Ecophyto, une ambition incomplète ? Il manque toujours une prise en compte à un niveau suffisant des risques de transferts des pesticides dans l'environnement et donc de la progression de la résilience des territoires agricoles. De plus les responsables professionnels agricoles seraient bien inspirés d'agir afin de rapidement mettre en place le respect intégral des Autorisations de Mise sur le marché et donc des mesures règlementaires qui permettraient de réduire de façons significatives les effets non-intentionnels des pesticides.
Ecophyto II+ reste très (trop) phytocentré et parcellocentré. Depuis le départ le regard parcellaire est omniprésent. Certes les évolutions de pratiques parcellaires restent centrales, mais ne passe-t-on pas à côté des enjeux de ce début de XXI° siècle qui pourtant nous appelle impérieusement à avoir une vision globale ?
La protection des populations (personnes fragiles, riverains) devient nécessaire et la demande sociétale va en s’amplifiant. Nombres d’études montrent l’effondrement de la biodiversité mais aussi l’intérêt de territoires fragmentés pour le maintien de cette biodiversité. En territoire rural plus il y a d’espaces interparcellaires (en général semi-naturels) ou de prairies et plus les espèces non cibles sont préservées. Peut-on concevoir une vraie agroécologie dans des espaces agraires déstructurés et non résilients, sans arbres ni espaces interstitiels, qui résultent d’aménagements parcellaires drastiques et d’hydrauliques dures durant de nombreuses décennies? Ces territoires restent soumis aux impératifs économiques hérités de la PAC et à la recherche de productivité à court terme. Le gigantisme du matériel constitue une autre facette de cette évolution, au détriment de la fertilité des sols (érosion, tassements, tailles le plus souvent exagérées des parcelles). Face au réchauffement climatique : évènements climatiques extrêmes, puits de chaleur,…, nous savons également sans ambiguïté que nous devons modifier nos paysages agraires (et urbains bien évidement). Le retour de l’arbre est une évidence en tous secteurs, mais en l’absence de vision stratégique nationale il faudra des décennies pour les territoires les plus motivés et bien plus pour les autres!
Beaucoup d’éléments militent pour s’intéresser à l’écrin qui sera nécessaire pour une agroécologie tonique. Les actions qui seront conduite dans des zones sensibles au regard des enjeux de santé et environnementaux (Axe 5) suffiront-il ? Il manque toujours au moins un wagon au train Ecophyto, pourtant richement financé : à faire pâlir l’ancien rédacteur d’Avertissements Agricoles® que je suis, doté de peu de moyens pour promouvoir au tout début de ce siècle l’agriculture raisonnée puis intégrée! Il me semble que nous trainons depuis des décennies un lourd boulet : le quasi déni de la profession agricole vis-à-vis des pollutions diffuses dues aux transferts hydriques et aériens. Déni qui s’est encore traduit dernièrement par le refus catégorique de la part des professionnels de voir figurer dans l’arrêté phyto du 4 mai 2017, les mesures dictées par l’évaluation des risques (ANSES). Ces mesures recalées sans arguments techniques sont pourtant plus que nécessaire à la protection de la biodiversité en bordures de parcelles : zones non-traitées vis-à-vis de la flore et des arthropodes non cibles. De même nous avons la non prise en compte des risques liés aux ruissellements : dispositif végétalisé permanent en bas de parcelles potentiellement ruisselantes. Les zones non traitées liées à la biodiversité auraient par ailleurs déjà permises depuis 18 mois une réelle amélioration de la protection des riverains de parcelles agricoles, sans attendre la mise en place de chartes qui seront négociées localement sans certitudes quant à leurs réelles pertinences.
Lors de la préparation d’Ecophyto II, le député Dominique Potier, que j’avais longuement alerté sur la prise en compte tronquée dans Ecophyto des conclusions de l’expertise INRA-Cemagref de 2005, m’avais assuré que je serai contacté par le conseil général du Ministère de l’Agriculture (CGAAER) : j’attends toujours !
Depuis le réchauffement climatique est devenu prégnant, la réduction de l’emploi des pesticides se fait attendre, la protection des cours d’eau vis-à-vis des pesticides a vraisemblablement régressé, la biodiversité de nos campagnes est clairement en danger, certaines des mesures de protection contenues dans les autorisations de mise sur le marché ne sont pas appliquées ! Ce qui est un comble compte tenu des objectifs politiques affichés depuis 10 ans autour de l’emploi des pesticides,… . J’émets donc le vœu que la consultation publique soit une consultation réellement prise en compte lors de la mise en œuvre d’Ecophyto II+ et non un simple exercice participatif sans lendemain.
