Pesticides dans l’eau, arrêtons de tergiverser
Les territoires fournissant notre eau potable sont très insuffisamment protégés. Toutes les Aires d’Alimentation des Captages (AAC) ne sont pas délimitées. Or connaitre les surfaces contributives et leurs vulnérabilités constitue la base de toute action efficace : on ne construit pas une maison sans commencer par les fondations. Tous les captages et les points de prélèvement doivent bénéficier rapidement d’une délimitation des surfaces contribuant à la fourniture de l’eau potabilisable. Et il faudrait être en capacité de territorialiser le type de produits phytosanitaires utilisables : certaines molécules être bannies en cas de grandes vulnérabilités aux transferts de pesticides et en cas de « formation » importantes de métabolites (issus de leurs dégradations).
Les premières actions de reconquêtes de la qualité de l’eau vis-à-vis des substances actives phytosanitaires ont maintenant plus de 30 ans[i]. Au train où nous avançons collectivement, il nous faudra bien au moins encore 50 ans, sinon plus, pour que tous les captages d’eau potable soient réellement protégés. Car ensuite il faut mettre en place des actions véritablement efficaces, or certaines parties prenantes sont loin de favoriser la progression de la protection vis à vis des pollutions agricoles diffuses
Avec la transcription en droit français des textes EDCH (Eau destinée à la Consommation Humaine), la parution d’un arrêté interministériel est attendue depuis de nombreuses semaines. Il doit définir les points de prélèvements d’eau brute qualifiés de « sensibles ». L’objectif étant de permettre la mise en place des Plans de Gestion de la Sécurité Sanitaires des Eaux (PGSSE). Plans qui seront de la responsabilité de l’organisme producteur d’eau et dont l’échéance de mise en place est 2027, c’est-à-dire demain !
Ces plans de Gestion de la Sécurité Sanitaire des Eaux, si ils ne sont pas très largement déployés, ne permettront pas d’apporter à une large échelle la sécurité attendue et souhaitable.
Territoires de protection des eaux potables : périmètres et aires de captages
En 2021, la France comptait près de 32 900 captages utilisés pour l'alimentation en eau potable (source EauFrance). Vis-à-vis des pollutions ponctuelles et accidentelles, 80,8 % des captages bénéficient d'une protection avec Déclaration d'utilité publique (DUP) (chiffre datant de 2020), DUP délimitant les périmètres de protection « pollutions ponctuelles ». Mais, vis à vis des pollutions diffuses, nous sommes très à la traine pour la délimitation et donc la protection des aires d’alimentation de captages. Et pourtant ces aires de protection sont le seul moyen véritable pour pouvoir assurer une protection de qualité contre les pollutions diffuses.
En France (métropole et DROM), en 2021, 1 150 d’aires d’alimentation de captages (AAC) réellement délimitées sont recensées (Dernière mise à jour : 05/10/2021). Cela représente moins de 4 % du total des captages. C’est sans doute un peu plus car une AAC peut héberger plusieurs points de prélèvements. Mais on peut toutefois affirmer que les trous dans la raquette de la protection territoriale de l’eau potable en France sont énormes. Et au plan régional il en est évidemment de même: pour la Bretagne ces chiffres sont corroborés.
Savoir d’où vient l’eau captée : le B.A.B.A de la protection de l’eau potable
Une aire d’alimentation du captage (AAC) est définie sur des bases hydrologiques ou hydrogéologiques. Elle correspond aux surfaces sur lesquelles l’eau qui s’infiltre ou ruisselle participe à l’alimentation de la ressource en eau dans laquelle se fait le prélèvement. Pour une prise d’eau en rivière, l’aire d’alimentation correspond à la surface du bassin versant situé en amont du pompage et qui est donc délimitée par les lignes de crêtes (en tenant compte des échanges possible entre masses d’eau : canaux, transferts pour irrigation ou eau potable,…). Une AAC peut concerner plusieurs ouvrages de prélèvement.
Concernant la protection des captages, il faut nous faut bien sûr tenir compte des retours d’expérience procurés par la mise en place des protections des captages prioritaires et par la non-gestion des métabolites du S-métolachlore :
La mise en œuvre des outils et mesures de protection des captages prioritaires n’est pas finie. Dans le cas de la Bretagne, en 2022, 20 % des 58 captages prioritaires n’avaient toujours pas d’aire d’alimentation délimitée. Alors que l’AAC est la base, la « fondation », indispensable pour pouvoir mettre en place un plan d’action efficace contre les pollutions diffuses. Près de 15 ans après le lancement de la notion de captages prioritaires, cela laisse dubitatif en sachant qu’il reste en Bretagne plus de 600 captages dit non prioritaires et que des retenues très importantes en termes de ressources estivales ne sont quasiment pas protégées.
La non-gestion des métabolites du S-métolachlore (ESA-méto):
Technique de traçage involontaire des transferts hydriques (infiltration et ruissellement), mais traçage très instructif.
