès le niveau parcellaire et donc dès l’amont des bassins versants.

- stocker l’eau dans des sols riches en matières organiques et non tassés, dans les éléments paysagers : zones humides intra-parcellaires, notamment en secteurs drainés, zones enherbées et haies qui tous deux ralentissent l’eau et dont la grande perméabilité favorise l’infiltration.

Bien entendu ces efforts seraient également hyper-bénéfiques pour la restauration d’une biodiversité mise à mal en secteur intensif. C’est en particulier le cas avec le développement des haies bocagères à plat ou sur talus. Haies qui idéalement devraient être associées à des zones non traitées de bords de champs : écobordures de type bandes enherbées ou toutes autres modes de gestion différenciée des bordures, et ce concomitamment avec  le déploiement des zones de protection de la biodiversité : ZNCA règlementaires (zones non traitées adjacentes aux cultures traitées).

Mon analyse peut paraître sombre, certains n’hésiteront sans doute pas à m’opposer des success-stories, qui sont malheureusement souvent onéreuses et très peu massifiées. Heureusement de vraies stratégies agro-écologiques sont actuellement mises en œuvre et parfois depuis longtemps : je pense notamment aux éleveurs laitiers ou allaitant en systèmes pâturants, qui s’appuie fortement sur la valorisation des prairies et des haies anciennes ou plus récentes. Bravo pour leurs engagements et les prises de risques qui vont avec.

 

- Eau potable et Aires d’Alimentation de Captage

De retour en Bretagne depuis 8 ans, j’ai été choqué par l’état de la protection de nombreux captages : dans les Côtes d’Armor les trous dans la raquette étaient nombreux avec en particulier l’absence d’animation agricole au niveau des captages parfois anciens mais aux périmètres connus. Et comme nous avons de très nombreuses ressources sans délimitation d’Aire d’Alimentation de Captage, il n’est pas erroné d’affirmer que le Bretagne, région exemplaire dans la reconquête de la qualité de l’eau il y a 30 ans, ne l’ai plus vraiment aujourd’hui. La course à la lenteur de certains responsables professionnels agricoles amène dans ce cas précis des inconvénients majeurs.

En Bretagne, l’eau potable est majoritairement d’origine superficielle. Il faut donc que rapidement l’ensemble des Aires d’Alimentation de Captages soient délimitées (ESU) ou revues (ESO). Les études de vulnérabilité doivent bien sûr être menées, voire revues de façon impartiales. De petites aires de captages en eau souterraine sont en route pour le "zéro phyto" mais dès maintenant certains herbicides doivent être interdits ou fortement régulés voire règlementés sur toutes les Aires de Captages (flufénacet,…). Les préfets de chaque département ont l’autorité pour prendre de telles mesures. Et les services techniques et de conseils agricoles doivent assumer leurs responsabilités, notamment vis-à-vis de l’ensemble des molécules se dégradant en métabolites rémanents (DMTA-P, nicosulfuron, métazachlore,….). Nous ne pouvons plus prendre des risques évitables : certains sont connus, d’autre pas. Le cas du S-métolachlore doit nous faite réfléchir : le risque était connu depuis des décennies et dès 2017 la contamination de la plupart des masses d’eau bretonnes était avérée, et pourtant les mesures nécessaires n’ont pas été prises ! Il a fallu attendre que l’interdiction soit effective au plan national  pour cette campagne 2025 et in fine c’est la biodiversité qui subit et le consommateur qui paie !!

 

- Nitrates et Algues vertes

Vis-à-vis des algues vertes, problème récurrent qui date du début des années 70, entrer dans le détail paraît bien trop fastidieux. A l’époque, j’ai pensé que l’agilité technique de la Bretagne lui permettrait de résoudre la problématique. Mais c’était sans compter sur des choix inadaptés : la prise en compte de la vulnérabilité du territoire breton a été très insuffisante voire inexistante. Les remembrements, certes un peu moins « musclés » ont perduré, les zones humides ont régressé et petit à petit nous avons perdu des capacités de résilience alors qu’il aurait fallu en regagner.

Depuis les différents plans nitrates et algues vertes, je devrais dire les très nombreux plans, ont fait l’objet d’âpres négociations. L’obligation de couverts a été une mesure très efficace, d’autant que c’est en plus une technique de bon sens agronomique qui permet également de réduire l’érosion des sols limoneux. Par rapport aux excès des années 90, les teneurs des eaux en nitrates sont redescendus mais sans que l’imprégnation des milieux agricoles, voire naturels, se résolve : les captages fermés en témoignent et le long des côtes le moindre rejet d’eau douce à la mer, repérable à la belle saison avec son panache vert fluo, révèle une forte teneur en nutriments de ces rejets. Les atteintes à l’environnement et à la biodiversité restent manifestes et pas seulement dans les baies à algues vertes. Les vasières, également vertes fluo en été, mériteraient également toute notre attention.

