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Paysages de Beauport et de Penhoat-Lancerf : un projet d’élevage pastoral à construire ?

Le Conservatoire du littoral prépare l'élaboration du nouveau plan de gestion du site naturel de l’Abbaye de Beauport situé à Paimpol. Il a appelé le grand public, le 11 octobre 2020, lors d’un temps d’échange à réfléchir aux grandes lignes de gestion dans les 10 à 15 ans à venir. La concertation englobe aussi pour un site comme Beauport situé en bord de mer, l'évolution climatique : « mais les paysages traduiront aussi les usages que nous y feront et les souhaits que nous avons pour eux ».

Absent lors de la réunion du 11 octobre, voici un résumé de mes courriels échangés avec l’Abbaye de Beauport, site du Conservatoire du Littoral.

La carte postale d'illustration du flyer d’invitation de l’Abbaye (image d’accueil) résume parfaitement mon sentiment autour de Beauport et aussi du site de Penhoat-Lancerf à Plourivo : la fermeture des paysages qui s’accélèrent depuis les dernières décennies (voir la comparaison des prises de vues IGN ci-dessous).

Paimpolais de naissance, j'ai observé au fil des années une fermeture importante des paysages de Paimpol et de Plourivo, sauf évidemment en amont au niveau des secteurs remembrés des communes de Plourivo et d’Yvias parfois scalpés et des quartiers urbanisés ainsi que le long des voiries nouvelles:

- abandon du chauffage au bois par les agriculteurs (d'ailleurs de moins en moins nombreux) et aussi par les ruraux.

- gestion à minima de la végétation des terrains appartenant au Conservatoire du Littoral, et ce pendant plusieurs décennies.

- raréfaction de l’élevage, quasi-disparition des prairies naturelles et disparition totale des vergers de hautes tiges : les vergers conservatoires de Beauport, confinés autour de la vielle abbaye n'offrent malheureusement aucune perspective paysagère.

- Beauport est un site de fond de vallée et de fond de baie, et la randonnée pédestre de la vallée de Beauport n'offre guère de perspective pour le regard sur un panorama marin et rétro-marin pourtant idyllique.

Face à ces constats, plusieurs questions se posent :

Cette évolution vers la fermeture des paysages est-elle inéluctable ? Est-on certain que les espaces boisés et la forêt sont les meilleurs moyens de protection de la biodiversité? Doit-on faire une croix sur les espaces ouverts comme les landes ou les prairies pâturées extensivement ? Quelle biodiversité voulons-nous préserver et donc quels modes de gestions faut-il concevoir ou tout simplement sauvegarder?

Par ailleurs, à Plourivo à quelques kilomètres de là, le site de Penhoat-Lancerf qui domine la Ria du Trieux à lui aussi connu une évolution paysagère importante, en lien dans les parcelles de landes avec la plantation de pins et feuillus à partir du XIX ème siècle. Pour avoir été lycéen à Guingamp au début des années 70, et avoir fait le voyage en train Paimpol-Guingamp deux fois par semaine, je peux vous dire, qu’entre Plounez et Pontrieux, les visions et paysages actuels offerts depuis les trains (vapeur touristique ou TER) sont à cent de lieues de celles qui existaient du temps de la micheline et des derniers vapeurs en service régulier. Pour Beauport, j'ai moins de souvenirs, bien que nous allions régulièrement à la cidrerie Jean Le Calvez avec mon père.

 Fils de petits agriculteurs de Plourivo (en bio, circuit court, avec un faible pour la race Froment du Léon), j'ai modestement participé à la vente du beurre familial sur le marché de Paimpol. Mais c'était il y a 50 ans (trop tôt?). Depuis, avec mon métier d'agronome, j'ai quasiment fait un tour de France des champs, des campagnes et des contextes pédoclimatiques (plutôt le nord de la Dordogne).

