Le Plan de Relance bénéficiera-t-il à la protection des aires d’alimentation de captages en eau potable (AAC) ?
La volonté d’accélérer sur la forme la protection des captages prioritaires suffira-t-elle ?
A ce début 2021 le projet de stratégie régionale « captages prioritaires » de la région Bretagne a le mérite de relancer une mobilisation autour de la protection des aires d'alimentation de captage. Hélas cette relance ne concerne que les captages prioritaires, c.-à-d. moins de 10% des aires d’alimentation du territoire breton. Cela permettra une mobilisation sur une problématique importante qui était quasiment au point mort depuis plusieurs années (routine ? création des nouvelles agglomérations ? manque d’enthousiasme de la profession agricole ?...). Il est toutefois légitime d’être septiques sur les moyens retenus. Je n’aborderai ici que quelques points : diagnostic de la vulnérabilité, pertinence des plans d’action.
Pour moi, il faut insister sur la pertinence de la protection : il faut donc attacher un soin très particulier aux diagnostics : vulnérabilité du territoire, type d’alimentation du captage (la mixité des origines de l’eau souterraines-ESO et superficielles-ESU est très souvent sous-estimée), pratiques et pressions agricoles, chemins de l’eau de surface et notamment les courts-circuits hydrauliques,….
La majorité du territoire breton supporte une activité agricole et des pressions supérieures aux capacités de résilience des milieux et heureusement que nous avons de nombreuses zones de bas-fond humides, mais ce n’est pas suffisant… Or le système économique agro-alimentaire et de nombreux élus ne tiennent pas suffisamment compte de la vulnérabilité hydrogéologique ni même pédoclimatique.
Plusieurs points et compartiments de la protection des captages doivent être mis en œuvre avec beaucoup de rigueur et de volontarisme :
- la délimitation des zones de captages ne doit pas être faite uniquement par des hydrogéologues, car le sol est une interface primordiale dans le parcours et donc la filtration naturelle de l’eau. Les circuits de l’eau en surface doivent être parfaitement identifiés afin d’être en capacité de remédier aux principaux désordres par la mise en œuvre de techniques d’hydraulique douce (génie écologique). C’est bien évidemment le cas en Bretagne où tous les captages ont une alimentation vraisemblablement mixte (ESU connectées aux ESO ou ESO alimentées par des ESU). Dans le cadre de la stratégie de relance les équipes eaux de surface de l’INRAE (Rennes, Lyon,…) doivent pouvoir être mobilisées au même titre que le BRGM.
- La vulnérabilité intrinsèque d’une aire d’alimentation est en lien direct avec la géologie, la topographie, la pédologie (types de sols), les types d’occupation du sol (bois, prairies, sols cultivés, zones habitées,… et les éléments paysagers naturels ou semi-naturels (bosquets, zones humides, « friches »,…). La vulnérabilité réelle est bien évidemment liée aux activités humaines. Vis-à-vis du cas des pesticides, la Bretagne fait figure de région pilote avec la réalisation de diagnostics parcellaires de risques (DPR2) qui permettent une analyse partagée avec les agriculteurs des risques de transferts hydriques (voie de contamination la plus importante). Ce type diagnostic a été très utile, bien que concernant trop peu de territoires et donc d’exploitations.
En 2021, il est maintenant insuffisant surtout en zones à enjeux forts comme les aires d’alimentation de captages. Il faut évoluer vers un Diagnostic Territorial de Résilience multicritères (DTR m). Réalisé par deux structures à compétences complémentaires (agriculture et environnement) et avec bien sûr l’agriculteur ou le viticulteur. Le diagnostic doit investiguer la biodiversité, les chemins de l’eau et les risques polluants, les capacités d’infiltration en tête de Bassin Versant (prévention des sécheresses et soutiens d’étiages), les capacités d’atténuation de l’érosion et bien sûr un volet adaptation au changement climatique. En effet en zones de captages, la contrainte pesticides peut être éliminée purement et simplement en promouvant et de soutenant l'agriculture biologique, et l’élevage extensif sur ces périmètres de captages. Rappelons d’ailleurs que d’ors et déjà, c’est « zéro contamination » y compris vis-à-vis des métabolites qu’il faut viser. La première directive européenne ne visait pas autre chose en mettant la barre à 0.1 µg/l, ce qui dans les années 80 correspondait à la limite de quantification possible à l’époque dans les laboratoires analytiques.