            Il est totalement incompréhensible que l’ensemble des plans élaborés au fil des décennies ne mobilisent pas à son juste niveau la reconquête de la résilience des territoires à algues vertes et tous les autres. Pourtant les résultats des études scientifiques nous montrent la voie depuis plus de 15 ans : les zones humides tampons sont des outils rustiques permettant de réduire d’environ 30% les flux de nitrates. Elles doivent être positionnées au plus près des parcelles émettrices : sorties de drainage ou d’îlots drainés, confluence d’écoulements hypodermiques voire de surface. En Bretagne, dans la lutte contre les nitrates il y a besoin d’agir à tous les niveaux : « ceinture et bretelles » sont nécessaires. Sortons un peu du microcosme breton. Pourquoi, dans un contexte de changement climatique et de baisse de la biodiversité, se priver d’outils et d’éléments paysagers rustiques, efficaces et peu onéreux ?

 

Agroécologie : le seul chemin utile et salutaire

Au fil des mois et des années, les articles de mon blog reprennent souvent des  problématiques partant des champs jusqu’à la vision globale des territoires : pesticides, eau potable et aires de captage, vulnérabilité aux pollutions diffuses, résilience des territoires,… . Mais aujourd’hui l’actualité politique est globalement source de grandes inquiétudes : la prise en compte de l’environnement s’efface derrière la satisfaction de pseudo besoins immédiats. Il parait clair que l’argent manquant, nous allons en plus manquer de courage politique :

 Qu’allons-nous dire à nos petits-enfants ? Que nous savions, mais que nous n’avons pas eu la volonté ni le courage de réaliser les efforts nécessaires ??

 Actuellement le soutien à agroécologie passe par des soutiens financiers parfois difficilement mobilisables, d’ailleurs l’argent peine à arriver comme en 2024 : MAEC (Mesures Agro-Environnementales et Climatiques), et peinera : soutien aux plantations de haies fortement menacé dans le prochain budget. Au plan réhabilitations hydrauliques les coûts sont importants, mais les élus doivent garder le cap et nous devrions même accélérer autour d’une véritable mobilisation collective en privilégiant le recours aux actions fondées sur la nature (agriculture biologique, génie écologique, hydrologie régénérative, hydraulique douce,…). Autour de l’emploi des pesticides, les surfaces traitées vont augmenter, mais nous devons protéger notre santé et donc les agriculteurs, les personnes sensibles, les riverains et les consommateurs. Nous devons aussi préserver nos biens communs que sont l’eau et la biodiversité. Ainsi toutes les mesures règlementaires de gestion des risques liés aux pesticides doivent être réellement mises en œuvre ainsi que les enseignements des nouvelles avancées des connaissances notamment vis-à-vis de la biodiversité et des riverains (écobordures non traitées, haies de protection,…).

L’agriculture contribue fortement à notre société, elle est bien sûr indispensable à notre alimentation et à notre cadre de vie. Ne laissons pas les dictats d’un capitalisme libéral mondial, ni des objectifs commerciaux dominer nos choix.

 La reconquête d’une meilleure résilience de nos territoires est un objectif incontournable et urgent, et quel qu’en soit le coût financier, puisqu’il s’agit de notre avenir à tous.

 

« Quelque chemin qu’on tienne en ce monde, on vient finalement à l’Agriculture »  

                                    Olivier DE SERRES (année 1600)

 

*Les prairies, grâce à leur couvert végétal permanent, permettent de réfléchir une part importante du rayonnement solaire vers l’espace. Par rapport à d’autres surfaces, forêts ou cultures, elles ont une meilleure action refroidissante sur l’atmosphère et contribuent à atténuer le réchauffement climatique.

Amont du Trieux: agissons dès les secteurs de sources : Kerpert, 22 (15 février 2024)

Amont du Trieux: agissons dès les secteurs de sources : Kerpert, 22 (15 février 2024)

Atterrissement en bas de (trop) grande parcelle : Pranzoult, 37 (27 mai 2024)

Atterrissement en bas de (trop) grande parcelle : Pranzoult, 37 (27 mai 2024)

Talus de ceinture participant à la protection de la vasière à algues vertes du Lédano, Paimpol, 22 (20 mai 2024)

Talus de ceinture participant à la protection de la vasière à algues vertes du Lédano, Paimpol, 22 (20 mai 2024)

Tag(s) : #Territoires résilients, #Règlementation phytosanitaire
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