Guy Le Hénaff
IDAE retraité des services du Ministère de l’Agriculture,
Ancien ingénieur régional des Services de la Protection des Végétaux de Franche-Comté & Bourgogne et de Lorraine et rapporteur national pour la SDQPV de la Direction Générale de l’Alimentation (non-remplacé en 2008 !)
Ancien ingénieur chercheur à l’Irstea-Cemagref de Lyon (équipe Pollutions Diffuses agricoles par les pesticides) (non remplacé en 2017 !!)
Axe 1 : conseil phytosanitaire : du mieux mais il faudra appliquer les propositions
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- les cepp
OK, ils sont évalués par un groupe d’expert. Cependant deux remarques :
- pour certaines techniques il s’agit d’innovations lointaines (10 voire 20 ans et plus) ; pourquoi avoir attendu si longtemps ?
- l’agro-business transpire fortement de certaines techniques, mais pourquoi pas ?
1.4 Séparer les activités de conseil et de vente
L’idée est excellente, cela a d’ailleurs existé jusqu’en 2009, avant la RGPP et la disparition des SRPV !
Mais un conseil stratégique, à distance des périodes cruciales de risques maximum pour les bioagresseurs (insectes ou maladies fongiques), cela sera-t-il suffisant ? Il faut absolument éviter l’effet cautère sur une jambe de bois.
J’ai trop connu au mois de mai, les SMS de la distribution poussant aux interventions, pendant que moi je prônais la modération ou la non- intervention (rendez-vous « Labo-vert » en Lorraine de 2000 à 2008, tours de plaine en Franche-Comté avant 2000). Compte tenu des technologies de communications actuelles et des moyens engagés dans Ecophyto, les conseils indépendants en phase étroite avec les stades végétatifs et les analyses de risques devraient être une priorité car ils seraient hyper stratégiques pour la prise de décision des agriculteurs.
- Action 30 000 …
La transition vers l’agro-écologie ne peut pas faire l’économie de revisiter les paysages agricoles souvent déstructurés. Ecophyto II+ doit conduire à des réflexions globales puis générer un mouvement d’envergure afin d’aller partout vers des territoires résilients.
Les succès stories font la une des colloques et des médias spécialisés ou pas. Mais quid des bad-stories qui concernent bien plus de surface : la capacité de communication d’Ecophyto doit aussi permettre de sauver des territoires en danger (la Dombes,…) ou en transition vers des surfaces traitées toujours plus importantes (régions intermédiaires hydromorphes en perte d’élevages à l’herbe).
- Améliorer le BSV
Voir aussi le 1.4
Vive le retour des comparaisons de couples de parcelles (ou fraction de parcelles) traitées/non-traitées : l’inutilité des traitements y est souvent parlante, d’où le faible appétit des distributeurs pour cette approche, pourtant courante dans le Nord-Est il y a plus de dix ans (SRPV &FREDON).
Pourquoi s’interdire le conseil ? Le rédacteur d’un BSV, qui travaille en collégialité, est me semble-t-il souvent le meilleur connaisseur de la situation sanitaire de la plaine et donc le plus à même de prodiguer un conseil objectivé.
Il serait sans doute très pertinent de différencier les bords de champs et la parcelle : une gestion différenciée des bords de champs serait d’un grand intérêt et aurait l’avantage d’objectiver les interventions dans la parcelle : cela évitera un traitement généralisé pour cause de « salissement malherbologique» sur une quinzaine de mètres en bordure.
AXE 2 :
De nombreuses connaissances existent, il manque des moyens pour le soutien aux politiques publiques et des pistes pour le renforcement de l’acceptabilité.
- Stratégie nationale
Concernant le champ de l’environnement, nous avons plus besoin de mise en œuvre d’espace de biodiversité que de nouvelles études, longues et difficilement exhaustives.
Faut-il vraiment tout connaître pour bien gérer ? Où faut-il bien gérer pour mieux connaître ? B.Chevassus-au-Louis (2015)
Les politiques publiques manquent de cohérence en terme de vision globale : la restructuration des paysages agricoles et péri-habitations devrait être largement évoquée par Ecophyto II+, à défaut d’y mettre des moyens importants, par les acteurs de terrain et notamment les structures ayant un rôle para-publique comme les chambres d’agricultures.
Les Instituts de recherche, et l’Irstea en particulier, seraient bien inspirés de veiller à se doter de suffisamment de postes, avec l’aide des ministères de tutelles, alors que la demande est importante et doit le rester en termes de soutien scientifiques aux politiques publiques.