- Les plans d’action, sont logiquement déduits des connaissances acquises au cours des études de vulnérabilités. Ils doivent être pertinents, ambitieux et s’inscrire dans le temps. Or dans les faits ils sont souvent le résultat de consensus locaux, généralement pas assez ambitieux vis-à-vis des enjeux et de la pression anthropique que subissent les territoires et même parfois « à côté de la plaque » vis-à-vis de la vulnérabilité réelle. L’inertie des milieux a ensuite bon dos lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous ! C’est parfois vrai, mais un bon diagnostic initial et les retours d’expériences donnent déjà des éléments fiables, et l’inertie des acteurs est aussi bien connue…En 2021, un plan d’action cohérent doit globaliser tous les enjeux et pas seulement le « silo » qualité de l’eau même si bien sûr c’est important. Il faut intégrer le changement climatique (pluies intenses et sécheresses) et donc mettre le « paquet » sur l’infiltration de l’eau et le ralentissement dynamique de l’eau dans les champs et les amonts (soutien d’étiage, atténuation des crues éclairs,…) afin de mieux anticiper les tensions à venir, entre acteurs, sur l’aspect quantitatif. Par exemple il faut protéger et surtout augmenter les surfaces interstitielles et tampons, qui sont des espaces de biodiversité et de bio-atténuations.
En termes de pilotage la gouvernance proposée dans la stratégie régionale bretonne est inadaptée, avec seulement un pilotage administratif et un simple rôle d’enregistrement pour la Commission Régionale Agro-Environnementale. Une réelle ambition passe par un pilotage ambitieux et solide scientifiquement, en capacité de dépasser le consensus local négocié entre acteurs: consensus qui s’avère le plus souvent « mou » voir inadapté aux enjeux locaux
La stratégie de relance apparait être ENCORE une approche par « silos ». Quid des autres captages vulnérables ? Alors que la notion de « captages prioritaires » résulte d’un choix politique : demande des ministères de choisir 10 captages par département ! D’une véritable priorité au préventif ? D’un constat partagé (mais sur des bases scientifiques solides) de la vulnérabilité des territoires modernisés depuis plus de 50 ans et le plus souvent fortement déstructurés du point de vue hydraulique !
La connaissance de l'hydrologie du territoire est une "fondation" solide, ultra nécessaire, pour mettre en place des plans d’actions efficaces et maintenant anticiper l’adaptation de nos territoires aux enjeux climatiques. Par exemple je viens de m'apercevoir que sur mon petit hameau de Kermaria (Plourivo, Côtes d’Armor) où je suis revenu depuis trois ans: deux fontaines anciennes, et leurs annexes humides, n'ont pas été recensées lors de l'inventaire communal des zones humides! La mémoire d'avant remembrement et artificialisation n'est quasiment plus là et le recours aux outils numériques de terrain ne donne pas accès à des informations non bancarisées!
Pour avoir réalisés de nombreux diagnostic de terrain des territoires (sols, chemins de l'eau, pratiques culturales,...) aux quatre coins de la France (et un peu plus) j'enrage toujours de voir tout l'argent dépensé mais pas toujours à bon escient pour "améliorer" les milieux et reconquérir la qualité des eaux. Subventions et aides qui « engraissent » nombre de structures, alors que le diagnostic initial hydro-géo-pédologique est souvent incomplet voire inexistant et que les spécificités des territoires sont mal connues.
Pour la protection de l’eau potable, enjeu très important, il faudrait avoir la volonté de bien connaitre les territoires avant la mise en place des plans d’action les plus réalistes possible. Le millefeuille réglementaire, administratif est impressionnant autour des problématiques de l’eau. Cela laisse peu de place à une véritable dynamique surtout lorsque des acteurs importants, pratiquent encore et toujours la course à la lenteur au nom de leurs intérêts immédiats. En 2021 cela revient à se tirer des balles dans le pied ou à jouer contre son camp ! À chacun ses responsabilités !
C’est vraiment dommage, car les AAC pourraient, devraient, être de véritables territoires pilotes. Cela a d’ailleurs commencé avec les projets territoriaux alimentaires de certaines agglomérations. Mais il faudrait englober tous les enjeux, et promouvoir la mise en place de stratégies globales de réaménagement et de résilience des territoires, stratégies qui permettraient d’aller vers un bon niveau de résilience en terme de durabilité, de biodiversité et d’adaptation au changement climatique.
Exutoire de drainage à proximite de puits de captages : Villevieux-AAC de Lons le Saunier (Jura, fév 2016)