Mon analyse autour de l'agriculture et des paysages du Nord-Goëlo, me conduit à penser que d'une façon générale, l'évolution de l'agriculture autour de Paimpol n'offre pas des perspectives très "sexy" en termes de paysages. L'élevage à l’herbe risque fort de disparaitre quasi complètement (à part les chevaux de loisirs et quelques éleveurs d’allaitantes en circuit court). Il restera des agri-managers avec des serres (le plus souvent implantées sur les limons profonds, les meilleurs sols agricoles de la région!) ou des légumes de plein champs (en parcelles souvent sensibles à l’excès d’eau, et donc maltraitées lors des récoltes comme cet automne-hiver), et avec une vision très peu enthousiasmante de la préservation de la biodiversité.

Je suis un riverain très proche des espaces boisés de Penhoat-Lancerf : secteur de la vallée du Leff au niveau du Houel. J'ai le sentiment qu’historiquement les zonages se sont fait uniquement entre le gestionnaire des espaces naturels et la profession agricole conventionnelle. Avec une forte diminution de la polyculture nous assistons à la quasi-disparition des prairies et des espaces ouverts. Par ailleurs les difficultés de gestion des espaces buttent parfois sur les doctrines de services publics (espaces boisés, cours d'eau,...). Il est pourtant manifeste que certaines positions manquent de visions terrain. Elles se réfugient derrière des paravents scientifiquement discutables alors qu'une gestion véritablement dynamique est le plus souvent nécessaire.

Il me semble, sans nul doute, que les espaces publics semi-naturels peuvent contribuer à entretenir des paysages diversifiés présentant des zones ouvertes. Il y a des espèces domestiques locales qui peuvent être utiles, car elles aussi méritent d'être conservées (Froment du Léon (dite vache des châteaux en raison de sa douceur de caractère), Armoricaine, moutons d’herbages de type avranchin et cotentin voire des landes de Bretagne (retrouvés en Brière), chèvre des fossés,...). Je n'ai rien contre la Bretonne Pie Noire (bien au contraire), présente depuis de nombreuses années sur le site de Beauport, mais historiquement elle n'est pas d'ici...

Les espaces appartenant au Conservatoire du Littoral pourraient, devraient utilement rentrer dans des projets collectifs et structurants d'agriculture pleinement durable et respectueuse de la biodiversité et des hommes. La tempête Alex de début octobre conforte mes réflexions, car l’atténuation des inondations dès l’amont devient un enjeu important. Il me semble que les collectivités devraient se pencher sur le devenir agricole et donc paysager de nos territoires. Des villes ont maintenant de vrais projets agricoles durables (Rennes, Nantes, Clermont Ferrand,…), mais les communes plus modestes ont également une grande responsabilité sur ce sujet. Elles doivent influer activement sur l’utilisation des territoires, impulser et accompagner des projets structurants, faire émerger des plans alimentaires territoriaux. Mais cela n'est pas simple car les schémas des responsables professionnels agricoles restent frustes.

Or il nous faudra une agriculture durable et donc extensive (en circuits courts si possible) avec obligatoirement de l'élevage pour entretenir les terres agricoles dite "ingrates" (caillouteuses ou humides, pentues). De par l’emprise importante des espaces gérés par le Conservatoire du Littoral localement, cet organisme a de fait un rôle moteur à jouer dans le montage de projets

Beaucoup d'argent est dépensé pour l'agriculture bretonne mais bien trop peu en termes de durabilité. Or face aux enjeux climatiques, nous avons de plus en plus besoin de territoires restructurés et résilients et il faut aussi une durabilité sociale pour les jeunes qui porterons des projets structurants dans nos communes littorales.

Nous voyons des communes installer sur les ronds-points des banderoles "recherchons médecins", cela pourrait aussi se faire avec un autre intitulé tout aussi important pour l’avenir "recherchons éleveurs ou polyculteurs"

Comparaison dans le temps (IGN) du site Abbaye de Beauport: de l'après-guerre à aujourd'hui

Comparaison dans le temps (IGN) du site Abbaye de Beauport: de l'après-guerre à aujourd'hui

Photo ancienne de chasse en Vallée du Leff (Cparama): la végétation de la lande environnante est très rase

Photo ancienne de chasse en Vallée du Leff (Cparama): la végétation de la lande environnante est très rase

Tag(s) : #Chroniques de territoires, #Territoires résilients
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