- Projets de recherche
Pour la réduction des risques pour la santé humaine et l’environnement (biodiversité), l’application des mesures de gestion demandées lors des AMM serait un préalable important et indispensable : elles existent pour la biodiversité (ZNT pour espèces non-cibles) et elles sont en cours de réflexion pour la protection des riverains. Sur ces sujets les sciences humaines pourraient se pencher pour mieux connaitre l’acceptabilité et mieux appréhender les réticences à adopter des mesures très utiles et difficilement critiquables (hormis les changements de pratiques nécessaires). Les strictes améliorations en agroéquipements seront sans doute insuffisantes pour rétablir la confiance des riverains. Rappelons que les outils disponibles dans la panoplie des zones tampons offrent par contre de réelles solutions pour éloigner des jardins et des habitations les appareils de traitements et également intercepter une bonne part des transferts aériens.
AXE 3 :
Mettre à niveau l’arrêté du 4 mai 2017 : biodiversité mais aussi protection des riverains
- Renforcer la surveillance….
Une mission conjointe des conseils généraux travaille sur la nouvelle définition des points d’eau, mais compte tenu de l’hétérogénéité du travail mené en département, qu’est-il prévu pour la remise à niveau nationale en terme de protection des points d’eau. Pourra-t-on remettre à niveau, voir améliorer la protection des têtes de bassins versants, mise à mal par les conséquences de l’arrêté du 4 mai 2017.
Les zones non traitées afin de protéger les habitations auront un impact important en termes de surfaces concernées (bien que moins impactantes au niveau productivité, les bords de champs étant déjà des zones de transitions moyennement productives). Mais quid de l’acceptation par la profession agricole qui début 2017 a refusé catégoriquement les mesures de protection de la biodiversité et d’atténuation des risques de ruissellement. Sur ces sujets l’arrêté du 4 mai 2017 parait donc non conforme à la règlementation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Les chartes établies localement auront-elles à respecter un socle minimal de protection ? Le dialogue devra avoir une base solide, intervenir autour des réelles connaissances scientifiques et avec une gouvernance impartiale, sinon le risque de green-washing, techniquement peu pertinent est me semble-t-il très réel.
- Effets non intentionnels…
La protection des zones d’intérêt écologique, passe d’abord par une révision de l’arrêté du 4 mai afin de mettre en œuvre les Zones Non Traitées de protection de la flore et des arthropodes non cibles : ces ZNT tiennent compte de la dangerosité de chaque molécule vis-à-vis des espaces de biodiversité. Elles sont donc tout à fait indiquées pour assure un premier niveau de protection des espaces remarquables. La boite à outil « Zones tampons » apportent aussi des réelles capacités d’atténuation des pollutions diffuses aériennes ou liées aux transferts hydriques.
- indicateurs…
Ce qui est frappant dans les notes de suivis Ecophyto II, c’est la progression des surfaces en grandes cultures. Plus importante que les reconversions en AB, nous observons donc une progression des surfaces recevant des phytosanitaires dans nombre de régions (notamment le croissant Pays de Loire, Normandie, Hauts de France et Gand-Est). Le retournement des prairies passe souvent par le drainage de surfaces en herbe sur sols hydromorphes (drainage de 15 000 ha par an). Cela revient à dire que nous appliquons toujours plus de pesticides en situations hydrauliques à risques (très proches du petit chevelu des réseaux hydrologiques), situations pédoclimatiques qui par ailleurs se prêtent peu aux techniques de gestions mécaniques des adventices.
Les chartes « riverains » doivent s’appuyer sur des données objectives, la protection des captages aussi. Est-il envisagé d’aller vers une véritable spatialisation de la connaissance de l’utilisation des phytosanitaires. Spatialisation qui obligatoire ou inféodée aux aides PAC, serait certes intrusives pour les agriculteurs et viticulteurs, mais qui mettrait en avant les pratiques les plus vertueuses et mettrait fin à l’anonymat couvrant les pratiques les moins respectueuses.
