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Zéro pesticides dans notre eau, c’est possible sans traitement !

Depuis quelques années la problématique des métabolites dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) monte en puissance. C’est lié à l’augmentation des capacités analytiques, aux études de suivis des contaminants émergeants, à l’intégration de plusieurs métabolites dans les suivis de surveillance des eaux et aux études d’évaluation des risques toxicologiques : détermination de la pertinence ou de la non-pertinence (travail qui à ce jour a concerné 20 métabolites). Pour les métabolites jugés pertinents détectés dans l’eau potable la limite de qualité est celle de tout pesticide : 0.1 µg /l. Pour ceux considérés comme non-pertinents une tolérance est appliquée puisque la limite est de 0.9 µg/l. Quant aux métabolites aux études non terminées ou manquantes le seuil de 0.1 µg/l est un couperet, puisque tout dépassement se traduit par une impossibilité de distribuer l’eau (c’est le cas pour l’ASDM, métabolite du nicosulfuron, herbicide maïs).

Autour de l’Esa-métolachlore, produit de dégradation jugé comme pertinent, les enjeux se sont révélés très importants. Depuis la généralisation de la surveillance en 2017, de très nombreuses ressources en eau potable se sont révélées contaminées de façon durable. Ces captages entrent donc dans les procédures de dérogations applicables lorsque le seuil de 0.1 µg/l est dépassé de façon durable. Depuis début mai 2022 les arrêtés préfectoraux commencent à être publiés : ces dérogations offre la possibilité de dépasser « modérément » le seuil pesticide de 0.1 µg/l à condition de mettre en œuvre des actions de remédiation : changement de pratiques agricoles sur les zones de protection des captages (périmètres et aire d’alimentation de captages), modification des filières de potabilisation (essentiellement basées sur des filtres à charbons actifs), interconnexion.

                La prise en compte de produits de dégradation des pesticides relance la problématique de la reconquête de la qualité de l’eau et bien sûr renforce les questionnements sur les effets cocktails des pesticides puisque la connaissance des molécules présentes simultanément dans l’eau s’améliore. Toutefois la réactivité collective des structures en charge de l’eau potable et plus spécialement des pouvoirs publics n’a pas été à la hauteur ! Alors qu’une prise en compte anticipée des dépassements de l’Esa-métolachlore dans les ressources en eaux potable était possible dès 2018 et surtout 2020, nous arrivons en 2022 à la nécessité de mise en place de dérogations préfectorales pour un grand nombre de territoires.

  • Comment en est-on arrivé là ?

                Dès 2005 lors de la réapprobation du S-métolachlore, l’Union Européenne a appelé à la vigilance vis-à-vis des risques de contaminations de l’eau souterraine et dès le début des années 90 les premiers suivis des eaux de surface ont montré une présence importante du métolachlore.

Par rapport aux métabolites, les contaminations des eaux sont connues scientifiquement depuis de nombreuses années : aux USA dès la fin années 90 et en France grâce aux études du BRGM*, en 2010 sur la nappe de l’Ariège puis ensuite dans la nappe de l’Est Lyonnais.

Par la suite, les réseaux de suivis donnent des informations depuis près de 10 ans. En PharmacoPhytoVigilance mise en place par l’Anses (PPV) de nombreuses données sont disponibles à partir de 2013. Plus proche de nous, en Région Bretagne, le réseau de surveillance assure des suivis eau de surface à partir de 2017, et ce réseau montre une contamination quasi-généralisée des eaux superficielles dès 2019 par l’Esa-métolachlore.

               Depuis quelques années des mises en garde de la part de Syngenta ont concerné les captages. En octobre 2019, Syngenta alerte sur l’importance de limiter son usage sur les zones vulnérables aux pollutions, mais jusque 2022 les libellés étaient trop imprécis vis-à-vis des différentes zones de protection, car les préconisations mélangeaient les notions de périmètres de protection à celle d’aire d’alimentation de captage.

