Eau potable et ESA-métolachlore (partie 2), Comment en est-on arrivé là ?
Durant ces dernières années, l’anticipation n’a pas été au rendez-vous dans les champs de grandes cultures et la réduction d’emploi de l’herbicide en aires de captages a été bien trop faible.
Certes la société Syngenta a déconseillé son herbicide en zones sensibles: Ne pas utiliser d’herbicide à base de S-métolachlore en Périmètres d’aires d’alimentation de captages prioritaires et zones sensibles. Elle a été suivie localement par certains distributeurs agricoles et grâce à l’impulsion de producteurs d’eau, notamment en Pays de Loire. Mais les termes employés dans cette recommandation ne couvraient pas, loin de là, l’intégralité des risques. D’abord parce qu’il s’agit d’une pollution diffuse sur de très grands territoires, que les périmètres de protection règlementaire (PPR) n’ont pas été conçus pour assurer une protection contre les pollutions diffuses, et que l’ampleur du problème dépasse très largement la dizaine de captages prioritaires choisis dans chaque département. Ce sont les aires de protection de captages qui doivent être délimitées, en fonction des vulnérabilités identifiées, afin de réduire les risques de pollutions diffuses (nitrates, pesticides, phosphates,…). A défaut d’une définition et d’une mise en œuvre de l’aire de protection de captage, c’est l’ensemble du bassin versant situé à l’amont de la prise d’eau qu’il faut prendre en compte. D’ailleurs la nouvelle fiche Syngenta du 1° décembre 2021 est plus précise que la précédente : Ne pas appliquer de S-métolachlore sur les Aires d’Alimentation de Captage prioritaires et zones sensibles pour protéger les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH). Cependant se concentrer uniquement sur les captages prioritaires est nettement insuffisant compte tenu des très nombreux captages contaminés.
Pour avoir travaillé dès 1991-92 sur la contamination des nappes alluviales de Franche-Comté par l’atrazine[i] et pour avoir réussi à faire descendre la contamination des eaux brutes pompées sous la valeur des 0.1 µl/l d’atrazine dès le printemps 1993 : captages de Saint-Vit (Doubs), je considère que vis-à-vis des niveaux de contamination en métabolites du S-métolachlore la situation de 2021 est anachronique et anormale. Même une région comme la Bretagne, où la vulnérabilité des milieux est connue depuis plus de 30 ans, s’est laissée prendre au piège, en privilégiant la définition des périmètres règlementaires sur toutes les ressources d’EDCH mais sans avoir suffisamment activé en parallèle la délimitation des aires d’alimentation de l’ensemble des captages opérationnels (ni ceux à reconquérir car fermés pour causes de pollutions diffuses).
Nous sommes pourtant face à une pollution diffuse régit par des mécanismes simples bien connus pour ce type de pollution. L’ESA-métolachlore est une petite molécule plutôt soluble. Son affinité avec le sol est faible et la persistance (demi-vie) est importante : la capacité de transfert hydrique par lixiviation est donc forte. En Bretagne, les retenues destinées aux EDCH présentent des pics de contamination automnaux ou hivernaux en fonction des dates d’arrivée des pluies efficaces qui « lavent » les sols, derrière les cultures de maïs essentiellement, ayant reçus la molécule mère au printemps. Ces pics importants et tardifs en saison sont liés aux pluies hivernales et font bien sûr penser aux modalités de transferts hydriques des nitrates.
Il est bien entendu fort probable que le mille-feuille français des structures chargées de la qualité des eaux soit grandement responsable de la situation actuelle. Le manque de réalisme agronomique est réel, pourtant les comités et commissions se préoccupant des pesticides n’ont jamais été si nombreux et les aides publiques consacrées aux actions Ecophyto auraient dû être mises à contribution depuis deux ou trois ans au minimum sur ce sujet largement émergent. Sans doute peut-on également imaginer que c’est un échec en termes de réductions volontaires d’usages en lien avec un conseil agronomique et environnemental trop « light » ?
Sauf à penser que les risques sanitaires et écotoxiques des contaminations observées sont très faibles, être pris en défaut suite à l’utilisation d’une des molécules les plus employées en France (et ses métabolites) n’est pas vraiment glorieux après trente ans d’actions de reconquête de la qualité des eaux.
Cette contamination de grande ampleur,
- régit par des processus simples,
- identifiée par les scientifiques depuis plus de 20 ans,
- détectée "en routine" ces dernières années,
nécessitait une anticipation d’ampleur de tous les acteurs et pas seulement en captages prioritaires.
Rappelons qu’une vigilance particulière avait été demandée aux états membres lors de l'autorisation européenne, en cas d’application de la substance active dans des régions sensibles. Rappelons aussi que le Ministère de l’Agriculture a sabordé en 2009 les Services Régionaux de la Protection des végétaux (DRAF-SRPV), se privant ainsi de nombreux agronomes de terrain qui combinaient la connaissance des particularités pédoclimatiques et agronomiques de chaque région, qui connaissaient les caractéristiques des pesticides en termes de transferts[ii] et d’effets non-intentionnels et qui pour certains d’entre eux prodiguaient dès 2000-2005 dans les Avertissements Agricoles® des conseils compatibles avec les objectifs de 50% de pesticides en moins appliqués dans les champs : objectifs d’Ecophyto décrétés en 2008, qui sont loin d’être atteints en 2021, et qui ne seront probablement pas atteints en 2025 !…
En cette fin 2021, les informations en provenance des producteurs d’eau font état de création ou de renforcement des filières de potabilisation et notamment de charbons actifs en stations. Par contre les actions préventives sur le terrain ne semblent pas vraiment privilégiées. Les informations données aux consommateurs sont souvent inexistantes. Mais le temps presse pour les semis du printemps 2022 : l'arrêt de l'emploi de S-métolachlore dès les semis du printemps 2022 paraît devoir être privilégié dans toutes les aires d’alimentation de captages ou à défaut sur l’ensemble des bassins versants situés à l’amont des prises d’eau. Sinon ce sera à nouveau des niveaux de contaminations supérieurs à 0.1 µg/l qui seront assurément détectés dans un an (durant l'hiver prochain) et donc jusqu’au début 2023).
[i] Le Hénaff G., Roussel R., Mettetal J P., 1998 - Les réductions d’intrants phytosanitaires, l’expérience franc-comtoise. 17éme Conférence du COLUMA, Dijon, pp.353-361
[ii] Gravier M-H., - 1999. Approche de la variabilité du risque potentiel de contamination des eaux par les substances phytosanitaires en Franche-Comté. Mémoire de projet d’ingénieur ENESAD. 41 pages + annexes.