Dans les indicateurs, un volet « impact sur le changement climatique » serait utile afin d’être en capacité de mieux connaitre les enjeux liés aux différentes trajectoires des agriculteurs (non labour, agriculture de conservation, agriculture biologique, protection intégrée, recours accrue aux surfaces d’intérêt écologiques, agroforesterie,…)
15.3 réussir la sortie du glyphosate
Deux points non abordés paraissent toutefois importants :
- La prise en compte est très insuffisante (elle est même totalement inexistante !) pour l’atténuation des transferts hydriques du glyphosate (et de l’AMPA agricole). Les contaminations des milieux aquatiques par le glyphosate se font essentiellement par les transferts hydriques de surface, d’où une relative protection des captages en eaux souterraines. Or très nombreuses sont les parcelles où les ruissellements ne sont pas gérés voire même accentués : l’eau brute chargées en contaminants sort facilement des parcelles. C’est une réelle négligence qui concerne aussi bien d’autres molécules alors que des mesures préventives simples et non-onéreuses existent. Vis-à-vis de ces pollutions diffuses le déni des organisations professionnelles reste incompréhensible en 2018. Il est d’ailleurs dommage, que les différents plans Ecophyto trop parcello-centrés, n’aient pas permis une réelle communication autour des transferts, reniant ainsi en partie les conclusions de l’expertise collective INRA-Cemagref de 2005 vis-à-vis de l’importance des transferts hydriques (http://institut.inra.fr/Missions/Eclairer-les-decisions/Expertises/Toutes-les-actualites/Pesticides-agriculture-et-environnement).
- Les utilisations de confort du glyphosate se sont développées depuis les années 2000. Il s’agit notamment des utilisations sur chaumes, voire sur labours reverdis, réaliser dans les exploitations en systèmes » labour », non soumis à la présence de plantes résistances. Pas besoin d’études pour comprendre que durant l’été des immensités de chaumes sans aucune vie végétale sont peu propices au maintien de la biodiversité : les granivores champêtres et les détritiphages des sols ne doivent pas beaucoup apprécier !
AXE 4
Engager les acteurs, et notamment les collectivités pour la mise à disposition du public de paillage à base de compost et BRF
18 engager les acteurs…
La couverture des sols par du paillage (organique ou minéral) est une technique à promouvoir fortement dans les territoires. Cela permet de réduire fortement les émergences des plantes spontanées (ex mauvaise herbes), d’enrichir les sols en matières organiques, de limiter le recours aux arrosages,….
Or nombre de collectivités sont timorées sur le sujet : au niveau des déchetteries la mise à disposition de compost et de BRF (bois raméal fragmenté) devrait idéalement devenir une règle uniformément adopté sur l’ensemble du territoire : des petites communes le font, pourquoi des agglomérations sont en retard sur cette nécessaire adaptation des jardins et espaces verts au zéro pesticides.
AXE 5 et AXE 6 : déclinaison territoriale, communication et gouvernance
Commentaire global sur ces axes 5 et 6 :
Compatibilité déclinaison territoriale et PAC ?, cohérence territoriales des politiques publiques ?
Régionalement, le préfet de région aura-t-il la volonté, les moyens, les compétences au sein des services régionaux et départementaux ? Aura-t-il une certaine liberté d’application de mesures réellement pertinentes, sans être contraint par des mesures figées ? Pourra-t-il impulser l’énergie suffisante à la mise en place d’une réelle stratégie gagnante au sein des territoires?
La PAC (premier pilier) garde un effet prédominant sur l’orientation des agricultures : force est de constater que, depuis des décennies, les paysages agricoles vont vers la simplification (peu de cultures rémunératrices, parcelles de plus en plus grandes,…) alors qu’une réelle transition vers l’agroécologie nécessiterait l’inverse : rotations bien plus diversifiées, îlots de cultures plus petits voire mosaïque de cultures, présence d’animaux herbivores sur un plus grand nombre d’exploitations de grandes cultures,…
Sur un territoire, les mesures préventives sont souvent rejetées par les parties prenantes (élus, structures agricoles,…). Cela milite pour une vraie vision globale de la part d’un état stratège et des collectivités locales. Il doit être possible d’être innovant sans passer par des cases prédéterminées. Les MAEC pourraient par exemple impulser, sur une durée suffisante et pas seulement 5 ans, une véritable restructuration pérenne de nos paysages agricoles avec pour objectif l’obtention d’une réelle capacité de résilience et de multifonctionnalité au sein de nos campagnes.
Ecophyto ne doit pas être une action déconnectée de la trajectoire des exploitations agricoles, ni des autres politiques publiques appliquées sur les territoires.
Articles de mon blog traitant déjà de ce sujet : CarnetdAgrEaunome.over-blog.com
Le 13 mai 2017 : Arrêté « phyto » du 4 mai 2017 : forte probabilité de réduction de la protection des milieux aquatiques
Le 01 avril 2017 : Ecophyto : Amélioration en 2015 ?
Le 12 février 2017 : Ma contribution à la consultation publique concernant le projet d'arrêté 2017 pour la mise en œuvre des produits phytosanitaires