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Une indispensable Révolution Agro-Environnementale dès 2022 ou DON’T LOOK DOWN ?

Partie 1 : course à la lenteur ?, réelle atténuation des transferts de nitrates?

« Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action » (Henri Bergson ; 1859-1941)

L’emploi du terme révolution peut paraître fort, mais comment peut-on autrement impulser de vrais changements ? Car à quasiment tous les niveaux de l’adaptation au changement climatique basés sur la sobriété et mobilisant des solutions fondées sur la nature c’est la course à la lenteur qui prime. Ce qui me paraît le plus inquiétant ces dernières années c’est le manque d’anticipation des pouvoirs publics et en même temps le manque de volonté et souvent de moyens pour appliquer la loi et faire progresser les textes.

Développons une réelle agroécologie

Le changement climatique est là mais la campagne présidentielle à la française est affligeante sur ce sujet. Après des décennies d’attentisme il est toujours très compliqué d’avancer de façon pragmatique et constructive. Même la transition énergétique prend des tournures peu attractives : devons-nous vraiment sacrifier les campagnes et le monde rural pour le profit de certains acteurs, globalement plus respectueux de leurs gains que de l’environnement. Si l’on excepte la filière « hydrogène » l’ensemble des déploiements d’énergies renouvelables se fait ou se fera au détriment de la capacité nourricière de nos campagnes et/ou de la biodiversité : méthanisation, éolien terrestre, agrivoltaïsme, filières éthanol ou diester, plaquettes forestières ou pellets-granulés de bois,...

Autour des actions favorables à la biodiversité, des engagements individuels dans les changements de pratiques et le recours aux éléments paysagers sont courageux et novateurs. Mais sur les territoires cela représente encore bien trop peu de surfaces : ces « confettis » vertueux restent très difficilement visibles dans les paysages, alors que demain les capacités de résiliences de nos agrosystèmes devront avoir décuplées. Mais grand merci aux agriculteurs et aux structures engagés dans les modèles agricoles durables. Le cas de la Bretagne est particulièrement parlant en termes de déficit agroécologique, suite à des décennies de destruction du bocage. Le modèle agricole dominant y est très intensif et très dépendant des importations de protéines : soja (et donc d’une importante déforestation importée). Ce modèle breton est régulièrement secoué par de fortes crispations. Le cas de 7ème Plan de lutte contre les nitrates (PAR 7) n’échappe pas à la règle. Les règles de fertilisation sont et seront fortement discutées, et peut-être verrons-nous sortir in fine des arrêtés avec quelques dérogations incompréhensibles et scientifiquement discutables[i] négociées entre la profession agricole et l’administration.

Pourtant vis-à-vis des pollutions agricoles, essentiellement issues des conduites agronomiques conventionnelles nul n’est besoin de nouvelles réglementations toujours plus pointues. Il suffit de mettre en œuvre les mesures règlementaires déjà existantes simplement de bon sens mais restées dans l’ombre ou carrément non appliquées volontairement. Et aussi d’avoir des plans de contrôles adaptés aux enjeux, ce qui requiert bien évidement du personnel en nombre suffisant. L’exemple de la contamination à grande échelle par le métabolite Esa-métolachlore est parlant. C’est l’intérêt technico-économique qui a conduit au développement de l’emploi du S-métolachlore, par ailleurs connu pour ses risques environnementaux vis-à-vis de la pollution des eaux. C’est la résultante d’une défaillance de gouvernance au sein du « mille-feuille français de l’EAU » formé par les nombreuses structures en charge de la gestion des produits phytosanitaires et/ou de la protection de l’eau. Ce mille-feuille ne permet pas une gestion globale et éclairée des contaminations par les pesticides ni donc l’anticipation nécessaire : la profession agricole dans son ensemble aurait dû, de son propre chef, réduire l’emploi de cette matière active. Nous avons maintenant 30 ans de recul sur la reconquête de la qualité de l’eau : début 1992, il y a exactement 30 ans, je rédigeais en Franche Comté le protocole régional de désherbage du maïs en « zéro atrazine ». Dès 1993, nous passions en test à grande échelle sur la plaine alluviale du Doubs à Saint Vit (25) avec l’aide du Syndicat des eaux local et de la DREAL de Besançon. Et enfin, en 1995 nous étions en capacité de mettre en œuvre en Franche-Comté les premières (MAE) pesticides de France avec des résultats probants (Le Hénaff et al, 1998)[ii]

Pour les pollutions diffuses dues aux nitrates et aux phytosanitaires  la panoplie de mesures applicables rapidement existe. Développons dans cet article et le suivant deux d’entre-elles qui permettraient une avancée conséquente en faveur de l’évolution vers des paysages résilients possédant des infrastructures paysagères fonctionnelles.

