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Prévention des inondations dès l’amont des bassins versants : agissons vite et bien.

Nos actions préventives et d’atténuation des crues sont très loin d’être à la hauteur

Les pluies importantes qui ont touché la Haute Bretagne depuis le début de l’année 2025 ont provoqué des inondations historiques notamment sur l’ensemble de la vallée de la Vilaine.

Face à un mauvais temps qui dure, nous n'avons pas de solutions miracles. Mais un panel d'actions peut être mobilisé. Mais l’a-t-il été ? Oui mais de façon timide et trop fragmentaire. Or, notre indispensable adaptation face au changement climatique nécessite de faire plus et mieux. En période de pénurie des financements, il va falloir réorienter les choix : nombre de collectivités n’ont pas vraiment pris en compte le changement climatique. Il est vrai que les choix politiques ne sont pas transparents, ni vraiment efficaces : et pourtant réorganiser nos territoires pour plus de résilience devient plus urgent que les actions, certes « valorisantes politiquement », qui améliorent simplement notre petit confort de nantis.

 

Les sociétés humaines historiquement liées aux rivières

Depuis fort longtemps, les hommes ont occupé les bords de cours d'eau et de rivières malgré les aléas répétés :

- accès à l'eau pour les humains, le bétail et les activités économiques,

- transport des charges lourdes par les voies d'eau (rivières puis canaux),

- facilités de voyages par les vallées et les ponts, d’où historiquement l’existence de péages aux points de passage (bateaux-bacs puis ponts),

- énergie hydraulique: moulins meuniers, teillages du lin, scieries, forges,..., etc.

La Bretagne n’échappe pas à cette occupation des fonds de vallée : la plupart des villes sont dans ce schéma topographique. De plus, nombreuses sont celles qui se sont établies à des confluences (Kemper en breton) Rennes, Quimper, Quimperlé, Nantes, Morlaix,... Et pour de nombreuses villes rétro-littorales (Landerneau, Châteaulin, Paimpol, Pontrieux, Redon,…) viennent s’ajouter aux crues les marées, qui en vives eaux, contrarient fortement l’écoulement de l’eau douce arrivant des bassins versants. Encore maintenant de fortes expansions démographiques concernent les fonds de vallée. Rennes en est l’exemple parfait avec son développement important ces dernières décennies : des précautions sont prises et des aménagements sont mis en place. Mais en termes d’inondations, dans des territoires toujours plus imperméabilisés, le pire est certainement devant nous. Ce sera le cas lorsqu’un « train » de perturbations pluvieuses particulièrement actif et long, générera de très fortes inondations qui coïncideront en zones littorales avec de forts coefficients de marées.

 

Le bassin rennais : un nœud hydraulique au sein d’une métropole en forte expansion

Avec des altitudes qui s’échelonnent de 20 à 74 mètres la ville de Rennes est un site urbain peu marqué par le relief (Wiki Rennes Métropole). La ville a été créée sur un petit promontoire dominant la confluence de l’Ille et de la Vilaine. Elle s’est longtemps développée de part et d’autre des cours d’eau, puis au XXème siècle elle s’est étendue sur les hauteurs environnantes. Avec la confluence Seiche-Vilaine qui se situe en aval de l’agglomération, Rennes Métropole est clairement située à un nœud hydraulique où les débits d’eau brutes provenant des bassins versants de l’amont s’additionnent : Vilaine amont, Ille et Ilet (selon les prélèvements/apports du canal Ille & Rance).

Aux enjeux liés à l’urbanisation en zones inondables et à la bétonisation des villes, s’ajoutent les effets d’une « modernisation » parfois à outrance des paysages ruraux et agricoles. Les effets des remembrements, de la multiplication des voies de circulation (et des fossés) et de l’imperméabilisation due à l’urbanisation urbaine s’additionnent. Les vitesses d’écoulement de l’eau ont clairement été amplifiées : or c’est une des causes de la rapidité et de la gravité des crues. Il est évident qu’il faut agir sur ces territoires amonts, dans et autour des bourgs et petites cités et bien entendu au sein de l’espace agricole qui occupe 60% de l’impluvium (surfaces recevant la pluie).

Ralentir l’eau doit être l’idée fixe de tout élu, de tout aménageur, et de tout acteur du territoire : agriculteurs, entrepreneurs, habitants gérants des espaces privés. Autour des aménagements et restauration de cours d’eaux la notion de ralentissement dynamique pour la prévention des crues est maintenant appliquée depuis des décennies :

« On peut historiquement définir le ralentissement comme le fait d’atténuer les crues d’un cours d’eau, c’est-à-dire en cherchant à freiner les écoulements avant leur arrivée dans le lit du cours d’eau, à mobiliser les capacités d’amortissement offertes par les débordements des crues dans le lit majeur et à stocker temporairement une partie des volumes de crue dans des ouvrages spécifiques. » (in, « Le ralentissement dynamique pour la prévention des inondations », Ministère de l’Ecologie-Cemagref, septembre 2024).

