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Pollutions diffuses agricoles par les pesticides : encore un gros effort à fournir !

 

En eaux destinées à la consommation humaine (EDCH), l’actualité de cette fin d’année 2021 tourne beaucoup, voire essentiellement, autour de l’ESA-métolachlore qui est un métabolite de l’herbicide S-métolachlore. Le monde de l’eau potable est en effervescence et beaucoup de questions de posent au sein des gestionnaires de l’eau, des Commissions Locales de l’Eau, des Agences Régionales de Santé,…

Ce métabolite classé « pertinent » par l’Anses au début de l’année (ainsi qu’un second métabolite, le NOA) est détecté avec une fréquence importante dans les eaux brutes de surface mais aussi souterraine. Ce n’est pas vraiment une surprise car les premières détections en nappe alluviale datent de plus de dix ans. Par contre les suivis analytiques ont été intensifiés, et le classement récent en « métabolite pertinent » induit le nécessaire respect de la norme de 0.1 µg/l appliqué aux pesticides. Les ARS se sont d’ailleurs mobilisées rapidement sur ce dossier. Les réseaux de surveillance montre que cette concentration de 0.1 µg/l est très souvent dépassée y compris en eaux souterraines. A titre d’exemple l’eau superficielle du barrage de la Ville Hatte sur l’Arguenon (Côtes d’Armor), présente depuis 2017 des concentrations quasi toujours supérieures à 0.4 µg/l avec des pics hivernaux proches ou supérieures à 1 µg/l. Comme nombre de métabolites, l’ESA métolachlore a une durée de vie longue et une faible affinité avec le sol (faible Koc, synonyme de faible rétention par le carbone organique des sols). En première approche on est tenté de dire que cette molécule se comporte un peu comme les nitrates, avec une forte capacité de transferts hydriques lors des pluies efficaces hivernales, voire parfois automnales comme fin 2019.  Malheureusement c’est également une molécule plutôt mal retenue par les filtres aux charbons actifs en place dans les grandes stations de potabilisation.

Le S-métolachlore est actuellement un herbicide de premier plan employé sur 1,6 millions d’hectares en France : maïs, tournesol, betterave, haricots,…. Appartenant à la famille des chloroacétamides, son utilisation, conseillée par les filières s’est développée notamment à la faveur de l’interdiction d’autres molécules de cette famille comme l’alachlore et l’acétochlore. Sa sensibilité aux transferts hydriques est connue depuis très longtemps, mais la France n’a pas estimée utile de développer une démarche coordonnée de « gestion éclairée » de l’emploi des phytosanitaires. Pire, autour de la gestion des ressources en eau, nombreuses ont été les volontés de préserver les « coudées franches » pour les utilisateurs.

 

Sur le terrain, la gestion des risques de pollutions diffuses par un pesticide devrait se faire localement à plusieurs niveaux en tenant compte : du règlementaire,  de la vulnérabilité intrinsèque et spécifique des territoires, de l’importance et de la localisation des surfaces traitées,  de la répétition dans le temps des applications et bien sûr de l’intérêt et des contraintes agronomiques. Honnêtement la prise en compte de toutes les données est très rarement mise en œuvre et donc faiblement partagée à l’échelle d’un territoire. Or le croisement « territoires à enjeux eaux et emploi du S-métolachlore » représente environ 600 000 ha (estimation de la société Syngenta).

Pour le cas du S-métolachlore, en tenant compte de son cortège de métabolites, reprenons les modes d’action évoquées ci-dessus :

Sur le plan réglementaire au niveau national, un avis de l’Anses est en préparation.

Pour les adaptations spatiales aux territoires, ce sont les gestionnaires des ressources en eaux et les préfets de départements qui doivent être à la manœuvre.  Un préfet peut en effet interdire un produit phytosanitaire posant problème sur une zone à protéger. Malheureusement les périmètres de protection de captages mis en place pour se prémunir des effets de pollutions ponctuelles ne sont pas pertinents ou très rarement vis-à-vis des pollutions diffuses. Ce type de pollution nécessite d’intervenir sur des zones bien plus importantes : Les aires d’alimentation de captages. Mais les études de délimitation et d’étude de la vulnérabilité des aires d’alimentation captages sont très loin d’avoir été réalisées sur l’ensemble des aires à protéger. A défaut de délimitation précise il parait cependant logique de considérer, en captage d’eau de surface, que la zone à protéger c’est l’ensemble du bassin versant. Dans le cas du S-métolachlore il est possible, voire nécessaire, de proscrire son emploi sur l’ensemble de l’aire d’alimentation ou éventuellement sur les zones les plus contributives (si elles ont été définies) ou donc à défaut sur l’ensemble du bassin versant.

