Diagnostic et atténuation des transferts hydriques des pesticides
au sein d’un bassin versant agricole
G. LE HÉNAFF (1) (3), C. CATALOGNE(1) (3), N. CARLUER(1), V. GOUY(1), C. BILLY (2) (3)
C. LAUVERNET(1) et L. LIGER (1)
(1)Irstea, centre de Lyon-Villeurbanne, équipe Pollutions Diffuses, 69626 Villeurbanne cedex - France
guy.le-henaff@irstea.fr - le-henaff.guy@orange.fr, nadia.carluer@irstea.fr
(2) ONEMA, Office national de l'eau et des milieux aquatiques, 94 300 Vincennes - France
(3) Groupe Technique national Zones Tampons : www.zonestampons.onema.fr
Communication présentée à l’occasion de la 23e CONFÉRENCE DU COLUMA, JOURNÉES INTER-NATIONALES SUR LA LUTTE CONTRE LES MAUVAISES HERBES, organisée à DIJON les 6, 7 ET 8 DÉCEMBRE 2016 par l’AFPP (association française pour la protection des plantes, Devenue depuis le 1er octobre 2018 : Végéphyl – Association pour la santé des végétaux)
RÉsumÉ
L'utilisation durable des produits phytosanitaires implique de s'intéresser aux transferts des molécules et aux zones tampons. Ces dispositifs font partie des « outils de remédiation », nécessaires pour répondre aux exigences de la Directive Cadre sur l’Eau, en complément des actions sur la réduction des usages. Des publications sur les conditions de mises en œuvre des zones tampons font clairement apparaître l’importance de la réalisation d’un diagnostic local préalable pour obtenir une efficacité optimale. Il faut identifier les chemins de l’eau, et bien comprendre le fonctionnement hydrologique des parcelles et des versants, en tenant compte de nombreux éléments dont la topographie, les pédo-climats et les systèmes de cultures. En effet un dispositif tampon efficace doit être bien adapté au contexte local, bien localisé et bien dimensionné pour intercepter, infiltrer ou retenir les flux hydriques et ainsi permettre la dilution, la rétention et la dégradation des pesticides transportés en son sein. L’approche validée de diagnostic-optimisation consiste à partir d’une description des transferts à proposer un ensemble cohérent de solutions adaptées.
Mots-clés : pesticides, phytosanitaires, transferts hydriques, diagnostic, ruissellement, zones tampons
ABSTRACT:
DIAGNOSIS AND MITIGATION OF PESTICIDE TRANSFERS in WATER WITHIN AN AGRICULTURAL CATCHMENT
The sustainable use of pesticides requires focusing on molecules transfer and buffer zones. These devices are part of "mitigation tools" necessary to meet the requirements of the Water Framework Directive. The publications on the conditions of implementation of buffers zones clearly show the importance of performing a local diagnosis in order to assure an optimal efficiency. First, the water pathways must be identified, and which therefore implies to understand the hydrological behavior of fields and (hill) slopes, taking into account the numerous involved parameters, including topography, soil and climate characteristics as well as cropping systems. Indeed, to be effective a buffer zone must intercept, retain or infiltrate runoff water flows and dissipate transported pesticides. The enabled proposed approach “diagnosis-optimization” is based on a description of the relevant transfers to be addressed so as to offer a consistent set of solutions.
Keywords: pesticides, water transfers, diagnosis, runoff, buffer zones
Introduction
L'utilisation durable des produits phytosanitaires en parcelles agricoles implique de s'intéresser à la dispersion des molécules après leur application aux champs et de leurs métabolites vers les autres milieux : zones habitées, milieux aquatiques, milieux terrestres naturels ou semi naturels. Par ailleurs, l’application de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) vise le bon état écologique des cours d’eau. Le risque de non atteinte de ce bon état est encore significatif en France en 2016 pour de nombreuses masses d’eau, notamment à cause de la contamination de la ressource en eau par les pollutions diffuses, nitrates et produits phytosanitaires principalement. Dans ce contexte, les zones tampons sont des éléments du paysage et des infrastructures agro-écologiques existantes ou créées qui sont en mesure de retenir ces polluants, d’être un lieu de biodégradation active et donc de limiter les transferts hydriques de surface vers la ressource en eau.