(https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_RD_cle53f737.pdf)

Ce ralentissement dynamique est un travail de longue haleine qui doit sous-tendre tout aménagement mais qui conduit aussi à revisiter des ouvrages anciens ou de l’urbanisation/imperméabilisation mal réfléchie. Il permet d’éviter des pics de crues simultanés de tous les cours d’eau d’une portion de bassin versant, ce qui permet d’atténuer le pic et donc les dégâts en zones à enjeux (faubourgs encadrant les ponts, zones habitées ou d’activités développées aux mauvais endroits.

Sur le plan urbanistique, les projets d’aujourd’hui doivent suivre le cadre règlementaire (Code de l’Environnement, SDAGE, SAGE,…) : la gestion des eaux pluviales y est bien encadrée réglementairement. Mais est-ce suffisant ? Il reste manifestement des projets « non-raisonnables » ! Et nous devons gérer un « stock » immense d’implantations en zones inondables, qu’elles soient historiques ou malheureusement plutôt récentes (lorsque l’on pensait être capable de tout maîtriser !).

 

Actions préventives sur les bassins amont et notamment en zones agricoles

Les inondations ne datent pas d’hier, mais dans les bassins versants amont les activités humaines et les paysages ont fortement évolués depuis 80 ans. Certains réajustements deviennent indispensables pour ralentir les vitesses de l’eau au sein de versants et donc pour regagner une réelle résilience face aux intensités des précipitations, que le changement climatique va augmenter considérablement mais aussi à l’éventuelle durée dans le temps des intempéries. Lorsque j’étais un tout jeune agronome (Il y a 45 ans…), un agriculteur franc-comtois m'avait fort justement fait part de son analyse : "en agriculture, le mauvais temps, c'est le temps qui dure". C'est bien sûr vrai pour les inondations lentes de plaine et inversement ça l’est aussi pour les sécheresses importantes.

Pour atténuer les méga-inondations, un panel d'actions doit être mobilisé, avec toujours une nécessité de multiplier les petits pas: corriger dans la mesure du possible les erreurs d'urbanisation en zones rurales relève de la même logique qu’en ville. Avec toutefois plus de solutions simples et un peu plus d’espaces mobilisables pour de petites zones de rétentions des eaux de ruissellement.

En zone agricole, il convient de s’appuyer sur les couteaux suisses nécessaires à l’adaptation au changement climatique : les prairies, les arbres, les haies, les ripisylves et bien sûr les zones humides.

Il semble difficile de concevoir l’avenir sans :

- ralentir l'eau au sein des parcelles et des éléments du paysage (prairies, zones humides, fossés, haies,  bandes enherbées, zones tampons humides en sortie de drainage,…)

- renaturer (ripisylve) et reméandrer des cours d'eau pour mettre fin à la forte chenalisation, opérée durant les décennies 1950, 60 et 70,

- densifier un bocage qui soit réellement fonctionnel, y compris au plan hydraulique qu’il soit à plat ou sur talus.

- renforcer les couvertures hivernales des champs

- préserver mais surtout augmenter la teneur en matières organiques des sols, avec une attention particulière à la baisse de cette précieuse matière organique du sol suite à des retournements de prairies et à des apports de digestats de méthaniseurs.

- garder la terre, et donc la fertilité, dans les champs : les limons et éléments fins ne doivent pas combler les fossés, colmater les frayères dans les cours d’eau ni envaser les ports et les estuaires.

Il y a quelques années, dans le cadre de travaux sur l’effet d’ouvrages hydrauliques et d’éléments du paysage sur les inondations, j'ai participé à des réflexions pluridisciplinaires sur "Bocage et inondation : peut-on généraliser l’effet de laminage des ruissellements aux crues ?". Voici le lien pour  l'article de Poulard et al de 2019 :

file:///C:/Users/ACER/Downloads/vpagneux,+setrevue-bocage-ruissellement-inondation.pdf.

Ces réflexions « bocage et inondation » faisaient suite à une journée thématique bretonne du CRESEB, le 26 mai 2014: https://www.creseb.fr/voy_content/uploads/2021/05/Creseb_lettre-dinfos-n6-inondation_2016.pdf

 

Et maintenant ?