Sur le plan temporel, il existe une façon simple de réduire la pression polluante en espaçant la fréquence des applications. Cela existe déjà au niveau des Autorisations de Mise sur le Marché d’autres produits phytosanitaires sous la forme « ne pas appliquer ce produit ou tout autre produit contenant cette matière active plus d’une fois tous les 2 ans (ou 3 ans) ». Rien n’empêche localement d’adopter cette approche dans le cadre d’un accord entre les parties prenantes et du plan d’action mis à jour, ce serait même fortement souhaitable dans le cas qui nous préoccupe.

Sur le plan agronomique, les innovations doivent également être de la partie, en sachant qu’agir sur les rotations est souvent le levier le plus pertinent pour limiter de sélectionner des flores difficiles d’adventices opportunistes. Plus largement c’est de la reconception de systèmes qu’il s’agit et qui est à favoriser en zone à enjeu eau potable. Cela vise bien sûr en priorité les monocultures de maïs en plaines alluviales, c.-à-d. au-dessus de nappes très souvent exploitées pour l’alimentation humaine.

Plus généralement, certaines molécules peuvent être « victimes » de leur succès : intérêts techniques et agronomiques plébiscités par les agriculteurs, actions commerciales efficaces, remplacement aisé de molécules retirées. Mais il serait souvent pertinent de mettre en place une gestion éclairée au plan territorial. C’est possible puisque cela se fait en termes de prévention des résistances, avec rappelons-le des retards parfois importants, et dommageables, à l’allumage : les gros soucis de résistances des insectes du colza aux insecticides dans l’Est de la France ont vraisemblablement été favorisés par des décennies d’interventions non justifiées. Dans les années 90-2000, mes recommandations argumentées de non-traitement insecticides des colzas en Franche-Comté puis Lorraine étaient très mollement relayées par les filières oléagineuses ! Le plan Ecophyto, trop mono centré, devrait se saisir de cette approche afin notamment de gagner en pertinence : les diversités de pratiques sont souvent les prémices à des changements plus importants.

Pour résumer, face à l’ampleur de la contamination des eaux potabilisables par l’ESA-métolachlore, les mesures sont identifiées et adaptables en fonction des différents contextes pédoclimatiques que nous rencontrons sur le territoire français.

Voici les mesures mobilisables selon un gradient probable (et décroissant), des efficacités attendues en termes de réduction des concentrations dans les eaux environnementales et plus précisément les EDCH:

  • Arrêter tout emploi de la molécule mère S-métolachlore en Aire d’Alimentation de Captage ou sur l’ensemble du bassin versant contributeur.

 

  • Arrêter tout emploi de la molécule mère en zones contributives  des AAC (si déterminées lors de la délimitation de l’AAC) ou dans tous les périmètres de protection y compris, et surtout, le périmètre éloigné.

 

  • Agir efficacement et à grande échelle sur la genèse des ruissellements en parcelles : accroître la rugosité de surface des sols, réduire la taille des grandes parcelles, optimiser l’agencement des parcelles et favoriser les mosaïques de cultures, augmenter les teneurs en matière organique des sols,…

 

  • Mettre en place de façon généralisée des dispositifs tampons d’atténuation (zones tampons humides, bandes enherbées ou boisées le long des fossés, et tout dispositif ralentissant l’écoulement de l’eau) qui rappelons le permettent des atténuations importantes des concentrations en S-métolachlore en sortie de parcelles ou d’ilots parcellaires (de 50% à 80-90%). En mai 2015 en Dombes (Ain), il a été observé 186 µg/l de S-métolachlore dans un fossé en tête de bassin versant.

 

  • Reconcevoir les systèmes de production et donc les rotations.

 

  • Réduire volontairement la fréquence d’application (sur maïs notamment): ne pas appliquer ce produit ou tout autre produit contenant cette matière active plus d’une fois tous les 3 ou 4 ans) ».

 

  • Réduire les grammages apportés à l’hectare.

 

Le débat autour de la pollution diffuse par les pesticides est donc relancé, et par la même la question du choix de la prévention au niveau des ressources ou du renforcement des filières de « traitement » curatives en stations de potabilisation. Les surcoûts supplémentaires pour les fournisseurs d’eau sont importants et se répercuteront vraisemblablement sur les factures d’eau du consommateur.

Dans le même temps, tout n’a pas été fait pour prévenir la contamination des eaux par le S-métolachlore et ses métabolites : alors faisons-le !

Autour des sujets de pollutions diffuses, j’interpelle régulièrement les administrations nationales et régionales : j’attends certaines réponses depuis plus d’un an. Je ne suis pas sûr que dans ce domaine la politique de l’autruche soit la bonne et doive sous-tendre les politiques publiques. J’attends donc les réponses, à mes questionnements et suggestions, du ministère de l’Agriculture, de l’Office Français de la Biodiversité et de la DRAAF Bretagne.

 

 

 

Barrage de la Ville Hatte sur l'Arguenon (Côtes d'Armor) juillet-2021

Barrage de la Ville Hatte sur l'Arguenon (Côtes d'Armor) juillet-2021

Tag(s) : #Règlementation phytosanitaire, #Territoires résilients, #Chemins de l'eau et diagnostics
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