 

Atténuons les concentrations nitrates dès la sortie des parcelles

 

Les problèmes de nitrates dans les eaux, d’eutrophisation et de marées vertes sont bien entendu en lien très étroit avec les pratiques agricoles : niveaux de fertilisation et donc d’intensification. Cependant, les modalités de transferts hydriques au sein des territoires et des paysages jouent également un rôle important. D’une manière générale les filières technico-économiques ne tiennent pas compte de la vulnérabilité des milieux et des territoires avant de développer, parfois à l’extrême, certaines productions et techniques impactantes.

En Franche Comté, la filière AOC à Comté basée sur une alimentation à l’herbe et au foin, mais en progression régulière des volumes produits, génère des fortes atteintes sur les rivières comtoises. Malgré une intensification modérée (vue de Bretagne…) le caractère Karstique du massif jurassien n’assure qu’une protection très imparfaite des eaux superficielles et même souterraines d’autant que là aussi une partie de l’alimentation est déconnectée du sol : achats importants d’aliments du bétail, de céréales, de paille, de betteraves et même de foin (les années à dégâts de campagnols terrestres).

En Bretagne la vulnérabilité aux transferts de nitrates vient s’ajouter aux très fortes pressions liées aux élevages intensifs. En fait c’est le caractère « hydromorphie des sols » qui est vraisemblablement le facteur dominant, car c’est le processus le plus représentatif des cas bretons, et ce quel que soit le type de substrat géologique : schiste, granit, grès. Le « simple » fait d’avoir développé des cultures au détriment de l’herbe dans des zones hydromorphes (avec ou sans drainage) conduit à utiliser des intrants (azote, phosphore, pesticides,…) en secteurs sensibles du point de vue hydrologique et à augmenter les surfaces recevant des intrants. L’Inrae de Rennes (Oehler F. et Durand P., 2021 ; Projet MARS-TNT) vient de réaliser un travail de modélisation, pour la Baie à algues vertes de Saint Brieuc, et de montrer l’intérêt de la remise en herbe des zones basses présentant des remontées de nappes.

Au niveau des sols breton, c’est le croisement des critères hydromorphie/battance forte et drainage qui illustre mieux les transferts hydriques des champs aux cours d’eau. Sur la partie granitique et gréseuse, les circulations hypodermiques constituent des circulations préférentielles qui interviennent en lien avec les arènes de décompositions présentes en bas des profils de sols. Et sur l’Est de la région la présence parfois importante de drainage en contexte schisteux favorise bien évidemment les circulations hydriques de subsurface.

Intervenir en amont de tous les bassins versants au niveau des nœuds hydrologiques proches des parcelles et des ruptures de pentes aurait un grand intérêt. D’autant que par ailleurs vis-à-vis des algues vertes, être en capacité d’intercepter les circulations très rapides issues du ruissellement et des écoulements printaniers parfois intenses en provenance des parcelles de maïs que viennent d’être fertilisées serait d’un grand intérêt. Les remembrements, les travaux connexes et les drainages ont appauvris le maillage des zones humides de têtes de bassins versants. Compte tenu des connaissances acquises ces dernières années, notamment autour des solutions fondées sur la nature, il est évident qu’il faut « revisiter » les amonts de bassins versants avec d‘autres regards que ceux hérités des trente glorieuses.

Dans un premier temps vis-à-vis des baies à algues vertes, qui sont de fait des territoires nécessitant des expérimentations novatrices, il faut prioriser les actions sur les parcelles drainées en utilisant la voie (très pertinente) ouverte par les conclusions du rapport CGEDD-CGAAER de novembre 2020 : «Contribution à l’évaluation des programmes d’actions pour la lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole ».

Depuis 2012, L’Inrae (ex Cemagref/Irstea) teste des zones tampons humides artificielles (ZTHA), notamment celle de Rampillon en Seine et Marne. Un dispositif paysager a été aménagé pour intercepter les eaux de drainage et permettre le lagunage des eaux brutes. Les résultats montrent le potentiel de la zone tampon humide pour réduire les flux de nitrate et de pesticides :

 - sur l’année, l'abattement expérimental de la concentration moyenne en nitrates est de 11mg/l (et en baies à algues vertes l'efficacité serait sans doute plus intéressante en cas de printemps pluvieux)

- en pesticides c'est une baisse des concentrations de 37% en moyenne qui est constatée. Elle est par exemple d’environ 50% en S-métolachlore, l’une des molécules les plus préoccupantes de ces derniers mois.

