Sainte Julie (01), notre maison en 2015 (celle du coin) en bordure d'un océan de maïs en Plaine de l'Ain
Applications des phytosanitaires : difficile application de la réglementation et respect des riverains. Va-t-on dans le mur ?
Depuis le début des années 90, je pense que l’utilisation des phytosanitaires méritent la plus grande attention et professionnellement je pense avoir agi dans ce sens : agriculture intégrée, protection des zones de captages, bandes enherbées et résilience des territoires. Malheureusement dans le même temps les pouvoirs publics ont manqué de vision stratégique allant jusqu’à saborder les capacités techniques existant au sein du Ministère en charge de l’Agriculture, quant à la faveur de la RGPP (révision générale des politiques publiques), les 120 ingénieurs et techniciens ayant des fonctions techniques au sein des Services Régionaux de la Protection des Végétaux (DRAAF-SRPV) ont été priés en 2008-2009 d’aller voir ailleurs. Or la technicité et la connaissance de terrain de ces fonctionnaires d’état étaient reconnues par le monde agricole et aussi par les chercheurs des sciences appliquées voire parfois des sciences fondamentales. Cette expertise affutée, proche du terrain et indépendante a été dédaignée (pourquoi ?) alors que depuis 2008 les plans Ecophyto sont à la peine pour obtenir une réelle baisse de l’utilisation des pesticides. Un des torts des SRPV a été d'être trop proche des réalités du terrain et de ne produire « que" de la littérature grise dédaignée lors de l’expertise scientifique sur l’utilisation des pesticides publiée par l’INRA-Cemagref en 2005. Pour ma part, j’ai le sentiment d’avoir été trop légaliste et d’avoir toléré l’inacceptable de la part de mon administration et de mes directeurs. Dès 1995, nous étions prêts dans les SRPV les plus techniques (notamment ceux du Nord et Est de la France) à avancer à grand pas vers une réduction importante de l’emploi des pesticides en agriculture. Au SRPV Lorraine nous étions dès 2008, quasiment écophyto-compatibles, sur le plan fongicides et insecticides, avec les objectifs 2018 de -50%. Malheureusement au niveau de l’emploi des herbicides, le manque de moyens ne permettait pas suffisamment d’expérimentations et d’études pour être vraiment incisif dans les conseils. Et puis les rotations trop courtes avec beaucoup de cultures d’hiver, confortées par la PAC (Politique Agricole Commune), ne permettait pas d’agir très efficacement sur la réduction des stocks semenciers.
Le constat est que nous avons perdu de nombreuses années de transitions alors que les enjeux liés aux pesticides appliqués sur 15 millions d’hectares en France, sont très importants en termes de santé publique et de biodiversité. La réglementation encadrant l’emploi des produits phytopharmaceutiques a heureusement évoluée depuis les règlements européens, qui en 2009, ont formés le « paquet pesticides ». Les pratiques sur le terrain aussi ont fortement progressées, mais pas assez vite et le manque d’anticipation a été patent vis-à-vis des pollutions diffuses. C’est indéniable sur le plan de la protection de la biodiversité terrestre. Les Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales, imposées et financées (écoconditionnalité) ont apportées un mieux dès 2004 avec les bandes enherbées implantées le long des cours d’eau (de taille moyenne seulement !). Mais l’équilibre est fragile, ainsi suite à l’arrêté du 4 mai 2017, la mise en place d’une cartographie concertée des cours d’eau a conduit dans de nombreux départements à une forte régression de la protection du réseau hydrographique (voir rapport CGEDD et CGAEER 18117, de mars 2019 sur la « protection des points d’eau »).
La position des organisations professionnelles majoritaires, le plus souvent sur le retrait, a conduit à des effets pernicieux :
- Comme le refus en 2017 d’appliquer les mesures de gestion réglementaires imposées par les avis d’autorisation de mise sur le marché depuis 2011. Mesures qui concernent les bords de parcelles et visent à atténuer les risques de ruissellement, à protéger les arthropodes non cibles (et donc les insectes (pollinisateurs sauvages, auxiliaires,….)) et à protéger la flore non cible des bords de champs (messicoles,…). Temps que les phytosanitaires seront utilisés dans les parcelles agricoles, il sera nécessaire de mettre en place ces zones non traitées de protection de la biodiversité. Dans les territoires les plus anthropisés il faudrait avoir au minimum de 4 à 5 % de la surface agricole consacrée à des espaces (semi)naturels indispensables au maintien d’un niveau correct de biodiversité au sein de nos campagnes (voir le document pdf joint portant sur un sujet jugé secondaire par les organisateurs du COLUMA-Végéphyl).
- Les passes d’armes de certains syndicats autour des zones non traitées (ZNT) de protection des riverains seront sans doute très contreproductives en termes d’image de l’agriculture et de la viticulture: prétendre découvrir le sujet en 2020 ne me paraît absolument pas défendable. Pour avoir travaillé dans le Beaujolais à partir de 2008, la nécessité d’anticiper paraissait déjà d’une telle évidence il y a dix ans, et bien entendu l’enjeu de santé publique d’un habitat résidentiel dispersé dans le vignoble y était patent depuis des décennies. Mais les analyses des pesticides dans les eaux de surface des ruisseaux du vignoble, aux résultats catastrophiques dès la fin des années 90, n’ont pas non plus entraîné de véritable prise de conscience par la profession viticole de l’importante dégradation des milieux aquatiques.
- D’une façon générale la « course à la lenteur », autour de problèmes connus voire archi-connus, nous a conduit, me semble-t-il, à une quasi-impasse. Alors que depuis des décennies les effets non intentionnels des pesticides sont décrits ou simplement supposés. A être toujours sur la défensive, au nom de visions technico-économique discutables, et en étant capable de peser sur la décision publique y compris en termes de normes environnementales, nombre de filières agricoles apparaissent aujourd’hui difficilement transformables. . En agronomie le bon sens est le plus souvent une valeur sûre, mais insuffisamment sollicité ou masqué par des considérations économiques à court terme. Et malheureusement la transition agro-écologique a pris beaucoup de retard. C’est d’autant plus regrettable que les efforts et les expérimentations qui n’ont pas été réalisés devront être nécessairement mis en œuvre face aux enjeux du réchauffement climatique (espérons-le en tout cas).
- Allons-nous vraiment dans le mur ? Sans se retrancher uniquement derrière le principe de précaution, il serait indispensable d’être véritablement objectif tout en mobilisant sur le terrain le pragmatisme, qui est une réelle qualité ancestrale du monde rural. J’emprunte volontiers à Bernard Chevassus-au-Louis la citation suivante « fautil vraiment tout connaître pour bien gérer ? Où faut-il bien gérer pour mieux connaître ? » (colloque DIVA, 2015).
Conseil de lecture : le livre de Jean-Noël Jouzel, sociologue du CNRS travaillant sur les controverses liées aux enjeux de santé environnementale.
Pesticides, comment ignorer ce que l’on sait, 2019, SciencesPo LES PRESSES