Il nous faut « décrire et quantifier le ruissellement, car il est à la fois une cause directe de dommages (coupures de route, par exemple) et une contribution à la genèse des crues à l’aval. Il est important de bien le définir, le caractériser en tant qu’aléa, mais aussi de le quantifier, avant de comprendre comment agir pour en atténuer les conséquences » (Poulard et al 2019).

Mais le ruissellement est globalement mal connu et mal analysé, à tel point que depuis 70 ans nous avons aménagé nos parcelles sans tenir compte des risques accrus de transferts hydriques. La modernisation et la simplification des terroirs agricoles à conduit à un départ accéléré de l’eau des parcelles. Allié à la chenalisation des cours d’eau, cet accroissement de la vitesse de l’eau est évidement un facteur favorisant la vitesse de déclenchement et de propagation des crues : ralentissons l’eau dans les parcelles et autour des petits chevelus hydrographiques afin d’atténuer la gravité des crues et donc des dégâts aux biens voire aux personnes.

L’idéal serait de réaliser des diagnostics parcellaires de terrain, avec une méthodologie découlant des travaux du CORPEN (Comité d'orientation pour des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement). D’autres méthodes sont aussi mobilisables : le modèle Lascar (R. Reulier et D. Delahaye, Université de Caen Normandie : file:///C:/Users/ACER/Downloads/vpagneux,+setrevue-bocage-ruissellement-modelisation.pdf), et le modèle Buvard-Mes de l’Inrae de Lyon (Buvard-online : C. Catalogne et al 2028 : https://hal.inrae.fr/hal-02607260).

Aux approches parcellaires il faut absolument associer un regard sur les chemins de l’eau au sein du paysage. Les guides de diagnostic de bords de cours d’eau et d’implantation de zones tampons développés par l’Irstea de Lyon permettent cette analyse :

  • Guide de diagnostic de l’efficacité des zones tampons rivulaires vis-à-vis du transfert hydrique des pesticides. (J-J. Gril & G. Le Hénaff ; 2010 Rapport Irstea-Onema)
  • Guide d’implantation des zones tampons et autres publications ultérieures de l’équipe pollutions diffuses : https://polldiff.riverly.inrae.fr/publications/rapports-scientifiques-rapports-d-etude.
  • Le modèle Lascar permet également une bonne approche de cette intégration paysagère

Aujourd'hui nous devons retrouver une culture de l'eau et plus particulièrement en zones inondables. Avec l’électricité et ses équipements, avec le placoplâtre dans nos maisons, nous avons grandement augmenté le risque de dommages importants. Le remblaiement de zones d'expansion des crues, jusqu’à ces dernières années pour développer les villes, n'était pas une bonne idée. Et encore maintenant des zones humides disparaissent et l’atavisme semble toujours nous pousser à mettre nos déchets et gravats dans les trous, alors qu’au contraire il faut réaménager des zones humides en bordure ou en coin de champs, en sortie de drainage et au niveau de nœuds hydrauliques. Notre vulnérabilité doit être "vulgarisée", et les gestes préventifs privilégiés et faire l’objet d’incitations. 

La culture du risque naturel [i] doit évidemment revenir dans nos sociétés très urbanisées, très tournées vers le confort des citadins. Car nous avons construit en zones inondables et nos campagnes ont été "modernisées" et ce parfois à outrance. Il est bien évident que cette prise de conscience doit en premier lieu concerner nos élus et décideurs, ce qui malheureusement est loin d’être le cas. La prise de conscience semble être en route dans les villes. C’est me semble-t-il beaucoup moins vrai en amont, ou l’appétence pour un ralentissement dynamique des ruissellements et des écoulements d’eau reste faible en zones agricoles et rurales. Et pourtant l’adaptation au changement climatique doit aussi nous conduire à adopter rapidement les méthodes de renaturation basées sur la nature, comme la reconstitution du bocage, l’hydraulique douce et l’hydrologie régénérative.

 

 

[i] Pour avoir habité ou travaillé près de grandes rivières ou fleuves (Doubs, Mayenne et Maine, Meurthe, Saône, Rhône,...) où les gens du cru avaient le réflexe de mettre au moins les voitures et les camions sur des points hauts : je reste toujours choqué par le nombre de voitures piégées lors d'inondations.

Dysfonctionnement agricole a corriger (Plourivo - 22) Suite de la tempête Alex le 4 octobre 2020

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Arrivée du ruisseau Quinic très chargé en limons, port de Paimpol - 22 (5 mars 2020, phénomène très répétitif, comme ce 8 février 2025!!))

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Rétention interressante par talus en bord de mer; Le lédano à Paimpol -22 (3 février 2025)

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Belle bordure de champ agroécologique, Rohan - 56 (24 Août 2019)

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Tag(s) : #Chroniques de territoires, #Chemins de l'eau et diagnostics
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