Remettre les chemins de l’eau (fossés, ruisseaux, rivières) au milieu de nos territoires.
La couverture de la France Agricole n° 3936 du 31 décembre 2021 et le dossier de la semaine portaient sur les cours d’eau et fossés : Y voir plus clair dans la règlementation. Les écoulements d’eau en surface sont un bien commun (en souterrain aussi…) à préserver et la règlementation n’est qu’un outil parfois mal calibré dont les imperfections sont de la responsabilité de tous les acteurs.
Historiquement nos villages et pâturages étaient très liés au réseau hydrographique et l’ingéniosité de nos ancêtres a été très grande en liens très étroits avec la topographie, la géologie et les conditions pédoclimatiques de chaque petite région. L’hydraulique rurale est un héritage séculaire, mais au cours des 75 dernières années les chemins de l’eau ont été fortement modifiés : recalibrages voire déplacements de cours d’eau, busages des petites vallées (talwegs) intraparcellaires en têtes de bassin versants, assainissements par fossés ou par drains enterrés,....Il est aujourd’hui délicat dans de nombreuses régions de faire une distinction aisée entre cours d’eau et fossés. Ainsi en Bresse de très nombreux ruisseaux ont été busés et, couplés avec un drainage important, cela donne de très grandes parcelles (souvent de maïs) en fond de talweg.
Mais faisons un peu d’histoire, lorsque l’accès naturel ou facile à l’eau était indispensable pour les hommes et le bétail (Manon des Sources de Marcel Pagnol): En plateaux calcaires comme le Barrois lorrain, ou en Champagne Crayeuse, les anciens villages se situent en fond de vallée pour bénéficier des ruisseaux souvent alimentés par des résurgences puis des sources en coteaux (voir l’illustration pour Méligny le Petit en Meuse). En zone d’habitat dispersé, la localisation des fermes et des hameaux était en lien direct avec un accès à l’eau plutôt facile et permanent : sources (parfois captées en amont), puits, mares, étangs, réservoirs,... Historiquement l’entretien des chemins de l’eau avait une grande importance pour l’ensemble des communautés rurales.
Après la seconde guerre mondiale, le développement des moyens mécaniques et techniques ont permis une phase intense de « modernisation » des parcellaires agricoles : remembrements et assainissements, développement des réseaux routiers et des infrastructures linéaires, agrandissements des exploitations et pression continue sur le bocage. Encore aujourd’hui l’augmentation de la taille du matériel et la céréalisation liée au recul de l’élevage pousse à l’agrandissement, rarement justifié, des parcelles agricoles. Dans le même temps pour la population l’accès aux réseaux d’eau potable s’est généralisé et s’est simplifié. Le réseau d’eau public dessert l’immeuble ou passe au bout du terrain habité, avec une disparition des contraintes fortes pour l’implantation d’habitation ou d’élevages, et des corvées d’eau.
L’Aqua Incognita dans nos campagnes
Petit à petit, le fonctionnement du petit chevelu hydrographique a pu passer au second plan au niveau des têtes de bassin versant: un tractopelle, un busage, voire une simple charrue, suffisaient pour réduire les contraintes à la production et à la productivité. Un véritable divorce est intervenu dans le vécu des parties prenantes, surtout que sur le plan environnemental et protection des milieux la législation a pris de l’importance, notamment depuis la loi sur l’eau de janvier 1992 puis la refonte de décembre 2006.
L’écoulement des eaux a ses règles intangibles et les fossés, partie prenante du petit chevelu hydrographique doivent accéder à un statut de protection fonctionnelle des eaux de surface. La règlementation assure une certaine protection contre les agressions physiques. Mais les fossés sont encore trop impactés par les pollutions diffuses, car très rarement pris en compte dans les plans d’action. Par exemple en termes d’application des produits phytosanitaires les mesures de gestion nécessaires pour assurer la protection de l’ensemble des points d’eau sont insuffisantes. Aujourd’hui opposer cours d’eau et fossés est une erreur, car la qualité des eaux de surface se joue au plus près des champs, là où tombent les gouttes de pluies et où peuvent se produire du ruissellement et du lessivage-lixiviation. Certes sur le plan réglementaire les conséquences de la différenciation cours d’eau-fossés peuvent être de taille. Mais sur le terrain qu’en est-il ? De très nombreux fossés sont des cours d’eau au sens biologique même si la morphologie, suite aux recalibrages et aux curages successifs, peut parfois faire douter. Ils sont le siège d’une biodiversité, liée aux milieux aquatiques et aux zones humides, facilement observable. Certes il y a maintenant des cartographies départementales des cours d’eau, mais nombre d’entre-elles doivent être reprises suite aux décisions de justice, et un diagnostic objectif est bien entendu indispensable. C’est vraiment dommage que la loi dite biodiversité de 2016 n’ait pas retenu de critères fonctionnels et biologiques pour la définition d’un cours d’eau contrairement à ce qui existait avant (les 5 critères de l’Agence de l’Eau Loire Bretagne par exemple): LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages « Art. L. 215-7-1.-Constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. »
Redonner de la résilience aux têtes de bassins versants
Avec le réchauffement climatique, le rôle des têtes de bassin versant va devenir encore plus primordial pour la gestion quantitative et qualitative de l’eau. Il faut établir un consensus autour du ralentissement de l’eau, en favorisant ainsi l’infiltration et l’auto-épuration, et généraliser le recours à l’ingénierie écologique, aux techniques d’hydraulique douce et des sols couverts ou rugueux.
Tout comme est prôné un retour à l’agronomie il faut développer les connaissances, de tous les acteurs intervenant sur le cycle de l’eau, en hydromorphologie et en écologie des ruisseaux et de tous les écoulements de surface, qu’ils soient classés règlementairement ou pas. Ce sont les petits chevelus hydrographiques de l’ensemble de nos de têtes de bassins versants qui doivent faire l’objet d’une grande attention : le blé ou le raisin doivent à nouveau côtoyer un chevelu riche en biodiversité.
Les agriculteurs ont et auront un rôle important à jouer pour reconstruire une réelle et indispensable résilience des territoires agricoles vis-à-vis des changements globaux à venir.
Vue Géoportail(2018) de Méligny le Petit (Meuse), avec son ruisseau qui alimentait un lavoir et un gayoir à chevaux
Petit aqueduc du Falot à St Nabord (Vosges) alimentant le "coulant" de la cour de ferme (2 janvier 2021)