Les métabolites de pesticides sont de petites molécules très ubiquistes : généralement très solubles, ayant une faible affinité avec les sols (faible Koc) et présentant une longue voire très longue rémanence (longue demi-vie ou DL 50). Ces petites molécules présentent de plus globalement des difficultés à être retenues par les filières de charbons actifs.
Dès 2017, et même avant dans des études, les suivis dans les réseaux de surveillance de l’Esa-métolachlore ont montré que les eaux de surface étaient contaminées par ce métabolite de façon quasi généralisé. Aspect très important : les contaminations par l’Esa-métolachlore du petit chevelu hydrographique étaient effectives dès les premiers hectares désherbés en amont des bassins versants. Cela doit inciter à beaucoup de prudence et d’humilité. Il est illusoire de penser protéger une prise d’eau de surface en acquérant et /ou en protégeant un périmètre réduit. Les réflexions, les priorisations, les changements de systèmes doivent être déployés de façon massive sur toute l’aire d’alimentation ou au moins sur les zones les plus contributives repérées lors de l’étude de vulnérabilité.
Compte tenu des nouveaux enjeux liés aux métabolites la notion de captage prioritaire, héritée du Grenelle de l’environnement n’a plus vraiment de sens, sinon comme c’était le cas à répartir au mieux les subventions sur les zones d’alimentation les plus contaminées à l’origine…
Il faut agir partout sur l’ensemble des ressources en eaux. Pour cela il est notamment nécessaire de contrer la course à la lenteur de certaines institutions techniques (et politiques) agricoles. Course à la lenteur qui malheureusement a fait ses preuves en termes « d’efficacité » et d’entrave à l’action. La Bretagne qui a fait preuve d’actions énergiques dans les années 90 (Bretagne Eau Pure puis BEP 2), ne peut vraiment plus être qualifiée de région novatrice. Comme d’autres régions, elle manque d’agilité alors que les connaissances et l’expertise qui existent autour des pesticides peuvent et doivent servir à fortement limiter leurs emplois et les transferts hydriques vers les zones habitées et vers les milieux naturels et aquatiques. Autour du Plan Ecophyto, la profession agricole ne doit pas piloter seule les stratégies herbicides. D’autant que malheureusement le développement du désherbage mécanique du maïs ne peut pas permettre à lui seul de gérer la qualité des Eaux Destinées à la Consommation Humaine (EDCH), notamment en eau de surface. Ce n’est pas "sexy" mais il fait absolument établir une hiérarchie entre les risques liés aux molécules, mais peut-être sommes-nous amnésique ? Car l’idée est opérationnelle depuis les années 1980… : grâce à la méthode SIRIS, d’autant que d’autres approches potentiellement plus performantes sont maintenant possibles.
Certaines molécules doivent être bannies très rapidement des aires d’alimentation de captages : flufénacet, métazachlore (?), DMTA-P ?, nicosulfuron ?, terbuthylazine ?, prosulfocarbe ?, …
Concernant la Bretagne, la liste SIRIS établie par le CRODIP (Classement des substances actives 2024, https://www.crodip.fr) doit être actualisée et fortement durcie pour tenir compte des risques liés aux métabolites.
La délimitation des aires d’alimentation doit absolument être généralisée dans l’ensemble des régions. A l’échelle de la Bretagne, pour les captages et prises d’eau de surface, une prédéfinition généralisée de l’ensemble des AAC, pourrait certainement être faite dans le cadre d’un simple mémoire de Master (voire peut-être 2 ?) : pourquoi s’en priver ? En termes de simplification ce serait, me semble-t-il, un très bon exemple !!
Le courage et l’agilité intellectuelle doivent dicter les choix techniques et politiques et permettre une gestion éclairée des enjeux sanitaires des cultures dans le respect de la sécurité sanitaire des eaux, de la santé publique et pour une protection enfin efficace de la biodiversité, de notre biodiversité: gage de durabilité.
Guy Le Hénaff, le 23 mars 2025
Ancien ingénieur-chercheur en Pollutions Diffuses Agricoles, ancien animateur du COPIL "Méthodologie AAC ESU" et co-rédacteur du Guide Méthodologique « AAC » en eaux de Surface :
« Délimitation des aires d'alimentation de captages en eaux de surface et caractérisation de leur vulnérabilité vis à vis des pollutions agricoles diffuses par les pesticides », G. Le Hénaff & C. Gauroy, Cemagref, 2011, 55 p.
https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/pdf/Le%20Henaff%20et%20Gauroy%20(2011).pdf
[i] Le Hénaff G., Roussel R., Mettetal J P., 1998 - Les réductions d’intrants phytosanitaires, l’expérience franc-comtoise. 17éme Conférence du COLUMA, Dijon, pp.353-361
Captage de Morteau dans le Haut-Doubs : une aire d'alimentation sans pesticides: prairies et forêts. Morteau-25 (le 12 janvier 2024)
Paysage amont du bassin versant du Trieux: idyllique mais ce cours d'eau cotoye du maïs désherbé dès l'amont ! Kerpert-22 (15 mars 2024)