Du côté de l’Anses, ces dernières années, l’accent a été mis sur l’évaluation de la pertinence des métabolites (méthodologie publiée le 30 janvier 2019). A ce jour vingt études de métabolites ont abouti à un classement, soit 10 métabolites classés pertinents et dix autres considérés comme non-pertinents. L’Avis Anses du 14 janvier 2021, indique que « le comité d'experts spécialisé (CES) « Eaux » considère qu’il n’est toujours pas possible d’exclure formellement un effet mutagène ou génotoxique du métolachlore-Esa (CGA 354743) » d’où son classement comme pertinent. Un autre métabolite du S-métolachlore est également classé pertinent : le « Noa-métolachlore ». Suite à ce classement la réactivité a été forte. L’Agence Régionale de Santé Bretagne a intégré immédiatement les métabolites dans le suivi sanitaire des EDCH : à partir d’avril 2021 (avec la mise en place d’un nouveau marché public).

Mais, malheureusement du « côté agriculture » la Bretagne a perdu son agilité des années 90, durant lesquelles face aux très forts enjeux, elle a été une région pilote dans la reconquête de la qualité de l’eau. Entre 2017 et 2022, il a manqué du réalisme agronomique au niveau des instances régionales. Le Plan Ecophyto II+ n’a pas permis la mise en place d’actions spécifiques pertinentes et efficaces à court termes, pourtant clairement nécessaires dès 2019 ou 2020 !! Les choix réalisés autour du désherbage mécanique sont et seront utiles, mais la montée en puissance de ce type de méthode est longue (besoins en matériel, prise en main, sensibilité aux conditions climatiques,…) et sans rapport avec un besoin urgent de protection des captages déjà contaminées depuis de longues années.

Avec les données des réseaux de surveillance bretons, l’alerte était lancée depuis plusieurs années (2017), Il y avait tout pour faire bien, mais sur ce type de problématique la « course à la lenteur » classique n’est pas une réponse adaptée et «la co-gestion se révèle peu véloce et donc inadaptée». D’autres territoires ont fait mieux, notamment dans la région voisine des Pays de Loire. Le Bassin de Saffré (44) peut être cité en exemple avec en 2022 l’arrêt du S-métolachlore et du métazachlore (herbicide colza) tout en étant très vigilant vis-à-vis de la terbuthylazine (j’aurais aussi ajouté une surveillance accrue du nicosulfuron et son résidu l’ASDM). L’objectif à long terme est par ailleurs ambitieux : « atteindre le non usage de produits phytosanitaires de synthèse d’ici 2040 ». Je trouve cette charte territoriale « tous InnEAUv’acteurs » signée en 2021 intéressante. Mais sans doute est-ce parce que c’est ce type d’action que j’ai mené de 1993 à 2000 dans les zones de captages franc-comtoises grâce à des MAE phytosanitaires régionales basées sur des expérimentations lancées dès 1992 autour de la problématique atrazine (et lindane), mais cette approche est rapidement tombée dans l’oubli malgré des résultats probants !

 

  • Une pollution diffuse pourtant facile à décrire

La pollution diffuse à l’Esa-métolachlore suit des processus très simples. C’est une petite molécule issue de la dégradation du S-métolachlore au sein des sols. Cette molécule résiduaire est plutôt soluble et elle présente une faible affinité avec le sol (matière organique, argiles) : du fait de ces caractéristiques elle s’avère difficile à éliminer en station de potabilisation. Elle présente une persistance importante (demi-vie), mais par contre elle est moins dangereuse « sanitairement » que la molécule mère.

La contamination des masses d’eau semble être liée aux transferts hydriques par lixiviation (« lessivage des sols ») et/ou par les transferts à faible profondeur dans le sol (drainage et « hypodermie »). Des pics de contaminations hivernaux sont observés en lien avec les pluies « efficaces » de fin d’automne-début d’hiver. Cette contamination présente donc des similitudes avec une autre pollution diffuse bien connue et généralisée: celle liée aux nitrates.