Sur le plan paysager, il faut idéalement prévoir l’équivalent de 1% de la SAU drainée consacrée au lagunage: soit pour le cas de la Bretagne 1100 ha[iii] à remettre en zones humides : voir le guide technique d’implantation des Zones Tampons Humides Artificielles de Julien Tournebize (2015) https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/pdf/Tournebize%20et%20al%20(2015).pdf

Mais l’objet paysager qualifié de Zone Tampon Humide Artificielle ne concerne pas seulement les secteurs drainés : remettre des zones tampons humides, ou selon les besoins d’autres types de zones tampons en tête de bassin versant, pour intercepter les écoulements hypodermiques et les ruissellements présente par ailleurs de très nombreux avantages en plus de l’atténuation des polluants: biodiversité, soutiens d’étiage, interception de l’érosion,…

C’est difficilement compréhensible que la Bretagne, au prise avec les nitrates en excès depuis  les années 70 et qui prépare son 7ème Plan d’action…, ne mette pas en œuvre à grande échelle les techniques de ralentissement de l’eau et d’atténuation des contaminations grâce aux mesures naturelles de rétention d'eau (MNRE). Les mesures paysagères et les zones tampons figurent pourtant dans les différents SAGE et les plans Algues vertes (PLAV), mais comme dans le domaine des pesticides et dans d’autres la course à la lenteur est de rigueur à la faveur d’âpres et obscures négociations. Ma conviction de vieil agreaunome, passionné de reconquête de la qualité de l’eau depuis 30 ans, est qu’en pollutions diffuses les actions sur les pratiques marquent le pas, et même une agriculture de haute précision mais menée sur des territoires hydrologiquement modernisés voire déstructurés ne résoudra pas tous les problèmes. Il faut agir avec une grande détermination et des moyens financiers bien fléchés pour multiplier les infrastructures agroécologiques pérennes et efficaces et dépasser les niveaux actuels de success-stories disséminées sur trop peu de territoires novateurs. Je fais partie de la génération qui a vu s’amenuiser les capacités de résiliences des territoires agraires et les limons fertiles colmater les ruisseaux, les ports, etc. Et même aujourd’hui, j’ai le sentiment que la transition énergétique mal encadrée (biocarburants, méthanisation,…) agressive pour les sols et les paysages va bousculer la difficile mise en place d’une agro-écologie qui devrait être généralisée pour affronter les enjeux de demain. Notre adaptation aux changements climatiques et globaux doit passer bien évidemment par des changements de systèmes agricoles, qui par exemple en élevages doivent produire localement tous les aliments nécessaires aux animaux. Pour être véritablement durable l’agriculture et les élevages doivent retrouver des liens très étroits avec les sols et leurs capacités de productions agricoles locales. Au sein de tous les milieux terrestres, aériens et aquatiques l’équilibre en azote en serait bien évidemment facilité.

 

[i] Comme la dérogation à l’obligation de bande enherbée ou boisée en bord de cours d’eau pour les SAGE de la Baie de Lannion et de la Baie de St Brieuc accordée dans le cadre du PAR 6, alors qu’il s’agit de baies à algues vertes

[ii] Le Hénaff G., Roussel R., Mettetal J P., 1998 - Les réductions d’intrants phytosanitaires, l’expérience franc-comtoise. 17éme Conférence du COLUMA, Dijon, pp.353-361

[iii] C’est-à-dire l’équivalent de quelques zones commerciales : les trois plus grandes zones d’activités économiques (ZAE) de Bretagne totalisent 1010 ha!

Petite zone tampon humide récente sur un nouveau drainage , AAC La Bultière, Vendée (20 janv 2014)

Petite zone tampon humide récente sur un nouveau drainage , AAC La Bultière, Vendée (20 janv 2014)

Fossé de décantation-atténuation, AAC La Bultière, Vendée (20 janv 2014)

Fossé de décantation-atténuation, AAC La Bultière, Vendée (20 janv 2014)

Zone tampon humide expérimentale de Rampillon (Seine et Marne) (GT ZT du 7 nov 2016)

Zone tampon humide expérimentale de Rampillon (Seine et Marne) (GT ZT du 7 nov 2016)

Tag(s) : #Chemins de l'eau et diagnostics, #Règlementation phytosanitaire
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