Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Respectons l’eau « verte » des sols, des champs et des paysages du Goëlo, et d’ailleurs

L'ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l'action même. Marc Bloch (Historien)

A la suite de la sécheresse et canicules historiques de 2022, les débats sur l’eau se poursuivent. Le terme débat n’est peut-être pas le bon. Les projets de retenues en vue de l’irrigation vont se multiplier avec l’aval des pouvoirs publics sans que les compensations agro-écologiques de ces projets soient à la hauteur. Viserons-nous la réduction des besoins, le choix de cultures plus économes, le stockage dans les sols, la végétalisation des nouveaux ouvrages, l’amélioration du maillage parcellaire avec plantations de haies ou agro-foresteries dans les parcelles,…. ? Ces méga-bassines ont fait la une de l’actualité à la fin octobre avec la manifestation de Sainte Soline (Deux-Sèvres). Il est vraisemblable, qu’en zone rurale, tout un chacun soit prochainement concerné par un ou plusieurs projets dans son voisinage. Et il convient d’être objectif autour de la gestion de l’eau, notre bien commun. En effet certaines affirmations non fondées sont trop souvent reprises et mises en avant à l'occasion de cette sécheresse de 2022.

Le cas de la zone légumière de plein champ de la région paimpolaise me semble représentatif[i] des nombreux enjeux liés à l’eau et à l’agriculture. Les responsables agricoles locaux ont d’ores et déjà clairement exprimés leurs désirs d’avoir recours à des retenues d’eaux. Effectivement une année comme 2022 a montré la vulnérabilité des cultures d’été : artichauts, haricots (le fameux Coco paimpolais). Mais la situation actuelle des sols et du parcellaire travaillés par les Maraîchers d’Armor n’est pas celle d’avant, et des erreurs du passé doivent être atténuées voire corrigées avant de poursuivre, si besoin, le recours à de nouvelles technologies onéreuses et impactantes. D’autant qu’en termes de coûts, les méthodes régénératives fondées sur la nature sont globalement peu onéreuses.

Le Goëlo en Nord Bretagne, un territoire déstructuré et érosif

Les terroirs agricoles ont subis les remembrements des années 70, dont les objectifs étaient clairement d’agrandir les parcelles et de réduire les contraintes pouvant être liées à de l’excès d’eau. Les situations les plus humides ont d’ailleurs été le plus souvent drainées. Depuis les agrandissements se sont amplifiés, et le matériel grossissant toujours le risque de tassement des sols limoneux fragiles est important. La mise en œuvre de ces aménagements ruraux a été confiée à des géomètres et au génie rural. Avec le recul, il est clair que l’hydraulique agricole n’a pas été prise suffisamment en compte lors des travaux connexes aux remembrements. Et on ne parle pas de la biodiversité liée notamment aux zones humides: je pense très souvent aux poules d’eau fidèles à une mare bordées de saules de notre hameau de Kermaria à Plourivo, petite mare qui en 1975 aurait pu être épargnée en détournant légèrement le nouveau chemin de remembrement. L’hydrologie agricole est depuis des décennies un des parents pauvres des politiques agricoles, alors que nous aurions maintenant besoin de territoires aussi résilients que possible pour affronter les effets du changement climatique.

Avec la perte importante de talus et de haies, Il en est ressorti une accélération de la vitesse de l’eau, du champ au ruisseau et du ruisseau à la rivière ou à la mer. Aujourd’hui de nombreuses petites régions agricoles de Bretagne peuvent rivaliser autour des grandes vitesses d’écoulement et de propagation des inondations. Et les villes et ports anciens situés en bord de rivières subissent des crues et inondations rapides, qu’il est très difficile de prévenir. Un peu à l’Ouest de Paimpol, Morlaix Communauté mène actuellement des projets et travaux de remise à l’air libre partielle des cours d’eau enterrés en ville et parallèlement restructure le maillage bocager de talus et de haies sur les parties amont des petits bassins versants.

Depuis quelques années, au sein du bassin légumier de Paimpol, des coulées de boues sont observées de plus en plus souvent à la faveur de pluies intenses de plus en plus fréquentes : tempête Alex (début octobre 2020, orages du 4 juin 2022, etc.). Certes les intensités de pluie augmentent, mais les coulées de boues sont clairement les signes de dysfonctionnements hydrauliques agricoles (ou parfois de chantier de travaux publics en cours). Ne pas y remédier engage la responsabilité des agriculteurs, des gestionnaires de voiries et des aménageurs du territoire, car les solutions d’atténuation efficaces des ruissellements relèvent du bon sens et sont simples à mettre en œuvre. Doit-on laisser la charge financière de tels évènements aux contribuables (voiries, désenvasement des ports) et aux particuliers via les assurances? Rappelons aussi que toute coulée de boue/de terre constitue une perte irréversible de fertilité des sols agricoles. Sous nos latitudes, il faut environ 400 ans pour permettre la formation (pédogénèse) d’un centimètre de sol !