Il parait donc évident qu’avec une formation dans les sols et un entrainement différé, l’essentiel des efforts doivent porter sur une réduction importante de l’emploi du S-métolachlore : interdiction totale sur l’Aire d’Alimentation du Captage (AAC) de la ressource contaminée ou si elle est connue (et donc délimitée) sur la zone de protection de l’AAC : secteurs de l’AAC les plus vulnérables vis-à-vis des pollutions diffuses. Dans le cas qui nous préoccupe ce sont toutes les parcelles de maïs désherbées de l’AAC qui constituent la zone de protection à mettre en œuvre. En secteurs drainés il est à noter que les zones tampons humides, situées en aval de parcelles drainées, jouent certainement un rôle en atténuant les transferts automnaux d’Esa-métolachlore, mais cela nécessite d’être vérifié (cela marche bien vis-à-vis des nitrates).

Derrière la contamination des ressources en eau se profile la nécessité pour nombre de captages de créer de nouvelles filières ou de renforcer les traitements de potabilisation. Sans rentrer dans le détail il me paraît intéressant d’aborder les surcoûts induits par le choix de l’inaction en amont.

Pour les captages déjà équipés en installations avec charbons actifs, le surcoût de fonctionnement a été estimé de 3 à 6 centimes du m3 (source : Finistère eau potable, juin 2021). Par contre la facture sera nettement plus lourde là où la création des nouveaux équipements est rendu nécessaire. Les investissements et les nouveaux coûts de fonctionnements représentent un surcoût d’environ 30 centimes/ m3 qui in fine sera à la charge du consommateur-payeur.

 

  • Et demain que faut-il envisager pour éviter de nouvelles mauvaises surprises ?
  1. Un choix judicieux de molécules, tenant vraiment compte

- du risque de pollution diffuse: et donc des caractéristiques physico-chimiques des molécules mères et des résidus, des résultats des réseaux de surveillance,…

- de la diversité des territoires : vulnérabilité locale: géologie, pédologie, climat (régime des pluies), infrastructures paysagères,…

- des sensibilités parcellaires : type de sol, techniques culturales, tailles et surfaces parcellaires, et de la rugosité de surface (mottes, couvertures végétales), …

  1. Un renforcement des mesures de protection des captages passant par

- une délimitation et la mise en place généralisée des Aires d’alimentation de captage, avec une remise en cause de la notion de captage prioritaire, inadaptée vis-à-vis des métabolites capable d’imprégner fortement l’ensemble des milieux et des masses d’eau.

- une actualisation des périmètres de protection, qui sont parfois très anciens alors que l’environnement du captage peut avoir fortement évolué : retournement des prairies, extension de l’urbanisation, du réseau routier,…

- une meilleure pertinence des plans d’action, que doivent vraiment prendre en compte les conditions pédoclimatiques, la vulnérabilité et les pratiques agricoles.

  1. Des réaménagements ruraux, paysagers et une adaptation des parcelles permettant

- l’interception des ruissellements et des eaux de drainage : bandes enherbées, haies, talus, zones tampons humides, fossés enherbés ou à casiers (redents), zones boisées.

- de rechercher une forte rugosité de la surface des sols et ralentir les écoulements hydriques

- de viser une grande résilience des territoires grâce à un maillage paysager renforcé et en préservant les prairies et donc l’élevage pâturant à l’herbe.

 

  1. Un usage novateur, « éclairé et responsable » des phytosanitaires

- il faudra si besoin être en capacité d’arrêter totalement le recours aux intrants chimiques : au sein de Parlements Régionaux de l’Eau ayant un réel pouvoir exécutif ?.

- il faut, plus généralement, être en capacité d’anticiper les problèmes et de prendre si nécessaire des mesures de restrictions localisées ou généralisées sur l’ensemble de certaines AAC très vulnérables.

Cela sous-tend deux points de vigilance : être attentif aux contaminations mises en évidence par les réseaux de surveillance, en prenant soin d’avoir un suivi de bon niveau, en suivant particulièrement et attentivement le top 15 des molécules les plus présentes et en tenant compte des contaminants émergeants au fur et à mesure que de nouvelles informations sont disponibles.

- Il faut activer les techniques dites alternatives (dont certaines sont très anciennes, puisque antérieures à l’usage généralisé des pesticides) comme les rotations diversifiées, le désherbage mécanique, la réalisation d’assolements collectifs, l’existence d’une mosaïque des cultures en découpant les grandes parcelles entre cultures de printemps et cultures d’hiver,…

 

Avec la montée en puissance des problématiques liées aux métabolites, il est nécessaire de perfectionner la cohérence des politiques publiques autour des pesticides et de la qualité de l’eau. Est-il normal que, au sein des services publics, certaines directions générales ou régionales soit délibérément peu active sur un tel dossier ? Avec 30 ans d’actions autour de la reconquête de l’eau : retrait des molécules les plus contaminantes et les plus dangereuses, actions territoriales de protection des captages,…, les chroniques de contaminations des eaux montraient une amélioration réelle bien qu’un peu lente. Les pouvoirs publics doivent être à l’écoute de la recherche. Ils doivent être en capacité d’avoir une vision objective des réalités du terrain : depuis 1995 la lutte contre les pollutions diffuses n’est pas au niveau souhaitable alors que les techniques d’atténuation sont bien connues, et aisées à mettre en œuvre car rustiques. Sans doute que le côté « méthodes et solutions basées sur la nature » de l’hydraulique douce ne pèse rien face au techno-solutionnisme, plus intéressant pour les filières et le PIB ! Plusieurs équipes de recherche sociologique s’intéressent aux failles des connaissances autour des pesticides et des perceptions des acteurs sur le terrain. Sans doute serait-il souhaitable que les Conseils Généraux des Ministères*** se penche enfin sur la prise en compte très insuffisante de l’atténuation des pollutions diffuses dans les champs et au sein des parcellaires insuffisamment résilients, mais aussi bien évidemment sur la non application des mesures règlementaires de protection de la biodiversité au bord des champs.

Vis-à-vis des métabolites du S-métolachlore les signaux ne datent pas d’hier et la contamination généralisée était connu depuis 2017 : pourquoi en 2022 faut-il à nouveau mettre en place, au frais du consommateur-contribuable, de nouvelles stations de traitements des eaux alors que les réductions d’usage sont restées timides voire anecdotiques.

Le mille-feuille administratif qui régente la gestion de l’eau doit trouver un fonctionnement « éclairé » permettant d’allier agronomie, hydrogéologie, hydrologie, protection de la biodiversité des milieux et bien sûr des riverains. La confiance dans l’eau potable des consommateurs doit être la priorité absolue et une réelle prévention demeure le moyen le moins onéreux (et le plus logique) de préserver cette confiance et de limiter en même temps la contamination des milieux naturels.

* Bureau de recherches géologiques et minières

** MAE : Mesures Agro-Environnementales

*** CGAAER : conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, et CGEDD : conseil général de l’environnement et du développement durable

Résumé des actions nécessaires et possibles pour réduire la présence des pesticides dans l'eau potable

Résumé des actions nécessaires et possibles pour réduire la présence des pesticides dans l'eau potable

Diaporama de mes conférences de mai 2022 : zéro pesticide dans notre eau, c'est possible sans traitement !

Ecoulement chargés en limons, argiles et vraissemblablement en herbicides en sortie de parcelle de maïs -Lanleff-22 (4 juin 2018)

Ecoulement chargés en limons, argiles et vraissemblablement en herbicides en sortie de parcelle de maïs -Lanleff-22 (4 juin 2018)

Tag(s) : #Règlementation phytosanitaire, #Territoires résilients
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