La mise en œuvre en France depuis 2011, des scénarii européens du groupe de travail « Focus Surface Water » pour l’évaluation du risque lié aux substances phytosanitaires va d’ailleurs dans ce sens et impliquera dans un avenir très proche une plus grande mise en œuvre des mesures de gestion des risques de ruissellement à l’échelle parcellaire. Dans de nombreuses situations il sera nécessaire de tenir également compte des écoulements dans les versants et de l’organisation spatiale des différents pédo-paysages pour atteindre une efficacité suffisante de limitation des transferts : écoulements provenant des parcelles situées en amont, souvent constitués de ruissellements déjà concentrés. Pour être à la hauteur des exigences de la DCE, la profession agricole et l’ensemble de ses partenaires doivent s’approprier encore davantage les enjeux liés aux contaminations des milieux par les pesticides, s’investir plus largement dans des démarches actives, collectives et d’envergure et être force motrice au sein de jeux d’acteurs souvent complexes et parfois contre-productifs.
Des mesures simples, rustiques, souvent peu onéreuses peuvent être mobilisées très facilement et rapidement, même si certains contextes nécessiteront des dispositifs plus complexes (secteurs hydromorphes drainés, vignobles pentus, etc.). Cette approche est d’autant plus justifiée que la France présente de nombreuses petites régions agricoles sensibles aux transferts hydriques de pesticides vers les eaux de surface et les milieux aquatiques. Il s’agit des régions ayant des caractéristiques géologiques et pédologiques induisant des transferts hydriques latéraux importants. Elles présentent généralement une forte pression en termes d’applications de produits phytosanitaires et plusieurs des caractéristiques physiques suivantes : un réseau hydrographique dense, des sols ruisselants (pour cause de battance ou de saturation des sols), du drainage ou la présence d’hydromorphie sur des surfaces importantes, des sols sensibles à la compaction, de nombreux écoulements concentrés en coins de parcelles, etc.
Ces différentes caractéristiques locales et paysagères induisent des cheminements de l’eau spécifiques qu’il est essentiel de bien diagnostiquer pour positionner et dimensionner au mieux les zones tampons. Pour atténuer les pollutions diffuses de manière efficace, ces dernières doivent être en mesure d’intercepter, infiltrer ou retenir les flux hydriques et les pesticides transportés sous forme soluble ou, adsorbés aux matières en suspension. Or, et grâce notamment aux travaux du Comité d’Orientation pour des Pratiques agricoles respectueuses de l’ENvironnement (CORPEN), complétés et renforcés par d’autres structures et notamment l’Irstea et de l’ensemble des partenaires du Groupe Technique national Zones Tampons, nous avons maintenant, en France, les connaissances et les outils permettant d’appuyer une politique active et efficace de limitation des transferts de phytosanitaires. Dans ce sens, l’approche validée de « diagnostic-optimisation » présentée ici consiste, pour un territoire et à partir d’une description argumentée des processus de transferts, à proposer un ensemble cohérent de solutions localement adaptées.
On souligne que cette approche bénéficie en particulier de travaux et réflexions menés depuis plus de 30 ans et qu’il est possible, aujourd’hui, de traduire par une démarche opérationnelle comprenant plusieurs étapes de diagnostics et de propositions d’actions, que nous allons évoquer dans cette communication.
Conclusion et points d’attention
Les zones tampons sont plus particulièrement utiles lorsque les écoulements s’effectuent en surface du sol ou à faible profondeur, que la ressource en eau soit en surface ou souterraine. Elles permettent de limiter le transfert hydrique de surface et de sub-surface des polluants provenant des parcelles cultivées en amont, par rétention puis dégradation des molécules retenues. Elles s’avèrent donc pertinentes au sein des bassins versants pour la protection des milieux aquatiques (« bon état écologique » de la DCE). Par ailleurs, compte tenu des enjeux et de leur complémentarité vis-à-vis des actions sur la réduction des usages, leur intégration paraît indispensable sur les Aires d’Alimentation de Captages (AAC) à alimentation de surface ou mixte.
L’efficacité des zones tampons pour retenir et dégrader les produits phytosanitaires est en général élevée, mais elle peut varier fortement en fonction des conditions de pente, de sol, de l’hydrologie de versant, … ce qui rend l’approche quantitative difficile en tout point du territoire français et implique des adaptations spécifiques. Il est donc nécessaire de passer par une approche à l’échelle locale qui idéalement s’intéresse à l’échelle parcellaire et à celles des petits bassins versants. Après un travail préalable de compréhension du fonctionnement hydrique local (perméabilité des sols, hydrologie des fossés et cours d’eau, etc.), la mise en œuvre des démarches de diagnostic permet d’établir un état des lieux des zones tampons existantes et de leur fonctionnement. Il est ensuite possible de dégager des préconisations afin d’optimiser leurs actions de limitation du transfert des produits phytosanitaires. Il est essentiel de s’appuyer sur des données de qualité ou de les acquérir si nécessaire (pédologie, drainage, etc.). La tendance actuelle de donner un poids excessif aux « outils SIG » ne doit pas se faire au détriment du travail de terrain indispensable pour la compréhension des processus locaux. L’utilisation de ces démarches est complexe sur des bassins versants très étendus. Il faut dans ce cas effectuer le diagnostic sur des zones ciblées au sein du bassin versant, afin d’y caractériser les zones tampons et leur fonctionnement. Des situations types ainsi que les préconisations qui y sont rattachées peuvent ensuite être dégagées.
Nous n’avons pas abordé les aspects socio-économiques et notamment quelle peut être l’acceptabilité liée aux contraintes de mise en place de zones tampons (emprise foncière, entretien, etc.). Il est indispensable en premier lieu qu’émerge une réelle prise de conscience de l’intérêt collectif à avancer dans ce sens pour l’avenir : il nous semble, ainsi, très important, voire indispensable, de réaménager les territoires agraires pour regagner de la multifonctionnalité (services écologiques, biodiversité, régulation des transferts (d’eau, de sol, de substances chimiques)) et aussi les rendre plus résilients. Force est de constater que des décennies de remembrements, d’assainissements et d’aménagements fonciers ont parfois créé des territoires trop sensibles aux transferts hydriques des contaminants. À nous de recréer, là où le besoin est évident, des territoires permettant un usage durable des pesticides. C’est nous semble-t-il la responsabilité de tous les acteurs et partenaires des territoires d’agir en ce sens, dans une vision à long terme et en abordant les changements de paradigme qui seront indispensables.
Remerciements
Nous remercions tout particulièrement Jean Joël Gril, qui a été un acteur décisif dans les travaux du CORPEN puis dans la conceptualisation du diagnostic des zones tampons. Merci aussi aux collègues de l’équipe pollutions diffuses du Cemagref-Irstea de Lyon Villeurbanne (Christelle, Frédéric, Dorothéa, Kévin,…). Le chemin parcouru avec les membres du Groupe Technique national Zones Tampons, a par ailleurs été particulièrement intéressant, tout comme l’étude TOPPS-Prowadis menée dans 7 autres pays européens et les récentes réflexions sur les mesures de gestion : alternatives possibles au DVP 20m.
Communication portant sur les zones tampons et leurs diagnostics sur le terrain
Diaporama de synthèse pour le COLUMA 2016 : la première partie porte sur le diagnostic des zones tampons et l'atténuation hydrique des transferts