Les parcelles ont été agrandies plus que de raison et continuent à l’être, les talus qui restent en zones légumières ne sont plus arborés et sont scalpés tous les étés à l’épareuse, même cette année 2022 en pleine période de stress des plantes et de la faune. Les rotations légumières se sont appauvries avec la quasi-disparition de l’élevage et donc des exploitations mixtes, or les sols limoneux de la ceinture légumière bretonne sont certes très fertiles mais ils sont aussi fragiles vis-à-vis de l’érosion, des tassements des sols. Ils sont aussi très sensibles à la diminution des teneurs en matières organiques et à un travail du sol trop fin (émiettement du sol, notamment en pomme de terre). De plus les communes réalisent maintenant des entrées de champs en 12 m de large (!), peut-être pour que les eaux de ruissellement puissent sortir plus facilement des champs ?

Des solutions d’hydraulique dures ou douces ?

Les retenues dite collinaires (ou bassines) sont du ressort d’actions curatives pouvant être inadaptées. Elles ne participent pas vraiment à l'adaptation au changement climatique de nos territoires. Il paraitrait judicieux si des projets voient toutefois le jour de rechercher une équité entre les investissements : pour un euro investit dans des bassines, il convient de réaliser pour un euro, voire plus, d'actions préventives et pérennes dans le temps. Le moment est sans doute venu de revoir certaines pratiques car la réalisation des tels ouvrages nécessite d'avoir une vision collective et globale de la gestion de l'eau sur notre territoire. Les légumiers ont des pratiques agronomiques peu favorables à la rétention de l'eau dans les sols. As-t-on  le sentiment que des actions conséquentes et suffisantes soient misent en œuvre pour atténuer les problèmes ?

Le recours aux retenues ne peut se faire que dans un cadre dûment motivé et intégré à un réel projet agroécologique. Il est aberrant de faire des stockages en bâche noire sans aucune végétation autour (et donc sans aucune ombre rafraichissante), car dans ce cas l'évaporation peut devenir extrême et entrainer la perte de la moitié de l'eau stockée. Avoir des plans d’eau très peu accueillant pour la biodiversité n’est pas non plus acceptable. De plus les retenues qui seraient jugées indispensables doivent être localisées judicieusement : pas sur les meilleurs sols de Bretagne déjà fortement recouverts de serres et donc déjà imperméabilisés.

Et tordons le cou aux affirmations non fondées : ce n'est pas vrai que l'eau qui arrive dans les ruisseaux est perdue et qu’on peut la stocker sans effets collatéraux. Elle assure de nombreuses fonctions écologiques (hydromorphologie et crues morphogènes, échanges rivières-nappes,…) et économiques (ostréiculture, loisirs,...).

Par contre l'eau qui s'infiltre remplit la réserve utile des sols ou se stocke au sein des zones humides et en couches plus profondes. Elle sert ainsi à la réalimentation estivale des cours d'eau et donc au soutien d'étiage et au maintien de la biodiversité aquatique en périodes de faibles écoulements.

Il convient en premier lieu de tout faire pour favoriser l'infiltration de l'eau dans les sols agricoles et au sein des éléments du paysage y compris en réaménageant le parcellaire et en recréant des zones humides et des parcelles enherbées judicieusement disposées dans les versants et au sein des parcelles de plateaux.

https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2022/08/pour-une-utilite-naturelle-de-toute-goutte-de-pluie-des-la-parcelle-agricole-tout-faire-pour-infiltrer-l-eau-au-champ-et-dans-des-zones-tampons-multifonctionnelles.html

Autour de la gestion de l’eau, il convient de veiller à garder son caractère public et son statut de bien commun. Le slogan à partager entre toutes les parties prenantes est : sans aucune retenue « ralentissons l’eau ».

 

[i] Voir aussi l’article du 27 octobre 2020 sur un village de Bresse, au territoire fortement modelé par l’homme au fil des décennies. https://www.guylehenaffagreaunome.fr/2020/11/amenagement-rural-et-dysfonctionnements-st-jean-sur-reyssouze-une-commune-semblable-a-des-milliers-d-autres.html

"surverse" d'une coulée terreuse dans un chemin, en route vers le village de Landouézec!, Paimpol-22 (5 juin 2022)

"surverse" d'une coulée terreuse dans un chemin, en route vers le village de Landouézec!, Paimpol-22 (5 juin 2022)

Coulée de terre en bas d'un (trop) grand champ : tempête Alex d'octobre 2020, Plourivo-22 (4/oct/20)

Coulée de terre en bas d'un (trop) grand champ : tempête Alex d'octobre 2020, Plourivo-22 (4/oct/20)

Entrée de champ déplacée récemment, mais pas assez !! Kericun à Plourivo (5 juin 2022)

Entrée de champ déplacée récemment, mais pas assez !! Kericun à Plourivo (5 juin 2022)

Les coulées de boues ne respectent pas ce vieux calvaire breton à Paimpol, ici le 5 juin 2022, mais déjà en octobre 2020

Les coulées de boues ne respectent pas ce vieux calvaire breton à Paimpol, ici le 5 juin 2022, mais déjà en octobre 2020

Tag(s) : #Chroniques de territoires
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :